Frontex renforce son réseau de contrôle indirect en Afrique, au-delà de la route migratoire des îles Canaries. (article d'El Salto)

miladyrenoirmiladyrenoir
2025-12-3 15:50

Aux îles Canaries, territoire frontalier entre l’Afrique de l’Ouest et

l’Europe, la mise en œuvre de la politique migratoire de l’Union européenne

est assurée par l’une de ses agences dotée du budget le plus important.

https://www.elsaltodiario.com/islas-canarias/frontex-ruta-canaria-criticas-interrogatorios-al-control-indirecto-africa#comentarios

[image: Gran Canaria ABDOULIE - 3]

Christian Martínez

https://www.elsaltodiario.com/autor/christian-martinezManifestation

suite à la mort d’Abdoulie Bah aux mains de la police en Espagne.

Alicia Justo https://www.elsaltodiario.com/autor/alicia-justo

@aliciajusto.bsky.social https://bsky.app/profile/aliciajusto.bsky.social

1er décembre 2025, 5h30

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Les îles Canaries constituent depuis des années un élément clé de la

politique de contrôle des frontières, une caractéristique déterminante de

l’Union européenne (UE). De ce fait, la présence d’agents de l’ Agence

européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex)

https://www.elsaltodiario.com/frontex est courante sur les principales

îles d’accueil. Parallèlement, certaines autorités et certains secteurs de

la société réclament un déploiement accru de cette agence dans l’archipel,

malgré les doutes qui entourent son action. « L’approche de Frontex est

axée sur la sécurité, et non sur l’humanitaire », explique Koldobi Velasco,

membre de Nonviolent Direct Action et de l’Alternative antimilitariste

(MOC).

Depuis sa réactivation en 2020, la présence de Frontex aux îles Canaries se

limite aux opérations portuaires menées dans le cadre de l’opération Hera

https://www.interior.gob.es/opencms/es/detalle/articulo/La-Guardia-Civil-da-comienzo-a-la-9-edicion-de-la-operacion-EPN-HERA-2015-como-respuesta-al-flujo-masivo-de-inmigrantes-irregulares-a-las-costas-de-las-Islas-Canarias/

.

Lancée en 2006 lors de la première crise des cayucos, cette opération a

connu plusieurs phases. Dans une réponse à El Salto, Frontex indique que

ses agents sont présents sur les îles pour appuyer les autorités espagnoles

dans la gestion des frontières. Leurs missions consistent notamment à

contrôler, prendre les empreintes digitales et enregistrer les migrants

arrivant par la mer, précise l’agence. Elle ajoute que, lors d’entretiens

volontaires, ils recueillent des informations sur les pays d’origine des

migrants, les raisons de leur voyage, les itinéraires empruntés, leur

vulnérabilité et les preuves d’implication de trafiquants d’êtres humains.

L’agence compte 70 agents et personnels spécialisés dans les îles, dont 18

interprètes et médiateurs culturels, selon les données communiquées cet

été. La durée de leur séjour varie en fonction des besoins opérationnels.

Des sources au sein de Frontex indiquent également que leur intervention «

repose sur une coopération opérationnelle avec les autorités nationales

espagnoles » et affirment que le personnel de Frontex contribue à

l’identification et à l’orientation des personnes susceptibles d’avoir

besoin d’une protection internationale, des victimes potentielles de traite

des êtres humains, des mineurs non accompagnés et d’autres personnes

vulnérables. « Les agents fournissent également des informations initiales

aux personnes qui ont besoin ou souhaitent demander une protection

internationale, en veillant à ce qu’elles connaissent leurs droits et les

procédures disponibles », précisent les mêmes sources.

L’agence compte 70 agents et personnels spécialisés dans les îles, dont 18

interprètes et médiateurs culturels, selon les données fournies cet été.

Le déploiement de l’agence est fondé sur les demandes des États membres de

l’UE. Ainhoa Ruiz Benedicto, fondatrice de l’Observatoire de la Bretxa et

du Centre Delàs pour les études sur la paix, précise que Frontex intervient

toujours à la demande d’un État membre et dans le cadre d’une coopération

ou d’une collaboration. Aux îles Canaries, les interventions ont lieu dans

les ports et les centres de rétention administrative pour étrangers (CATE).

