Mort de Fabian : vers un hommage plus discret qu’une stèle, dans le Parc
Elisabeth
L’agence Bruxelles Environnement, en concertation avec les autorités
régionales, a rejeté l’idée d’une stèle dans le Parc Elisabeth, où le jeune
Fabian a trouvé la mort. Elle privilégie plutôt un hommage plus discret,
comme un arbre, rapporte Bruzz ce vendredi.
En juillet dernier, les deux associations Heroes for Zero et GC De Platoo
annonçaient leur souhait, en concertation avec la famille du petit Fabian,
de voir naître une stèle commémorative dans le Parc Elisabeth, à Ganshoren,
où l’enfant a trouvé la mort en juin dernier au terme d’une
course-poursuite avec la police. Deux procédures avaient ainsi été
introduites auprès de Bruxelles Environnement.
On apprend aujourd’hui que l’idée d’une stèle permanente est rejetée par
Bruxelles Environnement, qui entend privilégier plutôt une “forme d’hommage
plus discrète mais symbolique“, rapporte Bruzz.
► Lire aussi | Notre dossier sur la mort de Fabian à Ganshoren
Le projet déposé était celui d’un monument avec une plaque, et un banc pour
les personnes endeuillées. Par mail, l’agence régionale a indiqué que ce
n’était pas possible, conjointement avec le cabinet du ministre Alain Maron
(Ecolo) : “Notre institution doit veiller à préserver la fonction
universelle et neutre des espaces verts. Nous privilégions des formes
d’hommage discret et symbolique, comme la plantation d’un arbre, permettant
le deuil tout en respectant la neutralité d’un lieu qui appartient à tous“,
a fait savoir Bruxelles Environnement dans ce courrier cité par nos
confrères.
Interrogée par Bruzz, l’association Heroes for Zero se dit déçue, et craint
qu’un arbre commémoratif ne se fonde trop dans le décor du parc. Elle
espère que Bruxelles Environnement et le ministre reviennent sur leurs
positions.
ArBr – Photo : Belga (archives)
Réponse de Nordine Saïdi :
“Comment voulez-vous qu’on respecte cette écologie ? Quand elle protège
plus la neutralité des parcs que la mémoire des enfants tués par la police ?
Alors que la famille de Fabian, ce jeune garçon tué suite a une
course-poursuite policière à Ganshoren, souhaitait une stèle commémorative
dans le parc Elisabeth, Bruxelles Environnement, soutenue par le ministre
Alain Maron (Ecolo), a refusé, “Notre institution doit veiller à préserver
la fonction universelle et neutre des espaces verts. Nous privilégions des
formes d’hommage discret et symbolique, comme la plantation d’un arbre,
permettant le deuil tout en respectant la neutralité d’un lieu qui
appartient à tous“.
Refusé, au nom de la “neutralité” des espaces verts.
Refusé, au nom de la “fonction universelle” du parc.
Refusé, comme si la mémoire d’un enfant tué par la police risquait de
“polluer” la verdure publique.
Voilà donc à quoi ressemble l’écologie institutionnelle : une écologie sans
mémoire, sans courage, sans politique. Une écologie aseptisée, vidée de
toute substance humaine, qui préfère préserver la neutralité des arbres
plutôt que la dignité des morts.
Une écologie blanche, moraliste, sans mémoire.
Comment voulez-vous qu’on respecte cette écologie, quand elle s’érige en
gardienne d’une “neutralité” qui n’est rien d’autre que le masque du
racisme d’Etat ?
Quand on préfère un arbre “symbolique”, planté discrètement, sans nom, sans
mot, sans vérité, à une stèle portant l’inscription : “Fabian, tué à la
suite d’une intervention policière” ?
Cette “écologie neutre”, c’est l’expression la plus parfaite du
colonialisme moral belge : celui qui transforme chaque crime d’État en
rituel du silence.
On parle de biodiversité, mais on efface la diversité des vies détruites.
On parle de durabilité, mais on refuse de durer dans la mémoire.
On parle d’universalisme, mais on n’écoute que la douleur blanche.
Les morts racialisés des quartiers populaires, eux, ne polluent pas l’air :
ils dérangent la bonne conscience.
Et quand la famille demande une stèle, on lui offre un arbre.
Un arbre “discret”, comme le dit Bruxelles Environnement, “symbolique” —
c’est-à-dire invisible.
Parce que dans cette écologie-là, le vivant compte, mais seulement quand il
ne parle pas de mort.
La neutralité : ce mot qui tue deux fois.
Il faut le dire clairement : la “neutralité” invoquée par Alain Maron et
Bruxelles Environnement est un principe raciste déguisé.
Car cette prétendue neutralité n’existe que pour faire taire les dominés.
Elle ne s’applique jamais quand il s’agit d’honorer des figures blanches,
des soldats coloniaux, des bourgmestres, des héros belges dont les statues
et plaques jalonnent chaque parc, chaque rue, chaque place publique de ce
pays.
Où est la neutralité quand on croise encore dans nos espaces publics les
bustes de Léopold II, le roi criminel responsable de millions de morts
congolais ?
