immigration : une autre voie est possible, nécessaire, urgente
Pour en finir avec le racisme et l’obscurantisme d’État par Pierre Tevanian
https://lmsi.net/_Pierre-Tevanian_ - 29 novembre 2025
Près de deux ans après la terrifiante Union Sacrée de *toutes les droites,
fascistes inclus*
sur un texte de loi opérant un démantèlement sans précédent des droits
fondamentaux https://www.gisti.org/spip.php?article7153 et une
légitimation flambant neuve de l’abjecte « préférence nationale »
alors que Marine Le Pen et Jordan Bardella pérorent à bon droit sur leur
éclatante « victoire idéologique »
à l’heure enfin où un éditorial du Monde nous ressort pour la millième
fois, sur l’air du scoop et du génie stratégique, que la gauche doit enfin
s’emparer de « l’immigration et l’insécurité » qui « taraudent les
Français », il apparait plus urgent que jamais de déverrouiller un débat
trop longtemps confisqué. C’est ce à quoi s’efforce Pierre Tevanian dans le
texte qui suit. Dans la foulée de son livre « On ne peut pas accueillir
toute la misère du monde ». En finir avec une sentence de mort
https://anamosa.fr/livre/on-ne-peut-pas-accueillir-toute-la-misere-du-monde/,
co-signé l’an passé avec Jean-Charles Stevens, et à l’invitation de la
revue Respect, pour son dernier numéro intitulé « Bienvenue » et
intégralement consacré à l’accueil des migrants, Pierre Tevanian a répondu
à la question suivante : *De quelle politique alternative avons-nous
besoin ?* De ces réflexions, le texte qui suit reprend les grandes lignes,
en les développant et en les prolongeant.
https://lmsi.net/IMG/jpg/mise_re_300dpi_1000pxaplat-600x864.jpg
Lorsqu’en juillet 2022 nous mettions sous presse notre ouvrage, « On ne
peut pas accueillir toute la misère du monde ». En finir avec une sentence
de mort, l’association Missing Migrants
https://missingmigrants.iom.int/fr recensait 23801 morts en méditerranée
pour la décennie passée, ainsi que 797 morts aux frontières Nord et Est de
la « forteresse Europe ». Un an plus tard, l’hécatombe s’élève à 20 089
morts en méditerranée et 1052 au Nord et à l’Est [1
https://lmsi.net/Immigration-une-autre-voie-est-possible-necessaire-urgente#nb1
]. Soit 5340 vies de plus en un an, fauchées par une politique concertée
qui, adossée à ce simple dicton sur la « misère du monde », s’arroge
insolemment le monopole de la « raison » et de la « responsabilité ».
C’est de là qu’il faut partir, et là qu’il faut toujours revenir, lorsqu’on
parle d’ « immigration » et de « politique d’immigration ». C’est à ce
« reste » consenti de la « gestion » technocratique des « flux
migratoires » que nous revenons constamment, opiniâtrement, dans notre
livre, afin de ré-humaniser un débat public que cinq décennies de démagogie
extrémiste – mais aussi de démagogie gouvernante – ont tragiquement
déshumanisé.
L’urgence est là, si l’on se demande quelle politique alternative doit être
inventée, et tout le reste en découle. Il s’agit de libérer notre capacité
de penser, mais aussi celle de sentir, de ressentir, d’être affectés, si
longtemps verrouillées, intimidées, médusées par le matraquage de ce dicton
et de son semblant d’évidence. Ici comme en d’autres domaines (les choix
économiques néolibéraux, le démantèlement des services publics et des
droits sociaux), le premier geste salutaire, celui qui détermine tous les
autres mais nécessite sans doute le principal effort, est un geste
d’émancipation, d’empowerment
https://fr.wikipedia.org/wiki/Empowerment citoyen,
de sortie du mortifère « TINA » : « There Is No Alternative ».
Le reste suivra. L’intelligence collective relèvera les défis, une fois
libérée par ce préalable nécessaire que l’on nomme le courage politique. La
question fatidique, ultime, « assassine » ou se voulant telle : « Mais que
proposez-vous ? », trouvera alors mille réponses, infiniment plus
« réalistes » et « rationnelles » que l’actuel « pantomime » de raison et
de réalisme auquel se livrent nos gouvernants. Si on lit attentivement
notre livre, chaque étape de notre propos critique contient en germe, ou
« en négatif », des éléments « propositionnels », des pistes, voire un
« programme » alternatif tout à fait réalisable. On se contentera ici d’en
signaler quelques-uns – en suivant l’ordre de notre critique, mot à mot, du
sinistre dicton : « nous » - « ne pouvons pas » - « accueillir » -
« toute » - « la misère du monde ».
