ÉVÉNEMENT
LANCEMENT DE LE NEMESIACHE : RECLAIMING MYTHOLOGICAL RITUALS
Rejoignez-nous pour le lancement de* Le Nemesiache: Reclaiming Mythological
Rituals *avec la commissaire, autrice, ancienne chercheuse en résidence
à
la Villa Vassilieff et directrice de l’ouvrage, Sonia D’Alto, aux côtés
d’Imma Tralli et de Roberto Pontecorvo. Première monographie dédiée au
collectif artistique napolitain, féministe et pacifiste, cette publication
est éditée par Mousse Publishing
en collaboration avec Marea Art Project
.
Le livre rassemble des documents, des photographies et des affiches
inédits, ainsi que de nouveaux essais revisitant l’histoire du collectif,
ses pratiques mythopoétiques et son engagement politique.
Informations pratiques:
Jeudi 11 décembre 2025, à partir de 18h30
Villa Vassilieff, 21 avenue du Maine, 75015
Entrée gratuite sur inscription
La conversation se tiendra en anglais et français.
POUR PLUS D’INFORMATIONS
LIEN D’INSCRIPTION
LES NEMESIACHE : RÉCLAMER DES RITES MYTHOLOGIQUES13.09.2024 | SONIA D’ALTO
[image: Les Nemesiache : réclamer des rites mythologiques - AWARE]
Le Nemesiache, Festa della poesia alla Gaiola (Poetry Celebration at
Gaiola) 11 Giugno 1978, Courtoisie Le Nemesiache et Mangiacapra Archive
Groupe informel d’amies et de camarades féministes, les Nemesiache furent
réunies en 1970 sous l’impulsion de l’artiste, autrice et cinéaste
italienne Lina Mangiacapre (1946-2002)1
https://awarewomenartists.com/magazine/les-nemesiache-reclamer-des-rites-mythologiques/#.
Cette dernière initia ce collectif féministe dans sa ville natale de
Naples, dans le sud de l’Italie. Comptant parfois jusqu’à douze femmes, il
était animé par un noyau central composé de Claudia Aglione, Fausta Base,
Silvana Campese, Consuelo Campone, Conni Capobianco, Bruna Felletti, Anna
Grieco et Teresa Mangiacapre, parmi tant d’autres. Avec l’objectif
clairement énoncé de « faire revenir du mythe dans le monde2
https://awarewomenartists.com/magazine/les-nemesiache-reclamer-des-rites-mythologiques/#
»,
le groupe (ré)introduisit des idées et des gestes mythologiques et
artistiques afin d’accéder à une nouvelle dimension : celle d’une vie
cosmique guidée par un autre ensemble de valeurs, fondées principalement
sur la créativité comme chemin vers la liberté.
Bien que ce collectif ait représenté, par son histoire, un jalon du
féminisme italien et qu’il ait été entièrement engagé auprès du *Women’s
Liberation Movement*, sa trajectoire est unique dans le paysage
transféministe3
https://awarewomenartists.com/magazine/les-nemesiache-reclamer-des-rites-mythologiques/#.
Le groupe napolitain mêlait féminisme, mythologie, contes populaires,
science-fiction et une imagination radicale, dans une approche
interdisciplinaire englobant le cinéma, la performance, l’écriture
critique, la peinture, la poésie, la musique, le collage et le costume. Ses
membres interrogeaient la vie, aussi bien privée que publique, de manière à
la transformer. Elles cherchaient à rétablir les liens les unissant à
l’univers en faisant preuve d’imagination pour se réapproprier le passé et
en exerçant une critique nécessairement radicale du présent afin de
formuler l’avenir. Comme elles l’écrivirent dans leur premier manifeste
(1970⁄72) : « C’est le retour de Némésis, c’est le retour de l’origine. »
Cela signifiait d’instaurer la rébellion comme un pilier du changement. En
choisissant le nom de la divinité grecque antique Némésis, qui représente
la justice contre l’hybris, les Nemesiache montraient qu’elles
considéraient l’excès d’arrogance comme un caractère intrinsèque de l’ordre
patriarcal et qu’elles faisaient donc appel à Némésis pour restaurer
l’équilibre et l’harmonie.
