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Migrants morts dans la Manche : «Si on a un soupçon d’humanité, on ne peut
pas ne rien faire»
*Une marche blanche en hommage aux 89 exilés morts en 2024 lors de leur
traversée de la Manche était organisée à Calais, ce samedi 11 janvier. Elus
et associations dénoncent le «harcèlement constant» des personnes exilées
et appellent à financer une «politique de l’accueil».*
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Marche pour la justice et la dignité, en mémoire des 89 personnes mortes en
2024, le 11 janvier 2025. (Stéphane Dubromel/Hans Lucase pour Libération)
par Stéphanie Maurice https://www.liberation.fr/auteur/stephanie-maurice/,
envoyée spéciale à Calais (Pas-de-Calais)
publié aujourd’hui à 20h02
A Sangatte, le corps d’un Syrien de 19 ans a été retrouvé sur la plage
ce samedi 11 janvier dans la matinée. Le premier mort en mer de l’année. La
nouvelle est tombée juste avant le début de la marche organisée à Calais,
en mémoire des 89 personnes mortes en 2024 à cette frontière de l’Union
européenne. L’appel a été lancé dans Libération
par les associations d’aide aux exilés sur le littoral, et signé par de
nombreuses personnalités, politiques, humanitaires et artistiques. Jamais
de toute l’histoire migratoire de Calais, il n’y a eu autant de vies
perdues. Et l’année 2025 commence mal.
«Bunkérisation»
«L’hiver n’a rien fait, il n’a pas diminué les tentatives de traversée»,
soupire Dany Patoux, la coprésidente d’Osmose62, l’association d’aide aux
exilés dans le Boulonnais. En 2024, selon le ministère de l’Intérieur
britannique, 36 816 personnes ont ainsi traversé la Manche. Sur la digue de
mer, des représentants des différentes couleurs du Nouveau Front populaire
sont présents : écologistes, insoumis, communistes et socialistes. Ils
demandent une renégociation des accords du Touquet, qui placent la
frontière britannique en France, de ce côté-là de la Manche. *«Il faudrait
que les financements anglais n’aillent plus à la bunkérisation de Calais,
mais à une politique de l’accueil, avec des centres à taille humaine»,*
explique Thierry Coulombel, premier secrétaire fédéral PS du
Pas-de-Calais. *«Ces
morts ne sont pas des fatalités, mais la conséquence de la politique
migratoire : en premier lieu, la militarisation de la frontière, en
deuxième le harcèlement constant des personnes exilées,* dénonce Juliette
Delaplace, une militante associative. *Aujourd’hui, dans notre diversité,
nous faisons front commun contre cette politique.»* Angèle Vettorello,
d’Utopia 56, le rappelle : *«En 2024, nous avons aidé plus de 16 000
réfugiés trempés, que nous avons trouvés sous des abribus et dans des gares
après l’échec d’une traversée. L’aide associative est nécessaire, puisque
l’Etat ne prend pas ses responsabilités, et on la continuera.»* Malgré la
pression sur les bénévoles, les contrôles fréquents et les accusations de
faire le jeu des passeurs.
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En 2024, selon le ministère de l’Intérieur britannique, 36 816 personnes
ont ainsi traversé la Manche. (Stéphane Dubromel/Hans Lucase pour
Libération)
Sur la digue de mer, la marche s’organise. Un faux cercueil arrive, porté
cérémonieusement, avec des bouquets de lys et de roses posés sur le bois
noir. Sur le côté, discrète, la famille de Sara, 7 ans, morte piétinée dans
un canot surchargé en avril, est là. Les enfants rescapés portent,
encadrées, des photos de leur sœur souriante, la benjamine. Une autre
famille irakienne, kurde, est venue elle aussi manifester : les pancartes,
«I’m only 15, I don’t deserve to better ?» *(«J’ai 15 ans, je ne mérite
pas mieux ? )* Elle explique avoir déjà tenté quatre fois la traversée,
avec ses deux sœurs de 8 et 13 ans, et ses parents. Ils ont quitté l’Irak,
explique-t-elle, par crainte de Daech.
«Voisinage presque invisible»
Dans la foule qui s’est rassemblée – environ 600 personnes, souvent des
engagés et des militants –, Marie-Christine, 69 ans, veut exprimer *«sa
solidarité pour toutes les associations qui sont sur le terrain».* Elle a
longtemps œuvré pour Salam, l’une des plus anciennes sur Calais. *«Je peux
vous le dire, aller apporter du thé pour les migrants à 8 heures du matin
dans les camps, c’est courageux !»* Elle tient à expliquer le peu de
présence des habitants de Calais à la manifestation : *«Ça n’a jamais été
une ville très riche, mais c’est une ville sociale, où on a le souci de
l’autre. Je connais des gens bien à droite qui sont capables de faire une
soupe pour aider des exilés.»*
Gaspard (1), la vingtaine, aujourd’hui bénévole auprès des exilés,
Calaisien de naissance, le reconnaît : *«On peut vivre ici et s’en foutre
totalement : ces gens sont invisibilisés. Tous les artifices ont été mis en
place pour ne pas les voir. Au lycée, je n’avais aucune forme d’engagement.
Puis je suis allé sur des campements. Si on a un soupçon d’humanité, on ne
peut pas ne rien faire.»* René, 66 ans, ancien DRH, l’un des rares
manifestants à être un simple Calaisien, dénonce la frontière meurtrière : *«En
fait, la présence des exilés ne pose pas de problème. Il peut y avoir des
accrochages, mais c’est globalement un voisinage plutôt paisible, presque
invisible.»* Il y a juste des traces de leur présence. *«On se balade sur
la plage, il y a des objets sur le sable, des tas de vêtements au bord de
la route»,* raconte-t-il. Ce qui reste après des départs précipités en
small boat, ou des naufrages. Il commente : *«Cela devient naturel, et
c’est ça qui est dramatique.»*
(1) Le prénom a été modifié.
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