Déconstruire le « nous », oser le « je ».
Tout commence par là. Se re-subjectiver, diraient les philosophes,
c’est-à-dire, concrètement : renouer avec sa capacité à penser et agir, et
pour cela s’extraire de ce « on » tellement commode pour s’éviter de penser
(« on sait bien que ») mais aussi s’éviter de répondre de ses choix (en
diluant sa responsabilité dans un « nous » national). Assumer le « je »,
c’est accepter de partir de cette émotion face à ces milliers de vies
fauchées, qui ne peut pas ne pas nous étreindre et nous hanter, si du moins
nous arrêtons de l’étouffer à coup de petites phrases.
C’est aussi se ressouvenir et se ré-emparer de notre capacité de penser, au
sens fort : prendre le temps de l’information, de la lecture, de la
discussion, de la rencontre aussi avec les concernés – cette
« immigration » qui se compose de personnes humaines. C’est enfin, bien
entendu, nourrir la réflexion, l’éclairer en partant du réel plutôt que
des fantasmes et phobies d’invasion, et pour cela valoriser
(médiatiquement, politiquement, culturellement) la somme considérable de
travaux scientifiques (historiques, sociologiques, démographiques,
économiques, géographiques [2
https://lmsi.net/Immigration-une-autre-voie-est-possible-necessaire-urgente#nb2
]) qui tous, depuis des décennies, démentent formellement ces
fantasmagories.
Inventer un autre « nous », c’est abandonner ce « nous national » que
critique notre livre, ce « nous » qui solidarise artificiellement
exploiteurs et exploités, racistes et antiracistes, tout en excluant
d’office une autre partie de la population : les résidents étrangers. Et
lui substituer un « nous citoyen » beaucoup plus inclusif – inclusif
notamment, pour commencer, lorsqu’il s’agit de débattre publiquement, et de
« composer des panels » de participants au débat : la dispute sur
l’immigration ne peut se faire sans les immigré·e·s, comme celle sur la
condition féminine ne peut se faire sans les femmes.
Ce nouveau « nous » devra toutefois être exclusif lui aussi, excluant et
intolérant à sa manière – simplement pas avec les mêmes. Car rien de
solidement et durablement positif et inclusif ne pourra se construire sans
un moment « négatif » assumé de rejet d’une certaine composante de la
« nation française », pour le moment « entendue », « comprise », excusée et
cajolée au-delà de toute décence : celle qui exprime de plus en plus
ouvertement et violemment son racisme, en agressant des migrant·e·s, en
menaçant des élu·e·s, en incendiant leurs domiciles. Si déjà l’autorité de
l’État se manifestait davantage pour soutenir les forces politiques, les
collectifs citoyens, les élus locaux qui « accueillent », et réprimer
celles qui les en empêchent en semant une véritable terreur, un grand pas
serait fait.
Reconsidérer notre « impuissance »… et notre puissance.
Nous ne « pouvons » pas accueillir, nous dit-on, ou nous ne le pouvons
plus. L’alternative, ici encore, consisterait à revenir au réel, et à
l’assumer publiquement – et en premier lieu médiatiquement. La France est
la seconde puissance économique européenne, la sixième puissance économique
du monde, et l’un des pays au monde – et même en Europe – qui
« accueille », en proportion de sa population totale, le moins de
réfugié·e·s ou d’étranger·e·s. Parmi des dizaines de chiffres que nous
citons, celui-ci est éloquent : 86% des émigrant·e·s de la planète trouvent
refuge dans un pays « en développement ». Ou celui-ci : seuls 6,3% des
personnes déplacées trouvent refuge dans un pays de l’Union européenne [3
https://lmsi.net/Immigration-une-autre-voie-est-possible-necessaire-urgente#nb3
].