Pour assurer la continuité de l’ordre cosmique, le groupe prônait un
engagement durable avec son environnement, celui du contexte urbain de
Naples, son paysage géomorphique autant que ses ruines archéologiques et
ses sites mythologiques, comme Cumes, le lac Averne, les champs Phlégréens
et le cap de Posillipo. Il en résulta une pratique – qui comprenait
l’organisation de manifestations et l’occupation de bâtiments – ancrée dans
le territoire, afin d’exprimer un féminisme spécifique à l’Italie
méridionale. Dans le même temps, menant l’exploration débridée des désirs
et des rêves les plus intimes des femmes, le groupe se rattacha à des
luttes internationales, encourageant la solidarité entre les personnes
opprimées dans différents contextes. Le projet des Nemesiache était de
surmonter les frontières temporelles et spatiales – les deux catégories les
plus oppressives, comme on peut le lire dans le *Manifesto
Metaspaziale* [Manifeste
métaspatial, 1973]. Le groupe souhaitait réaliser cet objectif par le biais
du cinéma, qui devint alors un outil d’activisme politique et un moyen de
réappropriation de l’histoire. Selon L. Mangiacapre, les images animées
constituaient un langage qui ne tournait pas autour de la notion de modèle,
trompeur et détaché du contexte, comme l’illusion du concept, mais autour
de la possibilité de revenir à la pensée mythosophique : un savoir
intuitif, authentique et sensuel, fondé sur le corps et sur le mythe.
[image: Les Nemesiache : réclamer des rites mythologiques - AWARE Artistes
femmes / women artists]
Les Nemesiache : réclamer des rites mythologiques - AWARE Artistes femmes /
women artists]
La pratique filmique des Nemesiache, collaborative, répondait à deux
principes du *Women’s Liberation Movement *: la formation de collectifs
organisés de manière non mixte et la pratique de la conscientisation. Alors
que cette pratique, répandue au sein de la deuxième vague féministe,
reposait principalement sur le discours, les Nemesiache introduisirent en
1973 leur propre variante : la psicofavola (psycho-fable), qui impliquait
le corps entier, plaçant au premier plan le geste, la danse et la musique
afin de déclencher des transformations psycho-émotionnelles. À partir de
leur psycho-fable Cenerella [Cendrillon, 1973-1975], les Nemesiache
traduisirent presque toutes leurs performances publiques en courts
métrages, mêlant la performance et la vidéo de manière collaborative et
expérimentale. Elles œuvrèrent ainsi avec créativité à une libération de
soi orientée vers des actes écologiques permettant l’épanouissement. Ce
processus permet de comprendre leurs films non comme des images fixes au
sein du monde de la représentation, mais plutôt comme une approche du
devenir entretissant les fils de la justice environnementale et de la
justice sociale. Cette approche va au-delà de la théorie féministe de la
deuxième vague et de sa tension entre déconstruction des rôles de genre et
recherche de ce que l’on considérait alors comme l’essence féminine.
Grâce à la caméra, le regroupement de ces femmes assura la survie
collective : « Le cinéma, c’est avant tout la mémoire. C’est aussi la
mémoire des réalités occultées et délibérément effacées », comme le formula
L. Mangiacapre. Ainsi, dans les deux courts métrages Cenerella (1974-1975,
basé sur la performance de 1973-1975) et *Le Sibille *[Les Sibylles, 1977],
des souvenirs anciens remontent à la surface et des passés enfouis émergent
grâce à des gestes rituels et à des personnifications mythologiques,
annonçant de nouvelles images et de nouveaux langages afin de réinventer la
condition féminine dans l’Italie du Sud. Invoquant le pouvoir ancestral de
la ville de Naples, les artistes rejouent là des lamentations archaïques
pour ouvrir le champ des possibles avenirs, convoquant tout un panorama de
rites et revigorant des formes de mémoire anciennes, oubliées et négligées.
On peut le voir dans Le Sibille, où une femme apparaît comme sortie de
nulle part pour dénoncer le vol du chant des sirènes. Dans le même film,
« les traces effacées de l’histoire du corps féminin à travers les mythes
grecs qui ont survécu dans la culture orale napolitaine4
https://awarewomenartists.com/magazine/les-nemesiache-reclamer-des-rites-mythologiques/#
»
sont reliées à la manière dont la culture locale aborde la mort, le rituel
et la dévotion, en communion avec des traditions païennes préchrétiennes,
comme un moyen de se réenraciner différemment dans le monde.