Le gouvernement des îles Canaries a demandé un renforcement de la présence

de l’agence sur son territoire, « avec des aéronefs, des navires, des

radars et d’autres systèmes afin d’améliorer la surveillance maritime et

frontalière », selon un communiqué du gouvernement régional. Il exige

également que l’agence soit autorisée à participer aux opérations d’aide

humanitaire et de sauvetage en mer.

Malgré la récente demande du gouvernement régional en août dernier,

l’action de Frontex se limite depuis des années à des missions de

renseignement et d’identification, sans aucune action humanitaire. En 2023,

Por Causa alertait sur le risque que les îles Canaries deviennent un *point

chaud migratoire *, une porte d’entrée critique, à l’instar de Lampedusa ou

Lesbos. L’effondrement du quai d’Arguineguín à Gran Canaria en 2020

illustre ce risque. « Il est curieux que Frontex soit toujours sollicitée,

mais sans que son rôle ne soit d’apporter une aide logistique ou

humanitaire, de soutenir les hôpitaux susceptibles d’être débordés ou

d’appuyer le système éducatif. Au final – et c’est l’avis d’un analyste –

tous les renforts demandés servent uniquement à intercepter ces flux

migratoires, à empêcher les migrants d’arriver jusqu’ici », souligne

Benedicto.

L’opération actuelle diffère de celle déployée lors de la première crise

des bateaux de migrants, au cours de laquelle les navires et avions de

Frontex ont surveillé les eaux au large des îles Canaries, de la

Mauritanie, du Cap-Vert et du Sénégal – la première opération d’envergure

de l’agence. L’intervention de Frontex en haute mer nécessite un accord

avec les pays d’Afrique de l’Ouest. L’organisation Statewatch, dans son

rapport de cette année intitulé « *Exporter les frontières : Frontex et

l’expansion de la forteresse européenne en Afrique de l’Ouest » *, révèle

que le directeur de l’agence, Hans Leijtens, a exprimé des réticences quant

au lancement d’opérations en Mauritanie et au Sénégal : « Il est beaucoup

plus difficile de coopérer avec les pays africains et, pour être franc, je

suis très réticent », selon ses propos cités dans le document. Par

ailleurs, Benedicto ajoute que, tandis que l’Italie et la Grèce ont

tendance à s’appuyer davantage sur Frontex, l’Espagne préfère garder le

contrôle de ses opérations.

L’une des préoccupations soulevées par la collecte de données sur les

migrants concerne l’utilisation qui en est faite. Une enquête d’El País a

révélé que certaines informations recueillies lors des contrôles d’identité

après l’arrivée des migrants avaient été transmises illégalement à Europol.

À ce sujet, Benedicto s’interroge sur les conditions dans lesquelles ces

informations ont été obtenues et partagées avec cette agence, et sur

l’existence de garanties en matière de droits et de protection des données.

De même, Velasco souligne que la collecte d’informations sur les migrants

constitue un exercice de contrôle et de répression, qui sert les intérêts

du contrôle des frontières. « C’est extrêmement dangereux car ces

informations ne bénéficient d’aucune protection ; ce sont des données que

Frontex commercialise », insiste-t-il.

Frontex et les schémas présumés des bateaux de migrants

Le travail des agents de Frontex en matière d’identification des migrants

aux ports d’entrée des îles Canaries et les accusations portées contre les

capitaines présumés des navires ont été remis en question par le Médiateur

espagnol. En 2022, ce dernier a recommandé une révision des plans

opérationnels de Frontex en Espagne afin de garantir que le contenu et la

durée des entretiens soient limités aux aspects strictement nécessaires,

que les entretiens portant sur des sujets susceptibles d’être liés à la

commission d’infractions pénales soient évités et que les vérifications

nécessaires soient effectuées pour s’assurer que les personnes interrogées

sont en état physique et mental de participer et de donner leur

consentement. Le Médiateur souligne également que ces entretiens sont menés

immédiatement après le débarquement, alors que les personnes sont « en

danger et vulnérables, privées de liberté, conscientes du risque d’être

refoulées et n’ont bénéficié d’aucune assistance juridique au moment de

l’entretien, mais seulement après », précise la recommandation.