Reconsidérer notre puissance, c’est aussi, on l’a vu, se rendre attentif au
potentiel déjà existant : publiciser les initiatives locales de centres
d’accueil ou de solidarités plus informelles, dont il est remarquable
qu’elles sont rarement le fait de personnes particulièrement riches. C’est
aussi défendre cette « puissance d’accueil » quand elle est menacée par des
campagnes d’extrême droite, la valoriser au lieu de la réprimer. C’est donc
aussi, très concrètement, abroger l’infâme « délit de solidarité »
https://www.gisti.org/spip.php?article1399 au nom duquel on a persécuté
Cédric Herrou et tant d’autres. Aucun prétexte ne tient pour maintenir ce
dispositif « performatif » (qui « déclare » l’accueil impossible, par
l’interdit, afin de le rendre impossible, dans les faits). « Filières
mafieuses », sur-exploitation des travailleurs sans-papiers, « marchands de
sommeil » : tous ces fléaux sociaux pourraient parfaitement être combattus
avec un arsenal légal délesté de ce sinistre « délit de solidarité » : le
Droit du travail, le Droit du logement, et plus largement tout l’appareil
pénal qui réprime déjà toute forme de violence, d’extorsion et d’abus de
faiblesse.
Repenser l’accueil, oser l’égalité.
Si notre livre combat le rejet et valorise la solidarité, il critique
pourtant la notion d’accueil ou celle d’hospitalité, telle qu’elle est
mobilisée dans notre débat public. Pour une raison principalement : en
entretenant la confusion entre le territoire national et la *sphère
domestique*, le paradigme de l’hospitalité encourage les paniques sociales
les plus irrationnelles (à commencer par le sentiment d’ « invasion »),
mais aussi les régressions autoritaires les plus nocives (ce fameux « On
est chez nous ! », qui assimile les étranger·e·s, fussent-ils ou elles
titulaires d’un logement qui leur est propre, d’un bail ou d’un titre de
propriété, à des intrus qui nous placent en situation de « légitime
défense »). Ce qui est ainsi évacué du débat, c’est ni plus ni moins qu’un
principe constitutionnel : le principe d’égalité de traitement de toutes et
tous sur le territoire d’une république démocratique. Plusieurs dispositifs
légaux, ici encore, seraient à abroger, parce qu’ils dérogent à ce principe
d’égalité : la « double peine » https://lmsi.net/Abroger-la-double-peine,
les « emplois réservés » https://lmsi.net/Des-millions-d-emplois-interdits –
sans parler de la citoyenneté elle-même, qui gagnerait à être, comme dans
la majorité des pays européens, ouvertes au moins partiellement aux
résident·e·s étranger·e·s.
Enfin, bien en deçà de ces mesures tout à fait réalisables, une urgence
s’impose : avant de se demander si l’on va « accueillir », on pourrait
commencer par laisser tranquilles les nouveaux arrivants. À défaut de les
« loger chez soi », arrêter au moins de les déloger, partout où, avec
leurs propres forces, à la sueur de leur front, ils ou elles élisent
domicile – y compris quand il s’agit de simples tentes, cabanons et autres
campements de fortune.
Repenser le « tout », assumer les droits indivisibles
Là encore la première des priorités, celle qui rend possible la suite,
serait une pédagogie politique, et avant cela l’arrêt de la démagogie. Car
là encore tout est connu, établi et documenté par des décennies de travaux,
enquêtes, rapports, publiés par des laboratoires de recherche, des
institutions internationales – et même des parlementaires de droite [4
https://lmsi.net/Immigration-une-autre-voie-est-possible-necessaire-urgente#nb4
].
Il suffirait donc que ce savoir soit publicisé et utilisé pour éclairer le
débat, en lieu et place de l’obscurantisme d’État qui fait
qu’actuellement, des ministres continuent de mobiliser des fictions (le
risque d’invasion et de submersion, le « coût de l’immigration », mais
aussi ses effets « criminogènes ») que même les élus de leurs propres
majorités démentent lorsqu’ils s’attèlent à un rapport parlementaire sur
l’état des connaissances en la matière. Nous l’avons déjà dit : à l’échelle
de la planète, seules 6,3% des personnes déplacées parviennent aux « portes
de l’Europe » – et encore ce calcul n’inclut-il pas la plus radicale des
« misères du monde », celle qui tue ou cloue sur place des populations,
sans possibilité aucune de se déplacer. Cette vérité devrait suffire, si
l’on osait la dire, pour congédier toutes les psychoses sur une supposée
« totalité » miséreuse qui déferlerait « chez nous ».
À l’opposé de cette « totalité » factice, prétendument « à nous portes »,
il y a lieu de repenser, assumer et revendiquer, sur un autre mode, et là
encore à rebours de ce qui se pratique actuellement, une forme de
« totalité » : celle qui sous-tend l’universalité et l’indivisibilité des
droits humains, et du principe d’égalité de traitement : « tout »
arrivant, on doit le reconnaître, a droit de bénéficier des mêmes
protections, qu’il soit chrétien, juif ou musulman, que sa peau soit claire
ou foncée, qu’il vienne d’Ukraine ou d’Afghanistan. Le droit d’asile, les
dispositifs d’accueil d’urgence, les droits des femmes, les droits de
l’enfant, le droit de vivre en famille, les droits sociaux, et au-delà
l’ensemble du Droit déjà existant (rappelons-le !), ne doit plus souffrir
une application à géométries variables.
