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De : Maël Galisson
La mort de Mamadou Garanké Diallo ou le destin tragique d’une intégration
ordinaire Par Julia Pascual http:///signataires/julia-pascual/ Publié le
15 octobre 2025 à 05h30, modifié le 15 octobre 2025 à 20h38
Temps de Lecture 5 min.
*Arrivé en France en 2019, ce Guinéen de 21 ans vivait et travaillait dans
une boucherie de Darnétal, près de Rouen. Après avoir reçu une seconde
OQTF, le jeune homme s’était résigné à rejoindre l’Angleterre. Le
17 septembre, son corps a été retrouvé dans le Nord, non loin d’un
campement de migrants.*
« Je suis désolé. J’ai pas voulu quitter là-bas, maman, franchement
(…) *C’est
mon avenir que je regarde. Bisous. Je vous embrasse. Amen, Amen. »* Sur son
téléphone portable, Lara Levesque réécoute les messages laissés par Mamadou
Garanké Diallo ces derniers mois. Il lui explique avoir quitté à regret la
région rouennaise, où il résidait depuis six ans, pour rejoindre
l’Angleterre. Lara Levesque hébergeait ce Guinéen de 21 ans depuis un an et
demi à son domicile de Darnétal, en périphérie de Rouen. Le jeune homme
l’appelait affectueusement « maman ».
Dans la maison de cette travailleuse sociale de 53 ans, qu’elle avait
ouverte depuis des années et de façon bénévole à des *« jeunes
fragilisés »,* la chambre de Mamadou est vide, désormais. Son peignoir est
toujours suspendu au-dessus du lit, son sac à dos posé au sol. Mamadou
Garanké Diallo a été retrouvé mort, dans la nuit du 17 septembre, à
Loon-Plage (Nord), non loin des campements dans lesquels les migrants se
regroupent avant de traverser la Manche. Une enquête est en cours pour
déterminer les circonstances de son décès. Il pourrait avoir fait une chute
ou avoir été écrasé en essayant de se cacher dans un poids lourd, sur un
parking à proximité du terminal de ferrys où des camions embarquent pour
Douvres (Royaume-Uni).
Le jeune homme ne rêvait pas d’Angleterre, mais il avait perdu espoir après
avoir reçu une obligation de quitter le territoire français (OQTF), au mois
de mai.* « Il n’a pas su comment gérer, il a eu peur »,* croit Alpha (les
personnes citées par leur prénom ont souhaité conserver leur anonymat), un
Guinéen de 24 ans qui l’a connu au centre de formation d’apprentis
Simone-Veil. Dans cet établissement rouennais, Mamadou a suivi un CAP de
boucher, lui qui n’avait jamais été scolarisé. Claude Renard se souvient de
cet adolescent qui s’était présenté à sa boucherie, à Darnétal, à la
recherche d’un contrat en alternance. *« C’était un gars plein de vie,
joyeux. Il ne rechignait pas sur le travail »,* rapporte cet homme de
63 ans, désormais retraité et qui le considérait « un peu comme [son]
gamin ». Il l’avait amené dans sa ferme de Bois-d’Ennebourg où il élève
des vaches et dans sa maison secondaire à Courseulles-sur-Mer, dans le
Calvados.
Un goût d’absurde
Tout semblait suivre le cours d’une intégration ordinaire, celle d’un jeune
garçon arrivé à 15 ans en France, en 2019, pris en charge par l’aide
sociale à l’enfance, inscrit dans un cursus professionnalisant,
satisfaisant un besoin de main-d’œuvre dans un secteur en tension. La
situation de Mamadou a commencé à se fissurer à sa majorité. Il demande
alors un titre de séjour, que la préfecture de Seine-Maritime lui refuse,
en avril 2023. Les termes de l’OQTF qui lui est adressée sont froids et
formels. Mamadou Garanké Diallo ne démontre pas, est-il écrit, son
« insertion (…) dans la société française ». En outre, l’extrait d’état
civil guinéen qu’il a fourni est jugé* « irrégulier » *par la police aux
frontières. La préfecture use de son pouvoir discrétionnaire. Rien ne
l’oblige à régulariser Mamadou.
alt=“Claude Renard, le premier employeur de Mamadou. Toutes les photos ont
été prises le 10 octobre 2025.”
alt=“Lara Levesque, qui hébergeait le jeune Guinéen.
A Darnétal, ce n’est pas la première fois que la politique vient percuter
le réel pour y laisser un goût d’absurde. En 2022, Adama Ballo, un Malien
de 20 ans, salarié dans une autre boucherie de la commune, a été lui aussi
visé par une OQTF. Un comité de soutien s’était alors constitué, une
pétition lancée et le tribunal administratif avait finalement annulé la
mesure d’éloignement.