De son côté, le rapport « *Violations des droits humains aux îles Canaries

2024 » *de Novact-Iridia alerte sur le fait que, dans certains cas, les

agents de Frontex à Tenerife n’ont pas été identifiés dans les rapports

officiels, que la participation de l’agence à ces interrogatoires n’est pas

mentionnée, et souligne que « ce sont les migrants eux-mêmes qui ont

confirmé la présence d’agents de Frontex ». Parallèlement, l’organisation

insiste sur le fait que, faute d’identification et de documentation de

leurs interventions, « aucun d’entre eux ne peut être convoqué pour

témoigner devant un tribunal ».

L’enquête menée par Novact-Iridia porte notamment sur le cas d’un jeune

Ivoirien accusé à tort de trafic d’êtres humains après avoir été interrogé

par des agents de la Police nationale et de Frontex. L’accusé, finalement

acquitté, a raconté avoir été conduit dans un bureau où un agent de Frontex

lui a parlé en français et a « seulement » cherché à obtenir des

informations sur l’itinéraire. Il a indiqué que l’agent avait en sa

possession son téléphone portable ainsi que celui de sa femme, décédée

durant la traversée avec leur fille. Il a déclaré à l’organisation avoir vu

sur un écran que l’intégralité du contenu de son téléphone avait été

téléchargée. Les organisations soulignent le manque de transparence et

d’objectivité des critères de sélection des témoins dans les accusations

portées contre les présumés capitaines d’embarcations de migrants et font

remarquer que « la Police nationale et Frontex s’interrogent mutuellement

sans méthode concertée ».

Contrôle des migrations sur la route des îles Canaries en provenance du

Sénégal et de la Mauritanie. Contrôle des migrations sur la route des îles

Canaries depuis le Sénégal et la Mauritanie. Les migrants passent par le

Sénégal et la Mauritanie.

« Frontex participe à la perpétuation du projet néocolonial en Afrique.

C’est un élément clé de l’externalisation des frontières et de la formation

des forces de sécurité, transformant ces pays en points de passage

frontaliers de l’UE sans aucun contrôle ni inspection », souligne Velasco.

En Afrique de l’Ouest se trouve l’autre versant du contrôle que l’Europe

exerce sur la route migratoire des îles Canaries. Frontex considère

l’Afrique de l’Ouest comme une région prioritaire. Dans son rapport de

2024, « *Coopération entre Frontex et les pays tiers » *, l’agence souligne

qu’en cette année-là, face à l’augmentation des flux migratoires le long de

la route atlantique, la coopération avec le Sénégal, la Mauritanie et la

Gambie était essentielle.

Frontex affirme ne pas intervenir en Mauritanie ni au Sénégal. Pourtant,

selon plusieurs organisations œuvrant sur les questions migratoires au

Sénégal, cette agence est indirectement liée à d’autres organismes et

programmes actifs sur le terrain. Par exemple, dans ce pays, d’après

Ibrahima Konate, chercheur indépendant et fondateur de l’ONG Missing Voices

REER, cette coopération se traduit par des formations et un soutien

technique à la Police aérienne et des frontières (PAF) et à la Direction de

la surveillance territoriale (DST), des échanges de données et

d’informations sur les routes migratoires, ainsi que la présence de

conseillers européens dans certaines opérations qualifiées de « lutte

contre l’immigration irrégulière ».

Par ailleurs, en 2010, Frontex a contribué à la création de la Communauté

de renseignement Afrique-Frontex (AFIC), présente dans 32 pays africains,

dont le Sénégal, la Gambie et la Mauritanie. Comme indiqué sur le site web

de l’agence, cet organisme a été créé pour faciliter l’échange

d’informations sur le trafic de migrants et les menaces à la sécurité des

frontières. Les activités de l’AFIC ont également été analysées par

Statewatch, qui explique que les États membres échangent des données

statistiques, des études de cas et des descriptions des *modes

opératoires, *notamment en matière de gestion et de sécurité des

frontières, ainsi que d’analyse des risques. Statewatch souligne également

que les projets connexes sont souvent menés en dehors du cadre d’accords de

coopération formels, ce qui les rend plus difficiles à suivre et à

contrôler.

