objets plutôt que sujets, la mémoire ne choisit pas son canal de diffusion.
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De : Maël Galisson
Sur les plages de la mer du Nord, des objets abandonnés racontent des vies
de migrants
*Gravelines (France) (AFP) – Ethiopie, Soudan, Libye, Italie, France et,
enfin, Royaume-Uni: une feuille rongée par le sable et l’eau trouvée sur la
plage de Gravelines (Nord), dresse l’itinéraire, à travers deux continents
et des milliers de kilomètres, d’une personne migrante en quête
d’Angleterre. *
Publié le : 29/03/2025 - 15:51Modifié le : 29/03/2025 - 15:47
6 min
[image: Le “beachcomber” belge Aäron Fabrice de Kisangani regarde un carnet
abandonné par des migrants sur la plage de Gravelines, le 26 mars 2025 dans
le Nord] Le “beachcomber” belge Aäron Fabrice de Kisangani regarde un
carnet abandonné par des migrants sur la plage de Gravelines, le 26 mars
2025 dans le Nord © Sameer Al-DOUMY / AFP
Lorsqu’elle est repérée par Aäron Fabrice de Kisangani, un Belge flamand de
27 ans, la feuille est en grande partie enfouie dans le sable, encore
trempée et attaquée par de petits “talitres”, des crustacés de quelques
millimètres qui grignotent les objets abandonnés sur les plages.
Avec une grande précaution, ce ratisseur de plage ou “beachcomber”, qui
consacre son temps libre à la quête de trouvailles en tous genres, extrait
la feuille du sable et la déplie, puis en retire un talitre.
Lors de chaque départ d’embarcation clandestine vers l’Angleterre, des
candidats à l’exil laissent des affaires sur la plage, par précipitation ou
besoin de s’alléger.
[image: Le “beachcomber” belge Aäron Fabrice de Kisangani, regarde une
feuille dressant un itinéraire abandonnée par des migrants sur la plage de
Gravelines, dans le nord de la France, le 26 mars 2025] Le “beachcomber”
belge Aäron Fabrice de Kisangani, regarde une feuille dressant un
itinéraire abandonnée par des migrants sur la plage de Gravelines, dans le
nord de la France, le 26 mars 2025 © Sameer Al-DOUMY / AFP
Chaussures, vêtements, sacs et documents se retrouvent éparpillés sur les
plages du littoral du nord de la France, aux côtés d’affaires abandonnées
par pêcheurs et promeneurs, et d’objets parfois insolites recrachés par la
mer.
“Beachcomber” depuis 20 ans, Aäron Fabrice de Kisangani collectionne des
graines de plantes tropicales ou encore des dents de requin, et s’intéresse
depuis un an aux objets laissés par les exilés.
“J’en trouvais tout le temps mais je ne les prenais pas, et j’ai commencé à
me demander pourquoi”, explique-t-il à l’AFP. A défaut d’être ramassés,
“ils sont perdus”, souligne-t-il.
“Désert”
Cette feuille extraite du sable semble retracer le parcours migratoire
d’une Ethiopienne nommée Rose I., à en croire le nom inscrit en haut du
papier.
[image: Le “beachcomber” belge Aäron Fabrice de Kisangani examine des
billets d’avion et de train abandonnés par les migrants sur la plage de
Gravelines, dans le nord de la France, le 26 mars 2025] Le “beachcomber”
belge Aäron Fabrice de Kisangani examine des billets d’avion et de train
abandonnés par les migrants sur la plage de Gravelines, dans le nord de la
France, le 26 mars 2025 © Sameer Al-DOUMY / AFP
On y voit, reliés par des flèches, des noms de villes, temps de trajet,
moyens de transport. Tel qu’esquissé, le périple commence à “A.A.”, soit
Addis-Abeba, capitale de l’Ethiopie.
Huit cent cinquante kilomètres et 17 heures de voiture plus tard, la voici
à Métemma, à la frontière avec le Soudan.
