immigration : une autre voie est possible, nécessaire, urgente Pour en finir avec le racisme et l’obscurantisme d’État par Pierre Tevanian (LMSI)

miladyrenoirmiladyrenoir
2025-12-2 16:57

immigration : une autre voie est possible, nécessaire, urgente

Pour en finir avec le racisme et l’obscurantisme d’État par Pierre Tevanian

https://lmsi.net/_Pierre-Tevanian_ - 29 novembre 2025

Près de deux ans après la terrifiante Union Sacrée de *toutes les droites,

fascistes inclus*

https://www.mediapart.fr/journal/politique/211223/apres-le-vote-de-loi-immigration-la-majorite-vacille-mais-reste-debout,

sur un texte de loi opérant un démantèlement sans précédent des droits

fondamentaux https://www.gisti.org/spip.php?article7153 et une

légitimation flambant neuve de l’abjecte « préférence nationale »

https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/191223/loi-immigration-pour-le-chercheur-antoine-math-il-s-agit-d-une-preference-nationale-deguisee,

alors que Marine Le Pen et Jordan Bardella pérorent à bon droit sur leur

éclatante « victoire idéologique »

https://www.mediapart.fr/journal/politique/211223/loi-immigration-le-rn-savoure-sa-victoire-ideologique,

à l’heure enfin où un éditorial du Monde nous ressort pour la millième

fois, sur l’air du scoop et du génie stratégique, que la gauche doit enfin

s’emparer de « l’immigration et l’insécurité » qui « taraudent les

Français », il apparait plus urgent que jamais de déverrouiller un débat

trop longtemps confisqué. C’est ce à quoi s’efforce Pierre Tevanian dans le

texte qui suit. Dans la foulée de son livre « On ne peut pas accueillir

toute la misère du monde ». En finir avec une sentence de mort

https://anamosa.fr/livre/on-ne-peut-pas-accueillir-toute-la-misere-du-monde/,

co-signé l’an passé avec Jean-Charles Stevens, et à l’invitation de la

revue Respect, pour son dernier numéro intitulé « Bienvenue » et

intégralement consacré à l’accueil des migrants, Pierre Tevanian a répondu

à la question suivante : *De quelle politique alternative avons-nous

besoin ?* De ces réflexions, le texte qui suit reprend les grandes lignes,

en les développant et en les prolongeant.

https://lmsi.net/IMG/jpg/mise_re_300dpi_1000pxaplat-600x864.jpg

Lorsqu’en juillet 2022 nous mettions sous presse notre ouvrage, « On ne

peut pas accueillir toute la misère du monde ». En finir avec une sentence

de mort, l’association Missing Migrants

https://missingmigrants.iom.int/fr recensait 23801 morts en méditerranée

pour la décennie passée, ainsi que 797 morts aux frontières Nord et Est de

la « forteresse Europe ». Un an plus tard, l’hécatombe s’élève à 20 089

morts en méditerranée et 1052 au Nord et à l’Est [1

https://lmsi.net/Immigration-une-autre-voie-est-possible-necessaire-urgente#nb1

]. Soit 5340 vies de plus en un an, fauchées par une politique concertée

qui, adossée à ce simple dicton sur la « misère du monde », s’arroge

insolemment le monopole de la « raison » et de la « responsabilité ».

C’est de là qu’il faut partir, et là qu’il faut toujours revenir, lorsqu’on

parle d’ « immigration » et de « politique d’immigration ». C’est à ce

« reste » consenti de la « gestion » technocratique des « flux

migratoires » que nous revenons constamment, opiniâtrement, dans notre

livre, afin de ré-humaniser un débat public que cinq décennies de démagogie

extrémiste – mais aussi de démagogie gouvernante – ont tragiquement

déshumanisé.

L’urgence est là, si l’on se demande quelle politique alternative doit être

inventée, et tout le reste en découle. Il s’agit de libérer notre capacité

de penser, mais aussi celle de sentir, de ressentir, d’être affectés, si

longtemps verrouillées, intimidées, médusées par le matraquage de ce dicton

et de son semblant d’évidence. Ici comme en d’autres domaines (les choix

économiques néolibéraux, le démantèlement des services publics et des

droits sociaux), le premier geste salutaire, celui qui détermine tous les

autres mais nécessite sans doute le principal effort, est un geste

d’émancipation, d’empowerment

https://fr.wikipedia.org/wiki/Empowerment citoyen,

de sortie du mortifère « TINA » : « There Is No Alternative ».