En 1977, le groupe devint une coopérative, Le Tre Ghinee/Nemesiache,
structure au sein de laquelle les artistes réalisèrent, produisirent et
distribuèrent collectivement sept courts métrages 8 mm et un court métrage
multimédia. Complètement autonomes des infrastructures capitalistes et
patriarcales, les membres de la coopérative travaillaient collectivement,
construisant elles-mêmes leurs propres plateaux. Scénographie, costumes,
éclairage et son – que le groupe appelait « psycho-costumes »,
« psycho-lumières », « psycho-musique » – furent ainsi créés dans leur *bottega
della poesia* [atelier de poésie], témoignage de ces expériences
horizontales visant à créer des liens entre les femmes et à remplacer les
hiérarchies patriarcales par de nouvelles formes d’action collaborative et
d’entraide.
Les qualités magiques et métaphoriques de la caméra permettaient aux
Nemesiache de naviguer entre intérieur et extérieur, privé et public,
protestant contre la marginalisation des femmes grâce à la pratique de « la
conscientisation par la caméra5
https://awarewomenartists.com/magazine/les-nemesiache-reclamer-des-rites-mythologiques/#
».
Elles savaient qu’une telle conscientisation ne pouvait pas se produire
uniquement dans la sphère privée de leurs foyers ou lors des conversations
non mixtes tenues par leurs camarades féministes, mais plutôt en
s’aventurant à travers la ville de Naples6
https://awarewomenartists.com/magazine/les-nemesiache-reclamer-des-rites-mythologiques/#.
On trouve un exemple de cette exploration dans Il mare ci ha chiamate[La mer
nous a appelées, 1978]. Le film traite de problématiques écoféministes
ancrées dans des actions sociales locales. Le groupe manifestait ainsi dans
l’espace public une empathie radicale, partageant la souffrance du
territoire, menacé à l’époque par la privatisation des plages et la
pollution de la baie. Dans Follia come poesia [La folie comme poésie,
1979], le résultat de trois années de travail à Frullone, un important
hôpital psychiatrique de Naples, elles questionnaient la psychiatrie et
l’enfermement, élaborant une proposition thérapeutique qui affirmait le
droit des personnes marginalisées à la beauté.
[image: Les Nemesiache : réclamer des rites mythologiques - AWARE Artistes
femmes / women artists]
Les Nemesiache : réclamer des rites mythologiques - AWARE Artistes femmes /
women artists]
Dans ces deux films, la mer est un personnage central aux côtés des corps
féminins : dans Follia come poesia, des patients de l’hôpital
psychiatrique sont emmenés à la mer dans le cadre de leur traitement, afin
de jouir d’un sentiment de liberté, tandis que dans *Il mare ci ha
chiamate* sont
formulées des invocations en faveur de la justice écologique. Le public
assiste à l’union directe et immédiate entre les corps de ces femmes et
leur environnement naturel, dans une affirmation de leurs liens avec
l’écoféminisme. La frontière entre l’humain et les forces (supra)naturelles
disparaît grâce aux gestes, aux danses, à la musique et aux costumes faits
à la main. Le public assiste aussi à des moments où coïncident intensité et
furie, où les chants deviennent lamentations, où les corps et les voix
oscillent entre joie et affirmation, rage et tristesse. Ce processus
dynamique et instable de prise de conscience est distinct du « plaisir
visuel7
https://awarewomenartists.com/magazine/les-nemesiache-reclamer-des-rites-mythologiques/#
»
propre au cinéma masculin. Les Nemesiache utilisaient le cinéma comme un
moyen de libérer l’imagination et la subjectivité, mais elles déployèrent
aussi le potentiel de la caméra à engager le public, à provoquer des
événements et à expérimenter, affectant l’imagination et la subjectivité
tout en les enregistrant sur la pellicule.
Dans le cinéma de recherche, la caméra n’est pas considérée comme un outil
mais comme une extension de l’œil, une forme de mémoire visuelle : la
réalité exprimée est une réalité (re)découverte et exposée – la découverte
de soi. Grâce à la caméra, les Nemesiache voulaient exprimer les
possibilités créatives qui s’offraient aux femmes sans qu’elles soient
conditionnées par la culture masculine9
https://awarewomenartists.com/magazine/les-nemesiache-reclamer-des-rites-mythologiques/#.