Il s’agit en l’occurrence de rompre, au-delà des quatre décennies de
« lepénisation » qui ont infesté notre débat public, avec une tradition
centenaire de discrimination institutionnelle : cette « pensée d’État » qui
a toujours classé, hiérarchisé et « favorisé » certaines « populations » au
détriment d’autres, toujours suivant les deux mêmes critères : le *profit
économique* (ou plus précisément le marché de l’emploi et les besoins
changeants du patronat) et la phobie raciste (certaines « cultures »
étant déclarées moins « proches » et « assimilables » que d’autres, voire
franchement « menaçantes »).
Respecter la « misère du monde », reconnaître sa richesse.
Il n’est pas question, bien sûr, de nier la situation de malheur, parfois
extrême, qui est à l’origine d’une partie importante des migrations
internationales, en particulier quand on fuit les persécutions, les
guerres, les guerres civiles ou les catastrophes écologiques. Le problème
réside dans le fait de réduire des personnes à cette appellation
abstraite déshumanisante, essentialisante et réifiante : « misère du
monde », en niant le fait que les migrant·e·s, y compris les plus
« misérables », arrivent avec leurs carences sans doute, leurs traumas,
leurs cicatrices, mais aussi avec leur rage de vivre, leur créativité,
leur force de travail, bref : leur puissance. Loin de se réduire à une
situation vécue, dont précisément ils et elles cherchent à s’arracher,
ce sont de potentiels producteurs de richesses, en tant que travailleurs et
travailleuses, cotisant·e·s et consommateurs·trices. Loin d’être seulement
des corps souffrants à prendre en charge, ils et elles sont aussi, par
exemple, des médecins et des aides-soignant·es, des auxiliaires de vie,
des assistantes maternelles, et plus largement des travailleurs et des
travailleuses du care – qui viennent donc, eux-mêmes et elles-mêmes, pour
de vrai, accueillir et prendre en charge « notre misère ». Et cela d’une
manière tout à fait avantageuse pour « nous », puisqu’ils et elles arrivent
jeunes, en âge de travailler, déjà formé·es, et se retrouvent le plus
souvent sous-payé·es par rapport aux standards nationaux.
Là encore, la solution se manifeste d’elle-même dès lors que le problème
est bien posé : il y a dans ladite « misère du monde » *une richesse
humaine*, économique notamment mais pas seulement, qu’il serait intéressant
de cultiver et associer au lieu de la saboter ou l’épuiser par le
harcèlement policier, les dédales administratifs et la surexploitation.
L’une des mises en pratique concrète de ce virage politique serait bien sûr
une opération de régularisation massive des sans-papiers, permettant (nous
sommes là encore en terrain connu, éprouvé et documenté) de soustraire les
concerné·e·s des « sous-sols » de l’emploi « pour sans-papiers »,
véritable « délocalisation
sur place »
https://www.cairn.info/sans-papiers-l-archaisme-fatal–9782707130501-page-9.htm,
et de leur donner accès aux étages officiels de la vie économique, ainsi
qu’au Droit du travail qui le régit.
Il y a enfin, encore et toujours, ce travail de pédagogie à accomplir, qui
nécessite simplement du courage politique : populariser le consensus
scientifique existant depuis des décennies, quelles que soit les périodes
ou les espaces (états-unien, européen, français, régional), concernant
l’impact de l’immigration sur l’activité et la croissance économique,
l’emploi et les salaires des autochtones, l’équilibre des finances
publiques, bref : la vie économique au sens large. Que ces études soient
l’oeuvre d’institutions internationales ou de laboratoires de recherche,
elles n’ont cessé de démontrer que « le coût de l’immigration » est tout
sauf avéré, que les nouveaux arrivant·e·s constituent davantage une aubaine
qu’une charge, et qu’on pourrait donc aussi bien parler de « la jeunesse du
monde » ou de « la puissance du monde » que de sa « misère ».
Redevenir moraux, enfin.