Le reste suivra. L’intelligence collective relèvera les défis, une fois

libérée par ce préalable nécessaire que l’on nomme le courage politique. La

question fatidique, ultime, « assassine » ou se voulant telle : « Mais que

proposez-vous ? », trouvera alors mille réponses, infiniment plus

« réalistes » et « rationnelles » que l’actuel « pantomime » de raison et

de réalisme auquel se livrent nos gouvernants. Si on lit attentivement

notre livre, chaque étape de notre propos critique contient en germe, ou

« en négatif », des éléments « propositionnels », des pistes, voire un

« programme » alternatif tout à fait réalisable. On se contentera ici d’en

signaler quelques-uns – en suivant l’ordre de notre critique, mot à mot, du

sinistre dicton : « nous » - « ne pouvons pas » - « accueillir » -

« toute » - « la misère du monde ».

Déconstruire le « nous », oser le « je ».

Tout commence par là. Se re-subjectiver, diraient les philosophes,

c’est-à-dire, concrètement : renouer avec sa capacité à penser et agir, et

pour cela s’extraire de ce « on » tellement commode pour s’éviter de penser

(« on sait bien que ») mais aussi s’éviter de répondre de ses choix (en

diluant sa responsabilité dans un « nous » national). Assumer le « je »,

c’est accepter de partir de cette émotion face à ces milliers de vies

fauchées, qui ne peut pas ne pas nous étreindre et nous hanter, si du moins

nous arrêtons de l’étouffer à coup de petites phrases.

C’est aussi se ressouvenir et se ré-emparer de notre capacité de penser, au

sens fort : prendre le temps de l’information, de la lecture, de la

discussion, de la rencontre aussi avec les concernés – cette

« immigration » qui se compose de personnes humaines. C’est enfin, bien

entendu, nourrir la réflexion, l’éclairer en partant du réel plutôt que

des fantasmes et phobies d’invasion, et pour cela valoriser

(médiatiquement, politiquement, culturellement) la somme considérable de

travaux scientifiques (historiques, sociologiques, démographiques,

économiques, géographiques [2

https://lmsi.net/Immigration-une-autre-voie-est-possible-necessaire-urgente#nb2

]) qui tous, depuis des décennies, démentent formellement ces

fantasmagories.

Inventer un autre « nous », c’est abandonner ce « nous national » que

critique notre livre, ce « nous » qui solidarise artificiellement

exploiteurs et exploités, racistes et antiracistes, tout en excluant

d’office une autre partie de la population : les résidents étrangers. Et

lui substituer un « nous citoyen » beaucoup plus inclusif – inclusif

notamment, pour commencer, lorsqu’il s’agit de débattre publiquement, et de

« composer des panels » de participants au débat : la dispute sur

l’immigration ne peut se faire sans les immigré·e·s, comme celle sur la

condition féminine ne peut se faire sans les femmes.

Ce nouveau « nous » devra toutefois être exclusif lui aussi, excluant et

intolérant à sa manière – simplement pas avec les mêmes. Car rien de

solidement et durablement positif et inclusif ne pourra se construire sans

un moment « négatif » assumé de rejet d’une certaine composante de la

« nation française », pour le moment « entendue », « comprise », excusée et

cajolée au-delà de toute décence : celle qui exprime de plus en plus

ouvertement et violemment son racisme, en agressant des migrant·e·s, en

menaçant des élu·e·s, en incendiant leurs domiciles. Si déjà l’autorité de

l’État se manifestait davantage pour soutenir les forces politiques, les

collectifs citoyens, les élus locaux qui « accueillent », et réprimer

celles qui les en empêchent en semant une véritable terreur, un grand pas

serait fait.

Reconsidérer notre « impuissance »… et notre puissance.

Nous ne « pouvons » pas accueillir, nous dit-on, ou nous ne le pouvons

plus. L’alternative, ici encore, consisterait à revenir au réel, et à

l’assumer publiquement – et en premier lieu médiatiquement. La France est

la seconde puissance économique européenne, la sixième puissance économique

du monde, et l’un des pays au monde – et même en Europe – qui

« accueille », en proportion de sa population totale, le moins de

réfugié·e·s ou d’étranger·e·s. Parmi des dizaines de chiffres que nous

citons, celui-ci est éloquent : 86% des émigrant·e·s de la planète trouvent

refuge dans un pays « en développement ». Ou celui-ci : seuls 6,3% des

personnes déplacées trouvent refuge dans un pays de l’Union européenne [3

https://lmsi.net/Immigration-une-autre-voie-est-possible-necessaire-urgente#nb3

].

