Fwd: [Jungles] l'absurdité du droit des étrangers aujourd'hui - Un avocat témoigne en fRance

miladyrenoirmiladyrenoir
2025-11-26 13:59

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De : marie via Jungles jungles@rezo.net

To: la liste des soutiens aux exilés des jungles jungles@rezo.net

https://blogs.mediapart.fr/benjamin-brame-avocat/blog/281025/labsurdite-du-droit-des-etrangers-aujourdhui

L’absurdité du droit des étrangers aujourd’hui

Être avocat des étrangers en France, c’est accepter d’exercer dans un

domaine où le droit et la détresse humaine se croisent à chaque ligne d’un

dossier. Il m’est apparu nécessaire de rédiger ce texte sous forme de bilan

face à un monde juridique décadent où ma vocation demande à restaurer la

primauté du droit sur la politique, de la conscience sur la technicité, et

de la justice sur la procédure.

Benjamin Brame Avocat https://blogs.mediapart.fr/benjamin-brame-avocat -

AVOCAT AU BARREAU DE PARIS -

https://blogs.mediapart.fr/benjamin-brame-avocat

Texte initialement publié sur Village de la Justice

https://www.village-justice.com/articles/avocat-des-etrangers-france-defendre-part-plus-fragile-droit,54825.html

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https://www.village-justice.com/articles/avocat-des-etrangers-france-defendre-part-plus-fragile-droit,54825.html

Préambule.

Être avocat des étrangers en France, c’est accepter d’exercer dans un

domaine où le droit et la détresse humaine se croisent à chaque ligne d’un

dossier.

C’est défendre, dans un monde saturé d’indifférence, la valeur d’un

principe simple mais fondateur : nul ne doit être privé de justice en

raison de son origine.

Pour ma part, cette vocation ne s’est pas imposée par hasard. Elle est née

très tôt, dans l’enfance, lorsque j’ai découvert la tragédie du peuple

tibétain, exilé, dépossédé de sa terre et de sa voix. J’ai compris alors

que l’exil n’est pas seulement une perte géographique : c’est une

dépossession de soi. Et qu’il faut, pour y résister, à l’instar de simples

bergers, des avocats qui veillent, guident et protègent la justice sans

s’en arroger le pouvoir.

Un droit mouvant, instable, mais vital.

Le droit des étrangers est sans doute l’un des plus instables de notre

système juridique.

Chaque année, des réformes successives modifient la structure du Code de

l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda),

bouleversent les procédures, ajoutent des contraintes nouvelles.

L’avocat doit, dans ce chaos normatif, rester le repère.

Nous devons connaître le texte, mais aussi ses failles, ses zones d’ombre

et ses contradictions.

J’ai souvent écrit, dans mes chroniques de la Gazette du Palais, que le

droit des étrangers est devenu un droit de la résistance : résistance

intellectuelle face à la complexité, résistance morale face à l’injustice,

résistance technique face à la dématérialisation.

La dématérialisation : un mur invisible érigé contre les plus vulnérables.

L’une des plus grandes difficultés actuelles réside dans la

dématérialisation des démarches administratives, notamment pour les titres

de séjour et les demandes de naturalisation.

Les plateformes Démarches Simplifiées et ANEF (Administration numérique

pour les étrangers en France) sont présentées comme des progrès. En

réalité, elles constituent trop souvent un obstacle numérique, une barrière

invisible mais infranchissable pour ceux qui maîtrisent mal la langue,

l’informatique ou simplement les codes administratifs.

Des pages qui se bloquent, des formulaires qui disparaissent, des dossiers

qui se ferment sans explication.

Et, derrière ces écrans, des agents publics débordés, parfois sans

formation juridique adaptée, qui rejettent des demandes entières sur la

base d’erreurs formelles ou d’interprétations aléatoires.

Cette situation crée une inégalité de fait entre les étrangers qui

parviennent à accéder à la procédure et ceux qui en sont simplement exclus

par la machine.

Nous ne sommes plus dans une logique de service public, mais dans une

bureaucratie automatisée où l’humain n’a plus sa place.

L’avocat devient alors le seul véritable interlocuteur capable de

réintroduire du droit dans le labyrinthe numérique.

Les dysfonctionnements récurrents de la dématérialisation en droit des

étrangers constituent une atteinte directe au droit fondamental à un

recours effectif et à l’égalité d’accès au service public.

En théorie, tout obstacle d’origine administrative ou technique devrait

être sanctionné par le juge administratif, car il prive l’étranger de la

possibilité même d’exercer un droit garanti par la loi.

En pratique pourtant, les juridictions se montrent d’une tolérance

excessive, considérant ces anomalies comme de simples difficultés

matérielles.