Le mot a mauvaise presse
https://lmsi.net/Plaidoyer-pour-les-bons-sentiments, où que l’on se
trouve sur l’échiquier politique, et l’on devrait s’en étonner. On devrait
même s’en inquiéter, surtout lorsque, comme dans ce « débat sur
l’immigration », il est question, ni plus ni moins que de vies et de morts.
Les ricanements et les postures viriles devraient s’incliner – ou nous
devrions les forcer à s’incliner – devant *la prise en considération de
l’autre*, qui constitue ce que l’on nomme la morale, l’éthique ou tout
simplement notre humanité. Car s’il est à l’évidence louable de refuser de
« faire la morale » à des adultes consentants sur des questions d’identité
sexuelle ou de sexualité qui n’engagent qu’elles ou eux, sans nuire à
autrui, il n’en va pas de même lorsque c’est la vie des autres qui est en
jeu. Bref : l’interdit de plus en plus impérieux qui prévaut dans nos
débats sur l’immigration, celui de « ne pas culpabiliser » l’électeur
lepéniste, ne saurait être l’impératif catégorique ultime d’une démocratie
saine.
Pour le dire autrement, au-delà de la « misère » que les migrant·e·s
cherchent à fuir, et de la « puissance » qu’ils ou elles injectent dans la
vie économique, lesdit·es migrant·e·s sont une infinité d’autres choses :
des sujets sociaux à part entière, doté·e·s d’une culture au sens le
plus large du terme, et d’une personnalité, d’une créativité,
irréductible à toute appellation expéditive et englobante (aussi bien
« misère » que « richesse », aussi bien « charge » que « ressource »). Et
s’il n’est pas inutile de rappeler tout le potentiel économique, toute
l’énergie et « l’agentivité » de ces arrivant·e·s, afin de congédier les
fictions anxiogènes sur « l’invasion » ou « le coût de l’immigration », il
importe aussi et surtout de dénoncer l’égoïsme sordide de tous les
questionnements focalisés sur les coûts et les avantages – et d’assumer
plutôt un questionnement éthique. Car une société ne se fonde pas
seulement sur des intérêts à défendre, mais aussi sur des principes à
honorer – et il en va de même de toute subjectivité individuelle.
Le réalisme dont se réclament volontiers nos gouvernants exige en somme
que l’on prenne en compte aussi cette réalité-là : nous ne vivons pas
seulement de pain, d’eau et de profit matériel, mais aussi de valeurs que
nous sommes fiers d’incarner et qui nous permettent de nous regarder dans
une glace. Personne ne peut ignorer durablement ces exigences morales sans
finir par le payer, sous une forme ou une autre, par une inexpugnable
honte. Et s’il est précisément honteux, inacceptable aux yeux de tous,
de refuser des soins aux enfants, aux vieillards, aux malades ou aux
handicapé·e·s en invoquant leur manque de « productivité » et de
« rentabilité », il devrait être tout aussi inacceptable de le faire
lorsque lesdit·es enfants, vieillards, malades ou handicapé·e·s viennent
d’ailleurs – sauf à sombrer dans la plus simple, brutale et abjecte
inhumanité.
p.-s. Ce texte est paru initialement en septembre sur Mediapart.
Le livre de Pierre Tevanian et Jean-Charles Stevens, *« On ne peut pas
accueillir toute la misère du monde ». En finir avec une sentence de mort*
https://anamosa.fr/livre/on-ne-peut-pas-accueillir-toute-la-misere-du-monde/,
Éditions Anamosa, 2022, est disponible en librairie. 80 pages, 5 euros.
Respect, numéro 7, « Accueillir », Septembre 2023 est disponible en ligne
https://boutique.respect-media.fr/produit/respect-07 et en kiosque. 96
pages, 7,50 euros.
notes
[1
https://lmsi.net/Immigration-une-autre-voie-est-possible-necessaire-urgente#nh1
] Chiffres produits le 20 septembre 2023
[2
https://lmsi.net/Immigration-une-autre-voie-est-possible-necessaire-urgente#nh2
] Lire l’Atlas des migrations édité en 2023 par Migreurop.
[3
https://lmsi.net/Immigration-une-autre-voie-est-possible-necessaire-urgente#nh3
] Ces chiffres, comme les suivants, sont cités et référencés dans notre
livre, *« On ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». En finir
avec une sentence de mort*, op. cit.
[4
https://lmsi.net/Immigration-une-autre-voie-est-possible-necessaire-urgente#nh4
] Nous citons dans notre ouvrage ces différents rapports.
https://missingmigrants.iom.int/fr
https://lmsi.net/Immigration-une-autre-voie-est-possible-necessaire-urgente#forum