Reconsidérer notre puissance, c’est aussi, on l’a vu, se rendre attentif au

potentiel déjà existant : publiciser les initiatives locales de centres

d’accueil ou de solidarités plus informelles, dont il est remarquable

qu’elles sont rarement le fait de personnes particulièrement riches. C’est

aussi défendre cette « puissance d’accueil » quand elle est menacée par des

campagnes d’extrême droite, la valoriser au lieu de la réprimer. C’est donc

aussi, très concrètement, abroger l’infâme « délit de solidarité »

https://www.gisti.org/spip.php?article1399 au nom duquel on a persécuté

Cédric Herrou et tant d’autres. Aucun prétexte ne tient pour maintenir ce

dispositif « performatif » (qui « déclare » l’accueil impossible, par

l’interdit, afin de le rendre impossible, dans les faits). « Filières

mafieuses », sur-exploitation des travailleurs sans-papiers, « marchands de

sommeil » : tous ces fléaux sociaux pourraient parfaitement être combattus

avec un arsenal légal délesté de ce sinistre « délit de solidarité » : le

Droit du travail, le Droit du logement, et plus largement tout l’appareil

pénal qui réprime déjà toute forme de violence, d’extorsion et d’abus de

faiblesse.

Repenser l’accueil, oser l’égalité.

Si notre livre combat le rejet et valorise la solidarité, il critique

pourtant la notion d’accueil ou celle d’hospitalité, telle qu’elle est

mobilisée dans notre débat public. Pour une raison principalement : en

entretenant la confusion entre le territoire national et la *sphère

domestique*, le paradigme de l’hospitalité encourage les paniques sociales

les plus irrationnelles (à commencer par le sentiment d’ « invasion »),

mais aussi les régressions autoritaires les plus nocives (ce fameux « On

est chez nous ! », qui assimile les étranger·e·s, fussent-ils ou elles

titulaires d’un logement qui leur est propre, d’un bail ou d’un titre de

propriété, à des intrus qui nous placent en situation de « légitime

défense »). Ce qui est ainsi évacué du débat, c’est ni plus ni moins qu’un

principe constitutionnel : le principe d’égalité de traitement de toutes et

tous sur le territoire d’une république démocratique. Plusieurs dispositifs

légaux, ici encore, seraient à abroger, parce qu’ils dérogent à ce principe

d’égalité : la « double peine » https://lmsi.net/Abroger-la-double-peine,

les « emplois réservés » https://lmsi.net/Des-millions-d-emplois-interdits

sans parler de la citoyenneté elle-même, qui gagnerait à être, comme dans

la majorité des pays européens, ouvertes au moins partiellement aux

résident·e·s étranger·e·s.

Enfin, bien en deçà de ces mesures tout à fait réalisables, une urgence

s’impose : avant de se demander si l’on va « accueillir », on pourrait

commencer par laisser tranquilles les nouveaux arrivants. À défaut de les

« loger chez soi », arrêter au moins de les déloger, partout où, avec

leurs propres forces, à la sueur de leur front, ils ou elles élisent

domicile – y compris quand il s’agit de simples tentes, cabanons et autres

campements de fortune.

Repenser le « tout », assumer les droits indivisibles

Là encore la première des priorités, celle qui rend possible la suite,

serait une pédagogie politique, et avant cela l’arrêt de la démagogie. Car

là encore tout est connu, établi et documenté par des décennies de travaux,

enquêtes, rapports, publiés par des laboratoires de recherche, des

institutions internationales – et même des parlementaires de droite [4

https://lmsi.net/Immigration-une-autre-voie-est-possible-necessaire-urgente#nb4

].

Il suffirait donc que ce savoir soit publicisé et utilisé pour éclairer le

débat, en lieu et place de l’obscurantisme d’État qui fait

qu’actuellement, des ministres continuent de mobiliser des fictions (le

risque d’invasion et de submersion, le « coût de l’immigration », mais

aussi ses effets « criminogènes ») que même les élus de leurs propres

majorités démentent lorsqu’ils s’attèlent à un rapport parlementaire sur

l’état des connaissances en la matière. Nous l’avons déjà dit : à l’échelle

de la planète, seules 6,3% des personnes déplacées parviennent aux « portes

de l’Europe » – et encore ce calcul n’inclut-il pas la plus radicale des

« misères du monde », celle qui tue ou cloue sur place des populations,

sans possibilité aucune de se déplacer. Cette vérité devrait suffire, si

l’on osait la dire, pour congédier toutes les psychoses sur une supposée

« totalité » miséreuse qui déferlerait « chez nous ».

