Fwd: Quand les pêcheurs portent secours aux migrants en mer [La Croix, 23.12.2024]

miladyrenoirmiladyrenoir
2025-1-6 16:51

La parole de quelques pêcheurs devenus sauveteurs..

des alliés imprévus

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La Croix

France, lundi 23 décembre 2024

Quand les pêcheurs portent secours aux migrants en mer

Nathalie Birchem

*Alors que 2024 se termine sur un nombre record de décès parmi les migrants

ayant tenté de traverser la Manche, La Croix est allée à la rencontre des

pêcheurs de Boulogne-sur-Mer, pour qui ces traversées font partie du

quotidien.*

Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais)

De notre envoyée spéciale

Ce matin-là, la lumière est vive et l’air glacé. Le ciel, fendu par les

mouettes et les grisards qui se disputent à hauts cris, est d’un bleu

étincelant. Sur le ponton, une poignée de bateaux aux coques blanches,

bleues ou rouges clapotent dans l’eau verte. Le caseyeur La Crevette est

amarré au ponton. Benoît prépare son filet, la corde rouge, celle qui

flotte, en haut, la bleue, lestée de plomb pour aller au fond, en bas.

Des migrants ? Bien sûr qu’il en rencontre en mer. « Moi je travaille pas

loin des côtes donc je les vois partir,explique le patron de pêche. Dès que

les conditions météo sont bonnes, ils embarquent au petit jour. Mais là,

aujourd’hui, ça m’étonnerait car il y a un fort vent de terre. De toute

façon, on en voit quand même moins depuis l’été. » Moins peut-être mais

désormais, même l’hiver, les tentatives de traversées de la Manche ne

s’arrêtent plus.

Sur le quai, en bottes et veste bleue, José Pinto scrute l’horizon. Il

attend le retour de l’ Ophelea, le bateau de ses fils, pêcheurs comme lui.

Aujourd’hui à la retraite, il se rappelle que « les migrants, on a commencé

à en voir beaucoup depuis cinq ou six ans. Avant ils passaient par le

tunnel, mais les autorités ont tout barricadé, alors ils ont essayé par

bateau ». En 2018, se souvient-il, « ils ont même volé un

fileyeur,L’Épervier , qu’ils ont amené jusqu’en Angleterre ».

Désormais, les traversées de migrants font partie du quotidien des

pêcheurs. « Ma hantise,reprend Benoît, c’est de ne pas les voir la nuit.

Car ils ne sont pas éclairés. Normalement, quand ils nous voient arriver,

ils allument leur téléphone, mais à la vitesse où je vais, ce serait vite

fait d’en percuter un. »

Mais surtout, les pêcheurs croisent de plus en plus d’embarcations en

mauvaise posture. « C’est des bateaux gonflables de vraiment mauvaise

qualité, avec un fond très fragile,explique Gaëtan Delsart, le patron du

Adèle-Camille. Et là-dessus, les passeurs vous entassent jusqu’à 50, voire

70 personnes. J’en ai vu qui étaient tellement collés les uns aux autres

qu’ils ne pouvaient même pas tirer sur la ficelle pour redémarrer le

lanceur. » Il est déjà arrivé que des passagers décèdent par asphyxie. Mais

le danger le plus courant est que le bateau, trop fragile, coule . « S’ils

tombent, avec une eau à moins de 13 °C, leurs minutes sont comptées »,

précise Gaëtan.

Quand un canot en difficulté appelle les secours, le Centre régional

opérationnel de surveillance et de sauvetage (Cross) du cap Gris-Nez alerte

le bateau le plus proche, conformément au droit maritime, qui oblige tout

capitaine à porter assistance à toute personne en danger en mer. « On nous

demande alors de nous dérouter et de vérifier que l’embarcation flotte,

combien il y a de passagers, si les gens ont des gilets… », explique Gaëtan.

