SHUHADA - Lexique d'ailleurs et d'ici - Abécédaire de l'ANTHROPOLOGUE JAMES C. SCOTT

miladyrenoirmiladyrenoir
2025-11-14 19:59

James C. Scott. Cela faisait une quinzaine d’années que le public français

avait découvert son œuvre,** entamée pourtant dès les années 1980 en

langue anglaise. Tenant, à l’instar **de Pierre Clastres, Marshall

Sahlins ou David Graeber, d’une anthropologie parfois qualifiée d’«

anarchiste », Scott n’a cessé de **remettre en cause les grands récits

évolutionnistes, l’évidence et la désirabilité de l’État, tout en

décryptant ses logiques et ses effets sur la structure des sociétés

humaines, du néolithique à nos jours. Aux mécanismes de la domination, qui

n’est jamais aussi féroce que centralisée et bureaucratique, il oppose

ainsi les visages multiples de la résistance, ses formes souterraines comme

les plus éruptives. Si sa pensée aura été constante et limpide, sa

trajectoire n’est pas sans ambiguïté — en témoigne une collaboration avec

la CIA en Birmanie durant ses années étudiantes*1

https://www.revue-ballast.fr/labecedaire-de-james-c-scott/#footnote_0_118443

. *D’« avant-garde » à « Zomia », 26 entrées pour découvrir un pilier

des études subalternes.*

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*Avant-garde *: « Aucune expression ne renvoie mieux à l’image de quantité

et de nombre sans ordre que le mot de masses. Une fois que la base est

décrite de la sorte, il est clair que sa contribution au processus

révolutionnaire sera limitée à son poids numérique et à la force brute

qu’elle pourra déployer si elle est dirigée avec fermeté. […] Lénine savait

bien sûr parfaitement que la classe ouvrière avait bien une histoire et des

valeurs, mais cette histoire et ces valeurs risquaient de la conduire dans

la mauvaise direction si elles n’étaient pas remplacées par l’analyse

historique et la théorie révolutionnaire avancée du socialisme

scientifique. Dès lors, non seulement le parti d’avant-garde était

essentiel afin d’assurer la cohésion tactique des masses, mais il devait

aussi littéralement penser à leur place. » (*L’Œil** de l’État.

Moderniser, uniformiser, détruire*, La Découverte, 2021 [1998])

Bolcheviks : « Le fait le plus discordant à propos de la révolution russe

est que celle-ci ne fut pas initiée de manière significative par le parti

d’avant-garde, les bolcheviks. La plus grande réussite de Lénine fut de

s’emparer de la révolution une fois celle-ci accomplie. […] Ce qui suivit

dans les années précédant 1921 peut être au mieux décrit comme la

reconquête de la Russie par l’État bolchevik naissant. Cette reconquête

ne fut pas seulement une guerre civile contre les Blancs, il s’agissait

aussi d’une guerre contre les forces autonomes qui s’étaient emparées de

pouvoirs locaux lors de la révolution. Elle fut avant tout un long combat

voué à détruire le pouvoir indépendant des soviets et à imposer aux

travailleurs le travail à la pièce, le contrôle du travail et l’abrogation

du droit de grève. » (*L’Œil** de l’État. Moderniser, uniformiser,

détruire*, La Découverte, 2021 [1998])

Coulisse : « En coulisse, là où les dominés peuvent se réunir à l’abri du

regard inquisiteur du pouvoir, une culture politique tout à fait dissonante

peut émerger. » (*La Domination et les arts de la résistance. Fragments du

discours subalterne*, Éditions Amsterdam, 2019 [1992])

Dignité : « Je privilégie les questions de dignité et d’autonomie,

généralement considérées comme secondaires par rapport à l’exploitation

matérielle. L’esclavage, la féodalité, les systèmes de castes, le

colonialisme et le racisme engendrent toujours des pratiques et des rituels

de dénigrement, des insultes et des atteintes au corps. […] De telles

formes d’oppression privent les dominés du luxe ordinaire de la réciprocité

négative qui vaudrait l’échange d’une gifle pour une gifle, d’une insulte

pour une insulte. Même les membres de la classe ouvrière contemporaine

semblent accorder une place au moins aussi importante dans leur expérience

de la domination aux brimades faites à leur dignité et à la surveillance

étroite et au contrôle dont ils font l’objet sur leur lieu de travail qu’à

des préoccupations plus directement liées au travail en soi ou au salaire. »

(*La Domination et les arts de la résistance. Fragments du discours

subalterne*, Éditions Amsterdam, 2019 [1992])