À l’opposé de cette « totalité » factice, prétendument « à nous portes »,

il y a lieu de repenser, assumer et revendiquer, sur un autre mode, et là

encore à rebours de ce qui se pratique actuellement, une forme de

« totalité » : celle qui sous-tend l’universalité et l’indivisibilité des

droits humains, et du principe d’égalité de traitement : « tout »

arrivant, on doit le reconnaître, a droit de bénéficier des mêmes

protections, qu’il soit chrétien, juif ou musulman, que sa peau soit claire

ou foncée, qu’il vienne d’Ukraine ou d’Afghanistan. Le droit d’asile, les

dispositifs d’accueil d’urgence, les droits des femmes, les droits de

l’enfant, le droit de vivre en famille, les droits sociaux, et au-delà

l’ensemble du Droit déjà existant (rappelons-le !), ne doit plus souffrir

une application à géométries variables.

Il s’agit en l’occurrence de rompre, au-delà des quatre décennies de

« lepénisation » qui ont infesté notre débat public, avec une tradition

centenaire de discrimination institutionnelle : cette « pensée d’État » qui

a toujours classé, hiérarchisé et « favorisé » certaines « populations » au

détriment d’autres, toujours suivant les deux mêmes critères : le *profit

économique* (ou plus précisément le marché de l’emploi et les besoins

changeants du patronat) et la phobie raciste (certaines « cultures »

étant déclarées moins « proches » et « assimilables » que d’autres, voire

franchement « menaçantes »).

Respecter la « misère du monde », reconnaître sa richesse.

Il n’est pas question, bien sûr, de nier la situation de malheur, parfois

extrême, qui est à l’origine d’une partie importante des migrations

internationales, en particulier quand on fuit les persécutions, les

guerres, les guerres civiles ou les catastrophes écologiques. Le problème

réside dans le fait de réduire des personnes à cette appellation

abstraite déshumanisante, essentialisante et réifiante : « misère du

monde », en niant le fait que les migrant·e·s, y compris les plus

« misérables », arrivent avec leurs carences sans doute, leurs traumas,

leurs cicatrices, mais aussi avec leur rage de vivre, leur créativité,

leur force de travail, bref : leur puissance. Loin de se réduire à une

situation vécue, dont précisément ils et elles cherchent à s’arracher,

ce sont de potentiels producteurs de richesses, en tant que travailleurs et

travailleuses, cotisant·e·s et consommateurs·trices. Loin d’être seulement

des corps souffrants à prendre en charge, ils et elles sont aussi, par

exemple, des médecins et des aides-soignant·es, des auxiliaires de vie,

des assistantes maternelles, et plus largement des travailleurs et des

travailleuses du care – qui viennent donc, eux-mêmes et elles-mêmes, pour

de vrai, accueillir et prendre en charge « notre misère ». Et cela d’une

manière tout à fait avantageuse pour « nous », puisqu’ils et elles arrivent

jeunes, en âge de travailler, déjà formé·es, et se retrouvent le plus

souvent sous-payé·es par rapport aux standards nationaux.

Là encore, la solution se manifeste d’elle-même dès lors que le problème

est bien posé : il y a dans ladite « misère du monde » *une richesse

humaine*, économique notamment mais pas seulement, qu’il serait intéressant

de cultiver et associer au lieu de la saboter ou l’épuiser par le

harcèlement policier, les dédales administratifs et la surexploitation.

L’une des mises en pratique concrète de ce virage politique serait bien sûr

une opération de régularisation massive des sans-papiers, permettant (nous

sommes là encore en terrain connu, éprouvé et documenté) de soustraire les

concerné·e·s des « sous-sols » de l’emploi « pour sans-papiers »,

véritable « délocalisation

sur place »

https://www.cairn.info/sans-papiers-l-archaisme-fatal–9782707130501-page-9.htm,

et de leur donner accès aux étages officiels de la vie économique, ainsi

qu’au Droit du travail qui le régit.

Il y a enfin, encore et toujours, ce travail de pédagogie à accomplir, qui

nécessite simplement du courage politique : populariser le consensus

scientifique existant depuis des décennies, quelles que soit les périodes

ou les espaces (états-unien, européen, français, régional), concernant

l’impact de l’immigration sur l’activité et la croissance économique,

l’emploi et les salaires des autochtones, l’équilibre des finances

publiques, bref : la vie économique au sens large. Que ces études soient

l’oeuvre d’institutions internationales ou de laboratoires de recherche,

elles n’ont cessé de démontrer que « le coût de l’immigration » est tout

sauf avéré, que les nouveaux arrivant·e·s constituent davantage une aubaine

qu’une charge, et qu’on pourrait donc aussi bien parler de « la jeunesse du

monde » ou de « la puissance du monde » que de sa « misère ».

Redevenir moraux, enfin.