Si le canot fait route normalement, les autorités le laissent poursuivre,

un abordage comportant trop de risque. Mais s’il est en difficulté, elles

peuvent demander au pêcheur d’intervenir. « On obéit à ce que le Cross nous

demande, poursuit Gaëtan. Moi, ça m’est arrivé d’avoir dû accompagner une

heure un bateau en panne, le temps que les secours arrivent. » Son frère,

Jonathan, qui navigue sur le Corentin-Lucas, a lui aussi déjà dû veiller

sur 12 exilés réfugiés sur le dos de leur Zodiac, retourné par le passage

d’un cargo, le temps que les sauveteurs arrivent. « On perd une heure ou

deux dans la journée, reprend Gaëtan, mais on ne peut pas laisser des êtres

humains se noyer. Et je n’ai jamais entendu un pêcheur dire : “Qu’ils se

débrouillent !” Celui-là, il n’aurait pas intérêt à rentrer au port… »

Parfois, les choses tournent mal. Début septembre, « le Cross nous a envoyé

un “mayday” , raconte Gaëtan Baillet, patron de La Bretonne. Je rentrais au

port, je me suis dérouté. Quand je suis arrivé, il y avait aussi mon

cousin, le patron duMurex . Les secours avaient déjà emporté les

survivants, mais il y avait encore des corps à l’eau. On a attrapé les

manteaux qui flottaient et on les a remontés.

Mon cousin a remonté une jeune fille avec un portable attaché autour du

cou, qui n’arrêtait pas de sonner ». Une expérience douloureuse. Mais les

marins ont décliné l’aide psychologique proposée.

Mais il arrive aussi que les pêcheurs sauvent des vies. Jonathan Delsart en

a fait l’expérience plusieurs fois. « En juin, on m’a appelé pour aller

chercher un gars qui était tout seul dans l’eau, accroché à une petite

bouée. Il avait dû tomber d’un bateau et n’avait pas pu remonter. Je ne

sais pas pourquoi, mais quand je l’ai repêché, il était nu comme un ver !

Mon gamin lui a donné ses vêtements de rechange. »

En revanche, en septembre dernier, l’intervention est encore plus

périlleuse. « J’étais en train de remonter des casiers quand j’ai reçu le

message comme quoi il y avait des hommes à la mer. J’étais à dix minutes.

On est arrivés en même temps que le bateau de la gendarmerie et qu’un

hélicoptère. » Un Zodiac transportant 67 personnes est alors en train de se

dégonfler et de se replier sur lui-même. « Il y avait des gens coincés au

milieu avec de l’eau à hauteur de poitrine. Quand on est arrivés, il y a eu

un mouvement de panique. J’ai vu un père et son gamin tomber à l’eau et

s’enfoncer à 1 mètre de profondeur, avant de remonter. » Il faut alors agir

vite. « La gendarmerie a attaqué par devant et moi par derrière. Là on ne

se pose pas de questions : on lance des gilets à ceux qui sont à l’eau, et

on attrape tous ceux qu’on peut, on récupère les gilets et on les relance.

» En quinze minutes, Jonathan fait monter 27 migrants sur son bateau de 12

mètres.

À bord, les naufragés se détendent enfin. Jonathan installe un gamin de 7

ans sur le siège du capitaine. Et on discute un peu grâce à Google Trad. «

Il y en avait un Syrien qui en était à se deuxième tentative. Il m’a

expliqué que sa vie était tellement merdique qu’il réessaierait même s’il

devait en mourir. Ces gens veulent partir. Je ne sais pas ce qui pourrait

les en empêcher, estime Jonathan. Moi j’en veux surtout aux passeurs qui

prennent leur argent pour les mettre sur des bateaux qui ne peuvent pas

arriver. » Une question cependant le taraude : « Je comprends que les

forces de l’ordre qui les interceptent à terre confisquent les Zodiacs.

Mais pourquoi ils leur prennent leurs gilets de sauvetage ? Ou alors qu’ils

en donnent à chaque bateau qui peut être amené à intervenir. Le gilet,

c’est la survie ! »