En avril 2023, rebelote, donc, cette fois à la boucherie de Claude
Renard. *« C’est
un jeune qui travaille très bien, courageux et volontaire, il est apprécié
par notre clientèle, qui comme moi ne comprend pas cette situation
ubuesque »,* écrit à l’époque le boucher dans une pétition qui recueille
plus de 10 000 signatures en ligne. Le maire de Rouen, le socialiste
Nicolas Mayer-Rossignol, et trois députés de la circonscription,
communiste, « insoumis » et socialiste, écrivent aussi au préfet. En vain.
Long parcours migratoire
Mamadou laisse passer du temps. Quand il arrive au bout de son
apprentissage, à l’été 2024, Franck Bécu, qui a racheté la boucherie après
y avoir été employé plus de vingt-cinq ans, ne peut plus l’employer, compte
tenu de sa situation administrative.* « Ça m’arrivait de le nourrir ou de
lui donner un peu d’argent »,* explique l’artisan de 52 ans. Ensemble, ils
parlent football. Le Guinéen se confie, aussi.
Sur son père absent et polygame, sur sa mère, Mariama, et sa petite sœur
qu’il soutient financièrement au pays, sur son frère étudiant aux
Etats-Unis, qu’il aide également. Sur son long parcours migratoire et son
passage en Algérie, où il aurait travaillé dans un poulailler et comme
manœuvre. Sur sa traversée du détroit de Gibraltar et sur les secours
espagnols qui l’ont sauvé d’une mort certaine en mer. *« C’était quelqu’un
d’authentique dans son lien avec les gens,* rapporte Lara Levesque. *Il a
totalement intégré notre famille et respecté le cadre que je lui avais
fixé. »*
Alors qu’il a déposé une nouvelle demande de titre de séjour, Mamadou
obtient, fin 2024, un récépissé de six mois l’autorisant à travailler, le
temps que l’administration statue sur son dossier. A la préfecture, où il
récupère le sésame provisoire en décembre, Mamadou pleure de soulagement.
Il est accompagné par Claude Renard mais aussi par Lara Levesque et Koura
Diouf, de l’association rouennaise d’aide aux primo-arrivants Pour un
avenir meilleur.* « Il s’était bien habillé,* se remémore cette
dernière. *C’était
un événement, on était heureux. »*
Franck Bécu lui fait signer un CDD de six mois, pour environ 1 600 euros
net et Lara Levesque convient de prolonger son hébergement, *« le temps
qu’il mette de l’argent de côté »* pour passer son permis, s’acheter des
meubles et payer la caution d’un futur appartement. Tous sont persuadés
qu’un titre de séjour va enfin lui être accordé. Las. En mai, la préfecture
lui délivre une nouvelle OQTF. Mamadou s’effondre. *« Je ne peux pas rester
ici, ils vont venir me chercher pour me renvoyer chez moi »,* explique-t-il
dans les messages qu’il adresse à Lara Levesque.
« On a voulu salir sa mémoire »
Interrogée sur ce nouveau refus, la préfecture nous explique avoir pris sa
décision *« sur les mêmes bases » *que la première OQTF. Et ajoute : *« Par
ailleurs, M. Diallo avait été interpellé et placé en garde à vue en
mai 2025 pour des faits de détention de stupéfiants, qu’il a reconnus. Il
était convoqué par la justice en novembre 2025 pour répondre de ces
infractions. »* L’ancien patron, Claude Renard, bondit : *« On a voulu
salir sa mémoire. Jamais il n’est venu au boulot défoncé. »* Lara Levesque
sait que Mamadou consommait du cannabis pour combattre ses insomnies, *« mais
il n’a jamais fumé dans ma maison »,* précise-t-elle.
En juin, Koura Diouf avait organisé une fête chez elle à l’occasion de son
anniversaire et de l’Aïd. Elle se souvient que Mamadou avait tenu à
s’occuper du barbecue.* « Je ne l’avais jamais vu aussi joyeux »,* confie
Saidou, présent ce jour-là, avec un groupe d’anciens mineurs isolés passés,
comme lui, par l’aide sociale à l’enfance et accompagnés par l’association
Pour un avenir meilleur. Saidou est persuadé que Mamadou avait déjà pris sa
décision de partir. Quelques jours après, il disparaît.
A ceux de son entourage qui le joignent, il raconte qu’il s’est caché dans
une *« camionnette » *vers Calais et qu’il est arrivé à Londres. A-t-il
menti pour ne pas les inquiéter ? Koura Diouf en est convaincue. En
septembre, la rumeur de sa mort lui parvient par les réseaux sociaux. C’est
elle qui est allée reconnaître son corps à Dunkerque. Quand Franck Bécu
songe à la disparition de son ouvrier, il pense à un immense *« gâchis
».* *« On
en deviendrait révolutionnaire »,* lâche Claude Renard. Le corps de Mamadou
Garanké Diallo doit être rapatrié en Guinée, dans la ville peule de
Dinguiraye, auprès de sa mère.