État : « Comment l’État en est-il peu à peu venu à mieux connaître ses

sujets et leur environnement ? Soudain, des processus aussi disparates que

la création de patronymes permanents, la standardisation des unités de

poids et de mesure, l’établissement de cadastres et de registres de

population, l’invention de la propriété libre et perpétuelle, la

standardisation de la langue et du discours juridique, l’aménagement des

villes et l’organisation des réseaux de transports me sont apparus comme

autant de tentatives d’accroître la lisibilité et la simplification. Dans

chacun de ces cas, des agents de l’État se sont attaqués à des pratiques

sociales locales d’une extrême complexité, quasiment illisibles, comme les

coutumes d’occupation foncière ou d’attribution de noms propres, et ils ont

créé des grilles de lecture standardisées à partir desquelles les pratiques

pouvaient être consignées et contrôlées centralement. » (*L’Œil** de

l’État. Moderniser, uniformiser, détruire*, La Découverte, 2021 [1998])

Futur : « N’importe quelle idéologie prêchant ainsi sur l’autel du

progrès privilégiera certes pareillement le futur, mais le haut-modernisme

porte cette tendance à son paroxysme. Le passé est une entrave, une

histoire ancienne dont la seule vocation est d’être transcendée. Le présent

est la rampe de lancement de projets porteurs d’un meilleur futur. […] Ce

choix stratégique de privilégier le futur est lourd de conséquences. Plus

le futur est susceptible d’être connu et réalisé, comme la foi dans le

progrès encourage à le croire, moins ses avantages à venir sont pensés en

intégrant une part d’incertitude. En conséquence, la plupart des

haut-modernistes sont convaincus que la certitude d’un meilleur futur

justifie les nombreux sacrifices à court terme qui se révéleront

nécessaires pour y arriver. » (*L’Œil** de l’État. Moderniser,

uniformiser, détruire*, La Découverte, 2021 [1998])

Guerre : « Le lien étroit entre appropriation et domination fait qu’il

est impossible de séparer les idées et le symbolisme de la subordination du

processus d’exploitation matérielle. De la même manière, il est impossible

de séparer la résistance symbolique voilée à la domination des luttes

matérielles visant à soulager ou interrompre l’exploitation. Tout comme la

domination, la résistance mène ainsi une guerre sur deux fronts. » (*La

Domination et les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne*,

Éditions Amsterdam, 2019 [1992])

Haut-modernisme : « Qu’est-ce que le haut-modernisme ? […] En son cœur se

trouve une confiance absolue en la possibilité de faire advenir un progrès

linéaire et continu, le développement des savoirs scientifiques et

techniques, la croissance économique, la planification rationnelle de

l’ordre social, la satisfaction croissante des besoins humains et, surtout,

un contrôle de plus en plus accru sur la nature (y compris la nature

humaine) à mesure qu’augmenterait la compréhension scientifique des lois

naturelles. Le haut-modernisme incarne ainsi une vision notoirement

exubérante de la manière dont les bénéfices des progrès scientifiques et

techniques peuvent être investis – en général par le biais de l’État — dans

tous les champs de l’activité humaine. » (*L’Œil** de l’État.

Moderniser, uniformiser, détruire*, La Découverte, 2021 [1998])

[Paul Klee]

Infrapolitique : « Il existe tout un domaine que je nomme

infrapolitique parce

qu’il se situe hors de l’éventail visible de ce que l’on considère

habituellement comme de l’activité politique. L’État a de tout temps

contrecarré l’organisation des classes subordonnées, sans parler des

épisodes de contestation publique. Pour les groupes subalternes, ce type

d’activité politique est dangereux. Ceux-ci ont en grande partie compris,

comme les guérillas, que la divisibilité, les petits nombres et la

dispersion les aident à échapper aux représailles. Par infrapolitique,

j’entends les actes tels que le ralentissement délibéré, le braconnage, le

chapardage, la dissimulation, le sabotage, la désertion, l’absentéisme,

l’occupation illégale et la fuite. […] [L]a somme de milliers, et même de

millions, de petits actes peut entraîner des effets majeurs sur la guerre,

le droit à la terre, les impôts et les rapports de propriété. » (*Petit

éloge de l’anarchisme*, Lux, 2013 [2012])

Jumelle : « Chaque domaine de résistance publique à la domination est

suivi de près par l’ombre d’une sœur jumelle infrapolitique qui s’efforce

d’atteindre les mêmes objectifs stratégiques, mais dont la discrétion est

mieux adaptée pour résister à un adversaire qui remporterait probablement

toute confrontation ouverte. » (*La Domination et les arts de la

résistance. Fragments du discours subalterne*, Éditions Amsterdam, 2019

[1992])

Kolkhoze : « Si le kolkhoze a certes lourdement échoué à générer

d’immenses surplus de denrées alimentaires, il a relativement bien servi

à l’État à déterminer des modes de cultures, fixer les salaires réels dans

les campagnes, s’approprier une large portion de la quantité de céréales

effectivement produites et réduire politiquement les campagnes au silence.