Où est la neutralité quand des avenues portent encore les noms de
colonisateurs, de militaires, de missionnaires, de racistes notoires ?
Mais lorsqu’un enfant meurt, poursuivi par la police, là, tout à coup, on
découvre la vertu de la neutralité.
C’est donc cela, la Belgique :
— un pays où les statues des bourreaux sont éternelles,
— et où les victimes des institutions doivent se contenter d’un arbre
“discret”.
L’écologie sans justice : la nature contre la mémoire.
Ce refus n’est pas anecdotique. Il dit quelque chose de profond :
l’écologie officielle belge est au mieux dépolitisée, au pire raciste.
Elle parle de nature, mais refuse de parler de pouvoir.
Elle parle de climat, mais tait le colonialisme.
Elle parle de durabilité, mais nie la violence structurelle qui détruit les
vies racialisées au quotidien.
Ce refus d’une stèle, c’est une écologie moralement stérile.
Elle ne veut pas d’un monument, parce qu’un monument, c’est un rappel
permanent du crime.
Parce qu’un monument oblige à dire : “Ici, la police a tué.”
Et ce simple énoncé met en crise le mythe de la Belgique démocratique et
humaniste.
Alors, on choisit un arbre. Un arbre, c’est muet.
Un arbre ne dit pas “justice”.
Un arbre ne dérange pas les joggeurs, les familles, les élus.
Un arbre, ça pousse tranquillement, pendant que l’injustice continue.
“Préserver la neutralité des parcs” : ou comment blanchir la mort.
Préserver la neutralité d’un parc, disent-ils.
Mais de quelle neutralité parle-t-on dans un pays où la police tue des
jeunes Arabes, Noirs, Rroms, Migrants, Sans Papiers et où la justice
blanchit systématiquement les auteurs ?
De quelle neutralité parle-t-on quand la neutralité elle-même devient une
idéologie de blanchiment ?
L’écologie de Maron n’est pas verte, elle est blanche.
Elle ne protège pas la nature, elle protège le confort politique de ceux
qui refusent de nommer la violence d’État.
C’est une écologie de vitrine, bonne pour les campagnes électorales,
incapable de reconnaître que la justice environnementale et la justice
sociale sont indissociables.
Car il n’y a pas de justice climatique sans justice raciale.
Les mêmes institutions qui détruisent la planète détruisent les corps
racialisés.
Les mêmes logiques qui bétonnent les sols bétonnent les consciences.
Les mêmes pouvoirs qui criminalisent les activistes écologistes
criminalisent les corps Noirs, Arabes, Rroms, Migrants, Sans Papiers,
Musulmans.
Un arbre à la place d’une stèle : effacer la mort sous prétexte de vie.
Ce qu’on appelle “hommage symbolique” est en réalité une stratégie
d’effacement.
C’est la mise en scène de la compassion sans la vérité.
C’est la domestication du deuil.
Un arbre, c’est commode. Ça ne dit pas pourquoi Fabian est mort.
Ça ne dit pas que la police l’a poursuivi, harcelé, traqué.
Ça ne dit pas que cette mort n’est pas un accident, mais le résultat d’une
politique sécuritaire, raciale, et institutionnelle.
Un arbre “pour tous”, disent-ils.
Mais la violence d’État, elle, n’est pas “pour tous”.
Elle vise des corps précis, des territoires précis, des jeunesses précises.
Et tant qu’on ne nomme pas cela, on ne parle pas de justice, on parle
d’oubli.
Fabian, et tous les autres.
Fabian, c’est le nom qu’ils veulent effacer.
Comme ils ont effacé celui d’Adil, d’Ibrahima, de Mehdi, de Lamine, de
Mawda, de Sabrina…
Chaque fois, c’est la même séquence :
la mort, le choc, la récupération symbolique, la plaque sans mot, la stèle
refusée, et enfin, le non-lieu.
C’est un rituel de domination qui se rejoue à chaque génération :
effacer les morts pour préserver la paix des vivants.
Mais cette paix-là n’est pas la nôtre.
C’est une paix de façade, une paix coloniale, une paix d’institutions qui
se réconcilient avec elles-mêmes pendant que les familles s’effondrent.
Justice d’abord, écologie ensuite.
Ce refus de stèle dit tout de la hiérarchie morale de ce pays :
la pierre d’un enfant vaut moins que la pelouse d’un parc.
Le nom d’une victime vaut moins que la neutralité d’un banc.
La mémoire des Noirs, Arabes, Rroms, Migrants, Sans Papiers, Musulmans,
vaut moins que la tranquillité visuelle des promeneurs.
Comment voulez-vous qu’on respecte cette écologie-là ?
Cette écologie qui refuse d’affronter le réel, qui camoufle la violence
derrière les arbres et les fleurs, qui confond silence et apaisement.
Nous ne pouvons pas la respecter, parce qu’elle ne nous respecte pas.
Tant que la Belgique préférera planter des arbres pour enterrer les vérités,
tant qu’elle camouflera ses crimes sous la verdure,
tant qu’elle exigera la neutralité face au racisme d’État,
nous n’aurons pas d’écologie digne, ni de justice, ni de paix.”
Nordine Saïdi de Bruxelles Panthères