Dans le cadre de l’AFIC, les cellules d’analyse des risques (CAR),

composées d’analystes locaux formés par Frontex, collectent et analysent

des données sur la criminalité transfrontalière et apportent leur soutien

aux autorités de gestion des frontières. Ce soutien porte notamment sur les

passages illégaux de frontières, la falsification de documents, la traite

des êtres humains et d’autres formes de criminalité transfrontalière, comme

détaillé sur le site web de Frontex. Huit cellules de ce type sont

présentes en Afrique : en Côte d’Ivoire, en Gambie, au Ghana, au Sénégal,

au Niger, au Nigéria, au Togo et en Mauritanie, où la plus récente a été

créée en 2022.

Par ailleurs, Frontex dispose également d’agents de liaison (FLO) basés à

Dakar, en Afrique, dont la zone de responsabilité s’étend à la Gambie et à

la Mauritanie, selon son site web. Konate explique qu’« un agent de liaison

de Frontex est basé au Sénégal et effectue des déplacements réguliers entre

le port de Dakar, l’aéroport et le centre d’analyse de l’AFIC. Ainsi, même

si Frontex ne possède pas encore de base officielle au Sénégal, sa présence

est bien réelle et l’organisation est déjà intégrée aux systèmes de

sécurité et de contrôle des migrations du pays », affirme-t-il.

Également située dans la capitale sénégalaise, une autre agence de contrôle

des frontières a été créée par le gouvernement. Le Comité interministériel

de lutte contre l’immigration clandestine (CILEC), comme le souligne l’ONG

Alarm Phone, est composé en grande partie d’officiers supérieurs de l’armée

sénégalaise et a pour objectif de « poursuivre ceux qu’ils qualifient de

trafiquants et les accusent de trafic d’êtres humains ». « C’est un comité

semblable à Frontex, composé de marins et de gendarmes. Après 2022, date à

laquelle nous avons commencé à dénoncer les agissements de Frontex, cet

organisme a été créé et il fait pratiquement la même chose », explique Boza

Fii, membre de l’organisation sénégalaise. Selon son site web, les

responsabilités du CILEC comprennent la gestion des frontières, le

renforcement de la coopération internationale en matière de lutte contre le

trafic d’êtres humains et de sécurité des frontières, ainsi que la

surveillance des points de départ des bateaux. Cette agence a intercepté

3 521 migrants entre janvier et septembre de cette année, d’après son site

officiel.

De nombreux migrants interceptés sur les côtes ou en mer sont expulsés du

territoire par les autorités du pays ayant mené l’opération. L’une des

conséquences de la politique d’externalisation des frontières en Afrique

est la restriction de la mobilité des citoyens africains. La Communauté

économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) garantit la libre

circulation des citoyens de ses pays membres. Or, Konate critique le fait

que des citoyens munis de cartes d’identité CEDEAO soient expulsés du

Sénégal vers certains pays frontaliers, comme le Mali ou la Guinée. «

L’État sénégalais viole de manière flagrante le Protocole relatif à la

libre circulation des personnes au sein de la CEDEAO, puisque tous ces

étrangers qui quittent le Sénégal font partie de cette communauté.

Premièrement, des condamnations illégales sont prononcées et, deuxièmement,

des expulsions clandestines ont lieu, même à l’intérieur des frontières de

ces pays », affirme-t-il.

La réalité est que les arrivées par la route atlantique ont drastiquement

diminué cette année. Selon les données du ministère espagnol de

l’Intérieur, du 1er janvier au 15 novembre 2025, 14 690 personnes sont

arrivées par cette voie, soit 63 % de moins qu’à la même période en 2024.

Plusieurs facteurs expliquent ce déclin, notamment le renforcement de la

présence policière aux points de passage frontaliers dans les pays de

transit et d’origine, ainsi que les expulsions massives de migrants de

Mauritanie vers le Sénégal et le Mali. Human Rights Watch (HRW), se basant

sur des données du gouvernement mauritanien, a indiqué que le pays avait

expulsé 28 000 personnes cette année. Par ailleurs, selon une enquête

publiée par cette organisation, deux nouveaux centres de rétention pour

migrants ont été construits en Mauritanie, financés par des fonds publics

espagnols et européens.