La grande réussite, si l’on peut employer ce terme, de l’État soviétique

dans le secteur agricole fut de s’emparer d’un terrain social et économique

singulièrement défavorable à l’appropriation et au contrôle et de mettre en

place des formes institutionnelles et des pratiques de production mieux

adaptées à la surveillance, à la gestion, à l’appropriation et au contrôle

par en haut. » (*L’Œil** de l’État. Moderniser, uniformiser, détruire*,

La Découverte, 2021 [1998])

Luxemburg : « À l’encontre de la préférence de Lénine pour l’ordre et le

contrôle, [Rosa] Luxemburg juxtaposait le tableau inévitablement

désordonné, tumultueux et vivant de l’action sociale à grande échelle. […]

Lénine procédait comme si le chemin vers le socialisme avait déjà été

balisé en détail et comme si la tâche du parti consistait à employer une

discipline de fer afin que le mouvement révolutionnaire maintienne son cap.

Au contraire, Luxemburg croyait que le futur du socialisme restait à

découvrir et à inventer par le biais d’une réelle collaboration entre les

ouvriers et l’État révolutionnaire. » (*L’Œil de l’État. Moderniser,

uniformiser, détruire*, La Découverte, 2021 [1998])

Masque : « Plus la disparité est grande entre le pouvoir du dominant et

celui du subordonné et plus ce pouvoir est exercé de manière arbitraire,

plus le texte public joué par le subordonné aura un caractère stéréotypé et

ritualisé. En d’autres termes, plus le pouvoir est menaçant, plus le masque

se fait épais. » (*La Domination et les arts de la résistance. Fragments du

discours subalterne*, Éditions Amsterdam, 2019 [1992])

Nomadisme : « Loin d’être la matière première originale qui aurait servi

à construire les États et les civilisations, les sociétés des hautes terres

sont pour l’essentiel un produit dérivé du processus de formation de

l’État, conçu pour offrir aussi peu de prise que possible aux logiques

d’appropriation. On considère désormais que le nomadisme pastoral

représente un processus d’adaptation secondaire de la part de populations

qui souhaitaient abandonner l’État agraire tout en tirant avantage des

opportunités commerciales et des possibilités de pillage. Il en va de même

pour la culture sur brûlis : comme le pastoralisme, elle contribue à

disperser les populations et elle est dépourvue de tout centre névralgique —

place que pourrait occuper un État. La nature furtive de ses productions

agricoles déjoue les tentatives d’appropriation. » (*Zomia ou l’art de ne

pas être gouverné. Une histoire anarchiste des hautes terres d’Asie du

Sud-Est*, Seuil, 2013 [2009])

[Paul Klee]

Ordre : « Les relations de domination sont aussi des relations de

résistance. Une fois établie, la domination ne se maintient pas par sa

seule force intrinsèque. Dans la mesure où elle implique le recours au

pouvoir afin d’extraire, contre le gré des dominés, travail, production,

service ou impôts, elle engendre une grande forme de résistance et ne peut

se maintenir que grâce à des efforts continus pour la renforcer, la

préserver et l’ajuster. Une grande partie de ces travaux de maintenance est

ancrée dans le symbolisme de la domination, par le biais de manifestations

et de mises en scène du pouvoir. Chaque manifestation publique et affichée

du pouvoir — chaque ordre, chaque acte de déférence, chaque liste et chaque

classement, chaque disposition cérémoniale, chaque punition publique,

chaque mention d’un terme honorifique ou péjoratif — constitue un geste

symbolique de domination qui à la fois exprime et renforce l’ordre

hiérarchique. » (*La Domination et les arts de la résistance. Fragments du

discours subalterne*, Éditions Amsterdam, 2019 [1992])

Pouvoir : « Avoir le pouvoir, c’est n’être pas dans l’obligation d’agir,

ou, plus précisément, avoir la capacité de se comporter de manière

négligente ou informelle lors d’une transaction donnée. […] Le dédain

associé à la possession du pouvoir peut bien au sens physique renvoyer à un

moi qui ne serait pas sur ses gardes, alors que la servilité nécessite

presque par définition une observation attentive de l’humeur et des

exigences du détenteur du pouvoir, suivie des réponses appropriées. » (*La

Domination et les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne*,

Éditions Amsterdam, 2019 [1992])

Quadrillage : « Le capitalisme à grande échelle est tout autant porteur

d’homogénéisation, d’uniformité, de quadrillage et de simplifications

extrêmes que l’État, avec néanmoins une différence : du point de vue des

capitalistes, la simplification doit rapporter. » (*L’Œil de l’État.