Le mot a mauvaise presse

https://lmsi.net/Plaidoyer-pour-les-bons-sentiments, où que l’on se

trouve sur l’échiquier politique, et l’on devrait s’en étonner. On devrait

même s’en inquiéter, surtout lorsque, comme dans ce « débat sur

l’immigration », il est question, ni plus ni moins que de vies et de morts.

Les ricanements et les postures viriles devraient s’incliner – ou nous

devrions les forcer à s’incliner – devant *la prise en considération de

l’autre*, qui constitue ce que l’on nomme la morale, l’éthique ou tout

simplement notre humanité. Car s’il est à l’évidence louable de refuser de

« faire la morale » à des adultes consentants sur des questions d’identité

sexuelle ou de sexualité qui n’engagent qu’elles ou eux, sans nuire à

autrui, il n’en va pas de même lorsque c’est la vie des autres qui est en

jeu. Bref : l’interdit de plus en plus impérieux qui prévaut dans nos

débats sur l’immigration, celui de « ne pas culpabiliser » l’électeur

lepéniste, ne saurait être l’impératif catégorique ultime d’une démocratie

saine.

Pour le dire autrement, au-delà de la « misère » que les migrant·e·s

cherchent à fuir, et de la « puissance » qu’ils ou elles injectent dans la

vie économique, lesdit·es migrant·e·s sont une infinité d’autres choses :

des sujets sociaux à part entière, doté·e·s d’une culture au sens le

plus large du terme, et d’une personnalité, d’une créativité,

irréductible à toute appellation expéditive et englobante (aussi bien

« misère » que « richesse », aussi bien « charge » que « ressource »). Et

s’il n’est pas inutile de rappeler tout le potentiel économique, toute

l’énergie et « l’agentivité » de ces arrivant·e·s, afin de congédier les

fictions anxiogènes sur « l’invasion » ou « le coût de l’immigration », il

importe aussi et surtout de dénoncer l’égoïsme sordide de tous les

questionnements focalisés sur les coûts et les avantages – et d’assumer

plutôt un questionnement éthique. Car une société ne se fonde pas

seulement sur des intérêts à défendre, mais aussi sur des principes à

honorer – et il en va de même de toute subjectivité individuelle.

Le réalisme dont se réclament volontiers nos gouvernants exige en somme

que l’on prenne en compte aussi cette réalité-là : nous ne vivons pas

seulement de pain, d’eau et de profit matériel, mais aussi de valeurs que

nous sommes fiers d’incarner et qui nous permettent de nous regarder dans

une glace. Personne ne peut ignorer durablement ces exigences morales sans

finir par le payer, sous une forme ou une autre, par une inexpugnable

honte. Et s’il est précisément honteux, inacceptable aux yeux de tous,

de refuser des soins aux enfants, aux vieillards, aux malades ou aux

handicapé·e·s en invoquant leur manque de « productivité » et de

« rentabilité », il devrait être tout aussi inacceptable de le faire

lorsque lesdit·es enfants, vieillards, malades ou handicapé·e·s viennent

d’ailleurs – sauf à sombrer dans la plus simple, brutale et abjecte

inhumanité.

p.-s. Ce texte est paru initialement en septembre sur Mediapart.

Le livre de Pierre Tevanian et Jean-Charles Stevens, *« On ne peut pas

accueillir toute la misère du monde ». En finir avec une sentence de mort*

https://anamosa.fr/livre/on-ne-peut-pas-accueillir-toute-la-misere-du-monde/,

Éditions Anamosa, 2022, est disponible en librairie. 80 pages, 5 euros.

Respect, numéro 7, « Accueillir », Septembre 2023 est disponible en ligne

https://boutique.respect-media.fr/produit/respect-07 et en kiosque. 96

pages, 7,50 euros.

notes

[1

https://lmsi.net/Immigration-une-autre-voie-est-possible-necessaire-urgente#nh1

] Chiffres produits le 20 septembre 2023

[2

https://lmsi.net/Immigration-une-autre-voie-est-possible-necessaire-urgente#nh2

] Lire l’Atlas des migrations édité en 2023 par Migreurop.

[3

https://lmsi.net/Immigration-une-autre-voie-est-possible-necessaire-urgente#nh3

] Ces chiffres, comme les suivants, sont cités et référencés dans notre

livre, *« On ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». En finir

avec une sentence de mort*, op. cit.

[4

https://lmsi.net/Immigration-une-autre-voie-est-possible-necessaire-urgente#nh4

] Nous citons dans notre ouvrage ces différents rapports.

https://missingmigrants.iom.int/fr

https://lmsi.net/Immigration-une-autre-voie-est-possible-necessaire-urgente#forum

https://missingmigrants.iom.int/fr