[image: Le “beachcomber” belge Aäron Fabrice de Kisangani, cherche des
objets et documents abandonnés par des migrants sur la plage de Gravelines,
dans le nord de la France, le 26 mars 2025] Le “beachcomber” belge Aäron
Fabrice de Kisangani, cherche des objets et documents abandonnés par des
migrants sur la plage de Gravelines, dans le nord de la France, le 26 mars
2025 © Sameer Al-DOUMY / AFP
“Dix minutes de marche” doivent suffire pour atteindre Gallabat, de l’autre
côté de la frontière, espère l’auteur ou l’autrice du document.
Après Khartoum, capitale du Soudan, un mot résume l’ampleur de la tâche:
“Désert”. Des milliers de kilomètres à travers le Sahara jusqu’à Tripoli,
en Libye, d’où suivent une traversée en bateau jusqu’à l’Italie puis un
trajet en train jusqu’à la France. Enfin, la dernière flèche indique
l’objectif, rêvé dès l’Ethiopie: “UK”, le Royaume-Uni.
[image: Le “beachcomber” belge Aäron Fabrice de Kisangani range dans un sac
en plastique des documents abandonnés par les migrants sur la plage de
Gravelines, dans le nord de la France, le 26 mars 2025] Le “beachcomber”
belge Aäron Fabrice de Kisangani range dans un sac en plastique des
documents abandonnés par les migrants sur la plage de Gravelines, dans le
nord de la France, le 26 mars 2025 © Sameer Al-DOUMY / AFP
L’histoire ne dit pas si Rose a suivi son itinéraire à la lettre, ni si
elle a réussi à gagner l’Angleterre.
En une matinée de recherches, Aäron Fabrice de Kisangani trouve plusieurs
autres fragments de vies d’exilés: la convocation en vue de son expulsion,
le 18 mars, d’un Albanais placé en rétention administrative ; des billets
utilisés pour rallier Bucarest au littoral en quelques heures, par avion
jusqu’à Roissy puis en train de Paris à Dunkerque.
“mieux comprendre”
Ces objets qui racontent “l’histoire des réfugiés”, pourraient permettre de
leur “redonner leur humanité” espère Aäron Fabrice de Kisangani, qui ne
sait pas encore précisément sous quelle forme exploiter cette collection.
[image: Des objets abandonnés par les migrants après avoir été nettoyés et
triés par le “beachcomber” Aäron Fabrice de Kisangani, à Oostduinkerke, à
l’ouest de la Belgique, le 26 mars 2025] Des objets abandonnés par les
migrants après avoir été nettoyés et triés par le “beachcomber” Aäron
Fabrice de Kisangani, à Oostduinkerke, à l’ouest de la Belgique, le 26 mars
2025 © Sameer Al-DOUMY / AFP
“Je veux montrer le problème sous un autre angle, en tant que
+beachcomber+.”
Lui-même, depuis qu’il récupère ces objets, a “beaucoup appris sur la
manière dont les réfugiés voyagent et à quelle vitesse, leurs nationalités
(…) Je fais des recherches sur ce qui arrive dans leurs pays, et ça me
permet de mieux comprendre le problème et la raison de leur départ vers le
Royaume-Uni.”
Alors qu’il marche sur le sable en direction de sa voiture, une poignée de
vies humaines se jouent à l’autre bout de la plage.
Une trentaine de migrants sortent des dunes et courent vers un bateau déjà
à l’eau. Repoussés par la police, ils retentent leur chance, quelques
minutes plus tard.
[image: Des migrants montent à bord d’un bateau de passeurs pour tenter de
traverser la Manche, au large de la plage de Gravelines, dans le nord de la
France, le 26 mars 2025] Des migrants montent à bord d’un bateau de
passeurs pour tenter de traverser la Manche, au large de la plage de
Gravelines, dans le nord de la France, le 26 mars 2025 © Sameer Al-DOUMY /
AFP
Cette fois-ci, une grande majorité parviennent à monter à bord. Un enfant
pleure.
Trois membres d’une même famille échouent, dont l’un, un trentenaire,
implore sans succès sa mère, montée sur le bateau, d’en descendre.
Des scènes qu’aucun document laissé sur les plages ne peut raconter.