Moderniser, uniformiser, détruire*, La Découverte, 2021 [1998])

Spontanées : « La plupart des révolutions ne sont pas l’œuvre de partis

révolutionnaires, mais bien le précipité d’actions spontanées et

improvisées (l’aventurisme dans le jargon marxiste), […] les mouvements

sociaux organisés sont habituellement le produit, et non la cause, de

protestations et de manifestations non coordonnées et […] les grands acquis

émancipateurs et porteurs de liberté pour l’humanité ne sont pas le fruit

de procédures institutionnelles ordonnées, mais bien d’actions

désordonnées, imprévues et spontanées qui ont fissuré l’ordre social de bas

en haut. » (Petit éloge de l’anarchisme, Lux, 2013 [2012])

Tribu : « La tribu constitue un module de gouvernement. J’entends par là

le fait que désigner des tribus était une technique permettant de classer

et, éventuellement, d’administrer ceux qui n’étaient pas ou pas encore des

paysans. Une fois la tribu désignée comme telle et rapportée à un

territoire, elle pouvait faire office d’unité servant à établir un tribut

en hommes et en marchandises, d’entité à laquelle il était possible

d’assigner un chef officiel […]. Les États et les empires créent des tribus

afin, précisément, de mettre un terme au caractère fluctuant et informe des

relations sociales vernaculaires. […] Leur existence n’a pour seul but que

de mettre un terme administratif aux flottements en tous genres, en

instituant des unités de gouvernance et de négociation. » (*Zomia ou l’art

de ne pas être gouverné. Une histoire anarchiste des hautes terres d’Asie

du Sud-Est*, Seuil, 2013 [2009])

Utilitariste : « Parce qu’elle en était arrivée à percevoir la forêt

comme une marchandise, la foresterie scientifique entreprit de la remodeler

comme une machine produisant cette marchandise. La simplification

utilitariste de la forêt constitua certes une manière efficace de maximiser

la production de bois à court et moyen terme. Toutefois, au bout du compte,

son insistance sur les quantités et les profits comptables, son horizon

temporel relativement court et le vaste ensemble de conséquences qu’elle

avait résolument décidé d’ignorer revinrent la hanter. […] La forêt

simplifiée constitue un système plus vulnérable, en particulier sur le long

terme, car ses effets sur les sols, l’eau et les populations parasites

deviennent manifestement négatifs. » (*L’Œil de l’État. Moderniser,

uniformiser, détruire*, La Découverte, 2021 [1998])

[Paul Klee]

Violence : « Dans un système de domination, il ne s’agit pas seulement de

dissimuler ses sentiments et de produire les gestes attendus à la place. Il

est plutôt souvent question de contrôler l’impulsion naturelle poussant à

la rage, aux insultes, à la colère et à la violence que ces sentiments font

naître. […] Pour tous ceux qui au cours de l’histoire ont connu la

servitude, […] la clé de la survie, de loin pas toujours maîtrisée, a été

de ravaler sa bile, d’étouffer sa rage et de dominer l’impulsion de

violence physique. » (*La Domination et les arts de la résistance.

Fragments du discours subalterne*, Éditions Amsterdam, 2019 [1992])

W. E. B. DuBois : « Afin de comprendre les fantasmes les plus luxuriants

du texte caché, il faut les considérer non pas isolés mais en tant que

réaction à la domination […]. L’inventivité et l’originalité de ces

fantasmes s’expriment dans la manière dont ils inversent et annulent une

domination particulière. Personne ne perçut ceci avec autant d’acuité que

W. E. B. DuBois, qui écrivit à propos de la double conscience du Noir

américain provenant de la ségrégation raciale : Une telle double vie avec

des pensées, des devoirs et des classes sociales dédoublées doit

nécessairement donner naissance à des paroles et à des idéaux dédoublés ,

et tenter l’esprit vers les faux-semblants ou la révolte, vers l’hypocrisie

ou vers le radicalisme. » (*La Domination et les arts de la résistance.