Plus grave encore, un classement sans suite ou une clôture de dossier est

désormais de plus en plus analysé comme une décision implicite ou déguisée

de refus, alors qu’elle n’expose ni les motifs, ni les voies et délais de

recours, en totale violation des principes généraux du droit et des

exigences du Code de justice administrative.

Cette absence de motivation et d’information prive l’étranger de toute

possibilité effective de contester la décision dans les formes légales.

Par ailleurs, les juridictions administratives saturées aggravent ce

déséquilibre : là où un référé mesures utiles devrait, dans un État de

droit effectif, permettre au requérant d’obtenir la réouverture de son

dossier illégalement classé, l’administration l’emporte trop souvent par la

victoire du temps ; force d’inertie que seule l’Administration possède, sa

lenteur n’ayant aucun impact sur ses résultats, à la différence d’une

personne privée ou d’une entreprise, pour qui le temps c’est de l’argent !

(Bien que l’Administration joue avec nos deniers publics, pourtant si

durement gagnés par nos compatriotes, toutes les procédures coutant très

cher aux français, alors que de nombreux étrangers s’ils étaient

régularisés seraient ravis de pouvoir par l’impôt contribuer à l’effort

national).

Des délais de traitement devenus inacceptables.

À cela s’ajoutent les délais de traitement, désormais abyssaux.Certains

dossiers de naturalisation ou de régularisation demeurent en attente

pendant deux à trois ans, sans la moindre réponse.

L’administration ne respecte plus ni les délais légaux, ni même les

exigences de diligence minimale. Ce qui était autrefois une exception - la

lenteur - est devenu la norme.

Ces lenteurs ont des conséquences humaines dramatiques : perte d’emploi

faute de titre, impossibilité de se loger, impossibilité de voyager pour

revoir sa famille.

Le recours pour excès de pouvoir, devenu d’une lenteur décourageante, un à

deux ans avant audience, n’a plus d’efficacité réelle, tandis que l’urgence

en référé-suspension est aujourd’hui très rarement reconnue par le juge,

même face à des situations manifestement injustes.

L’avocat se retrouve ainsi dans la position paradoxale de devoir expliquer

l’inexplicable à son client : un système administratif qui ne répond plus,

faute de moyens, de clarté ou de volonté.

L’absurdité de certaines décisions préfectorales ou ministérielles.

Je vois chaque semaine des classements sans suite, des clôtures de dossiers

en admission exceptionnelle au séjour sous prétexte que la personne n’a pas

de visa long séjour.

Or, c’est précisément l’essence même de l’admission exceptionnelle au

séjour que de s’adresser à ceux qui sont entrés sans visa, mais qui ont

construit ici leur vie, leur travail, leur famille.

Refuser une telle demande au motif de l’absence de visa revient à nier la

raison d’être du dispositif. C’est une contradiction juridique flagrante,

mais aussi une absurdité humaine.

Ces pratiques traduisent une perte de sens du service public.

L’administration n’applique plus la loi dans son esprit, mais dans une

lecture défensive, automatisée, parfois dénuée de toute logique.

Un sacerdoce plus qu’une profession.

Être avocat des étrangers, c’est exercer un véritable sacerdoce. Nous

sommes à la fois techniciens, traducteurs, psychologues, écrivains et

gardiens du droit. Nous portons tout, du premier entretien jusqu’à la

dernière audience.

Nous suivons le client, souvent pendant des années, dans l’attente,

l’espoir, parfois le désespoir.

Et dans ce combat, il faut le dire, l’avocat est aujourd’hui souvent plus

sachant que l’administration elle-même.

Les préfets changent, les ministres se succèdent, les discours politiques

se renouvellent, mais la connaissance du terrain, elle, demeure entre nos

mains. Nous devons souvent expliquer le droit à ceux qui sont censés le

faire appliquer.

Ce renversement des rôles traduit une crise profonde de notre système : le

pouvoir administratif communique plus qu’il n’agit, tandis que l’avocat

agit dans le silence, portant seul la responsabilité d’un parcours entier.

Conclusion : défendre, encore et toujours.

Je n’ai jamais envisagé ce métier comme une simple activité juridique.

C’est un engagement. Un prolongement naturel de la promesse que je m’étais

faite, enfant, en découvrant les visages tibétains d’un peuple sans patrie

ne jamais me taire face à l’injustice.

Aujourd’hui, cette promesse s’incarne dans chaque requête, chaque recours,

chaque audience.

Car derrière les textes, les formulaires et les décisions préfectorales, il

y a toujours une existence suspendue, un être humain qui espère.

Tant qu’il restera des avocats pour porter cette espérance, le droit des

étrangers, malgré ses failles, continuera d’être le dernier refuge de la

dignité.

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