Dans ce but, et avec l’intention de construire une nouvelle esthétique
féministe, fondée sur un langage spécifiquement féminin et exprimant une
manière différente de ressentir et de pratiquer l’espace cinématographique,
elles fondèrent en 1976 le festival de cinéma féministe La Rassegna del
Cinema Femminista : L’altro sguardo [L’autre regard]. Inaugurée deux ans
après Musidora, à Paris, et deux mois avant Kinomata, à Rome, la Rassegna
fut l’un des premiers festivals de cinéma féministe internationaux en
Europe, actif à Sorrente jusqu’en 1995, avec une programmation qui se
concentrait chaque année sur un pays différent. La première Rassegna se
tint au cinéma Filangeri, à Naples ; ensuite, le festival fut conçu comme
un contre-programme aux International Cinema Meetings de Sorrente. En
impliquant des cinéastes femmes du monde entier, les Nemesiache
souhaitaient promouvoir le développement de réseaux de distribution
indépendants et la production d’un cinéma féministe : « Pour nous, le
cinéma féministe, cela veut dire un cinéma fait par des femmes pour
d’autres femmes. Un cinéma où nous affirmons nos individualités, notre
réalité et notre histoire propres. Un cinéma qui doit constamment lutter
contre l’exploitation, l’utilisation, la distorsion, la commercialisation
et la réduction de l’image des femmes9
https://awarewomenartists.com/magazine/les-nemesiache-reclamer-des-rites-mythologiques/#.
»
Elles appelaient également à la mise en place d’un quota obligatoire de
femmes parmi les professionnels sur chaque tournage10
https://awarewomenartists.com/magazine/les-nemesiache-reclamer-des-rites-mythologiques/#
et
pétitionnèrent à l’intention du conseil municipal de Naples en faveur de la
fondation d’un centre artistique et culturel pour les femmes dans le
quartier de Posillipo, où était sise leur coopérative.
[image: Les Nemesiache : réclamer des rites mythologiques - AWARE Artistes
femmes / women artists]
Les Nemesiache : réclamer des rites mythologiques - AWARE Artistes femmes /
women artists]
La Rassegna était soutenue par des subventions publiques locales, mais
c’est surtout grâce au travail en commun permis par la forme coopérative
que le festival put survivre et maintenir son autonomie. Les films de
L. Mangiacapre furent tous produits et distribués par Le Tre Ghinee, bien
qu’elle les ait écrits et réalisés seule. C’est grâce à cette production
collective que les Nemesiache furent le seul groupe féministe italien à
réaliser des longs métrages 35 mm, notamment *Didone non è morta *[Didon
n’est pas morte, 1987] et *Faust/Fausta *(1991), réalisés et écrits par
L. Mangiacapre et produits avec le groupe. Dans ces deux films, l’adhésion
au mythe des Nemesiache se manifeste par une énergie vibrante qui leur
permet de se réapproprier le passé et de revendiquer l’avenir, explorant
l’abandon de la binarité de genre. L’expérimentation autour de l’androgynie
ainsi que des rôles et des rapports entre les genres alternatifs fut un
thème important de la production culturelle du groupe, en particulier à
partir des années 1980, avec la proposition d’un corps nomade et d’une
subjectivité féministe mouvante.
Dans leurs films, les Amazones cosmonautes des Nemesiache déploient la
notion de cinéma comme une pratique militante de l’imagination : un cinéma
qui exprime une vision du monde comme un espace de liberté politique,
émotionnelle, intellectuelle et physique à faire advenir.
Traduit de l’anglais par Delphine Wanes.
Sonia D’Alto est curatrice, écrivaine et éducatrice. Elle poursuit
actuellement un doctorat axé sur la pratique à la HFBK de Hambourg sur
l’utilisation des imageries féministes et leur relation avec la production
culturelle, les revendications politiques et les stratégies futures.
Ses recherches et sa pratique curatoriale abordent les relations entre la
superstition et la modernité, le folklore et les taxonomies du pouvoir à
travers des gestes féministes, des pratiques magiques décoloniales et des
cosmologies subalternes. Avec ces thématiques, elle a collaboré avec des
institutions et des collectifs artistiques et a participé à l’organisation
de résidences d’artistes. Elle est enseignante dans le programme d’études
curatoriales de la KASK & Conservatorium, Université de Gand, ainsi qu’au
S.M.A.K. Gand. Un livre qu’elle a dirigé sera bientôt publié sur Archive
Books ; elle est éditrice de la première monographie sur les Nemesiache, à
paraître chez Mousse Publishing.