Fragments du discours subalterne*, Éditions Amsterdam, 2019 [1992])

*XIXe siècle *: « Au moins jusqu’au début du XIXe siècle, les difficultés

de transport, l’état de la technologie militaire, et par-dessus tout les

réalités démographiques, imposaient de sévères limites à l’extension des

États, y compris des plus ambitieux. » (*Zomia ou l’art de ne pas être

gouverné. Une histoire anarchiste des hautes terres d’Asie du Sud-Est*,

Seuil, 2013 [2009])

Yeux : « L’histoire de la propriété est celle de l’incorporation

inexorable au sein d’un régime foncier de ce qui était précédemment perçu

comme des cadeaux de la nature : forêts, gibier, friches, prairies,

minerais souterrains, eau et cours d’eau, droits aériens (concernant

l’espace situé au-dessus de bâtiments ou d’une surface donnée), air

respirable et même séquences génétiques. Dans le cas de terres arables

détenues en commun, l’imposition de la pleine propriété apportait une

clarification non aux habitants de la localité — la structure du droit

coutumier avait toujours été suffisamment claire à leurs yeux —, mais au

percepteur et au spéculateur foncier. Le cadastre apporte aux pouvoirs

publics une mine de renseignements et fournit ainsi la base de la vision en

surplomb de l’État et le fondement d’un marché foncier supralocal. » (L’

*Œ*il de l’État. Moderniser, uniformiser, détruire, La Découverte, 2021

[1998])

Zomia : « Ce qui fait de la Zomia2

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une

région ne réside donc pas tant dans une unité politique, qui lui fait

cruellement défaut, mais dans des formes comparables de divers types

d’agriculture collinéenne, dans la dispersion et la mobilité, et dans un

égalitarisme brouillon incluant — cela n’est pas accessoire — un statut

relativement plus élevé pour les femmes que dans les vallées. […] Les

populations des collines de la Zomia ont activement résisté à

l’incorporation au sein de la structure de l’État classique, de l’État

colonial et de l’État-nation indépendant. […] La Zomia n’est pas simplement

une région de résistance aux États des vallées : elle est aussi une

zone-refuge. Par refuge, je veux signifier qu’une bonne partie de la

population des collines est venue s’y installer, durant plus d’un

millénaire et demi, afin d’échapper aux diverses souffrances qui

résultaient des projets de construction étatique des vallées. Loin d’être

des laissés-pour-compte du progrès de la civilisation des vallées, ces

populations ont, sur le long terme, choisi de se placer hors de portée de

l’État. » (*Zomia ou l’art de ne pas être gouverné. Une histoire anarchiste

des hautes terres d’Asie du Sud-Est*, Seuil, 2013 [2009])

——————————

Tous les abécédaires sont confectionnés, par nos soins, sur la base des

ouvrages, articles et correspondances des auteur·e·s.

Illustration de bannière : Paul Klee

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[image: image_pdf]

https://www.revue-ballast.fr/labecedaire-de-james-c-scott/?print=pdf

  1. « Je n’ai donc pas su quoi faire et j’ai demandé à rejoindre la CIA.

J’avais posé ma candidature à la faculté de droit de Harvard et j’avais été

accepté, et sur une sorte d’éclair d’audace, j’ai posé ma candidature pour

une bourse du Rotary pour la Birmanie, et j’ai obtenu la bourse du Rotary

pour la Birmanie. Je me suis dit : Je peux reporter la faculté de droit

de Harvard, je peux toujours aller à la faculté de droit, mais quand

aurai-je l’occasion d’aller en Birmanie ? J’ai donc décidé d’aller en

Birmanie et j’y ai passé un an. Entre-temps — cela ne figure pas dans

beaucoup de mes documents — les gens de la CIA m’ont demandé de rédiger

des rapports sur la politique étudiante birmane et ainsi de suite, ce que

j’ai fait. Ensuite, ils se sont arrangés avec l’Association nationale des

étudiants pour que j’aille à Paris pendant un an et que je sois le

représentant à l’étranger de l’Association nationale des étudiants.

» Interview

menée par Todd Holmes en 2018 dans le cadre du Yale Agrarian Studies Oral

History Project

https://digicoll.lib.berkeley.edu/record/219393/files/scott_james_2020.pdf

.[↩

https://www.revue-ballast.fr/labecedaire-de-james-c-scott/#identifier_0_118443

]

  1. « Cet immense espace montagneux situé à la périphérie de l’Asie du

Sud-Est continentale, de la Chine, de l’Inde et du Bangladesh s’étend sur

environ 2,5 millions de kilomètres carrés. […] Des calculs approximatifs

estimeraient les populations minoritaires de la Zomia à environ 80 à 100

millions de personnes. Ses populations sont fragmentées en centaines

d’identités ethniques et au moins cinq familles linguistiques qui défient

toute classification simple. »[↩

https://www.revue-ballast.fr/labecedaire-de-james-c-scott/#identifier_1_118443

]