2024, année la plus meurtrière pour les exilés à Calais [Les Jours, 1.01.2025]

miladyrenoirmiladyrenoir
2025-1-2 10:08

Quelle est la différence entre un meurtrier et un assassin ? Un assassin

est donc une personne ayant commis un acte avec la volonté de tuer sa

victime et ayant préparé son acte à l’avance. La différence entre un

assassin et un meurtrier est donc principalement le caractère prémédité ou

non de l’acte ayant conduit à la mort d’autrui.

L’Europe est-elle meurtrière et/ou assassine?

La question est toute répondue.

Aux destinataires de ce mail:

*merci de l’imprimer et de l’afficher dans vos espaces de travail, les

espaces de passages, … Une sorte de stèle de papier, un mémorial

éphémère… en attendant que.*

———- Forwarded message ———

De : Maël Galisson

https://lesjours.fr/obsessions/calais-migrants-morts/ep11-bilan-2024/

2024, année la plus meurtrière pour les exilés à Calais

Au moins 89 personnes sont mortes cette année en voulant traverser la

Manche.

Des tentatives de plus en plus risquées, aggravées par la répression

policière.

1er janvier 2025 Épisode n° 11

Les épisodes

Texte Maël Galisson https://lesjours.fr/auteurs/mael-galisson/

https://lesjours.fr/auteurs/mael-galisson/ Photo Édouard Bride/Hans

Lucas Édité

par Lucile Sourdès-Cadiou https://lesjours.fr/auteurs/lucile-sourdes/

https://lesjours.fr/auteurs/lucile-sourdes/

À chaque plage son cadavre recraché par la Manche. Ces dernières semaines

se sont multipliées sur la Côte d’Opale les alertes relatives à la

découverte d’une dépouille rejetée par la mer. Le 21 décembre, un corps,

entier mais en état de grande décomposition, a été trouvé par un riverain

sur la plage de Wimereux, dans le Pas-de-Calais, non loin de l’école de

voile. Un mois plus tôt, c’est un promeneur qui en repérait un autre,

méconnaissable après un long séjour dans l’eau, sur la plage de Quend, au

nord de la baie de Somme. Le même scénario s’est reproduit à de nombreuses

reprises dans le Pas-de-Calais dernièrement : le 12 novembre à Wissant, le

17 novembre à Marck, deux fois à Calais les 6 et 14 novembre, ainsi qu’à

Sangatte, au pied des falaises ivoires du cap Blanc-Nez, les 2 et

14 novembre. Si on ajoute les quatre corps repêchés au large de Calais les

5 et 6 novembre, celui retrouvé le 8 décembre en mer à hauteur d’Escalles

et, enfin, la dépouille récupérée à proximité du port de Douvres, côté

britannique, le 5 décembre, ce sont en tout quatorze cadavres qui ont été

rendus par la Manche, la plupart dans un état de décomposition avancée,

depuis début novembre. La majorité des corps retrouvés sont liés à des

naufrages de « small boats » tentant de rejoindre l’Angleterre, en

particulier un, survenu le 23 octobre et dont le bilan humain officiel, qui

faisait état de trois morts, a été largement sous-estimé

https://www.mediapart.fr/journal/france/081124/calais-les-autorites-comptent-trois-morts-dans-un-naufrage-et-oublient-treize-disparus

.

Cette lugubre liste ne fait qu’illustrer la réalité plus générale observée

à la frontière franco-britannique au cours de l’année qui vient de

s’écouler. Alors que près de 37 000 personnes migrantes ont réussi à

franchir le Channel depuis le 1er janvier, d’après le ministère de

l’Intérieur britannique

https://www.migrationwatchuk.org/channel-crossings-tracker, Les Jours

ont recensé au moins 89 exilés qui ont perdu la vie cette année dans la

région, https://apps.lesjours.fr/morts-calais/ainsi que le documente le

« Mémorial de Calais » http:///, un outil interactif inédit à retrouver

en bas de page. C’est, de loin, l’année la plus meurtrière à cette

frontière depuis 1999 – la seconde, l’an 2000, compte 60 décès, dont

58 exilés chinois asphyxiés le même jour dans un camion. L’hécatombe, qui

dure depuis vingt-cinq ans et a fait au moins 484 victimes, n’en finit pas.

Retour sur ces douze mois mortifères.

*Dina Al Shammari, 21 ans, Sara El Hashimi, 6 ans, et Abdulaziz, 21 ans,

sont morts de la même façon : écrasés dans des zodiacs surchargés*

*« Il était environ 4 heures du matin quand nous avons commencé à embarquer

sur le zodiac, près de 100 personnes attendaient sur la côte »*, se

remémore Nour Al Shammari, 19 ans, originaire du Koweït, rencontrée à

l’accueil de jour du Secours catholique à Calais. La jeune femme et sa

sœur, Dina, 21 ans, sont parmi les premiers passagers à monter sur le

pneumatique ce dimanche 28 juillet, sur une plage proche de Calais. Mais le

trop grand nombre de candidats au passage crée rapidement une situation de

chaos avant même le départ. *« On s’est retrouvées coincées au milieu d’une

vingtaine de personnes, nous n’arrivions plus à respirer,* détaille Nour. *On

a crié à l’aide, mais personne n’a rien fait sur le moment et le bateau a

quand même démarré. »*

« Certains passagers ont demandé assistance peu de temps après le départ,

se souvient Éric

https://lesjours.fr/obsessions/calais-migrants-morts/ep11-bilan-2024/#note-1,

un marin qui a pris part à l’opération de sauvetage. *En s’approchant, on a

vu qu’il y avait de nombreuses personnes debout qui n’osaient pas bouger

tellement l’embarcation était en surcharge. »* Au cours de l’intervention,

les sauveteurs remarquent vite Dina, inconsciente au milieu de la foule de

passagers. *« Un secouriste est monté au milieu de l’embarcation et l’a

récupérée, puis on a tenté de la réanimer une fois à bord de notre

bateau, *souffle

Éric*, mais elle était en arrêt depuis de nombreuses minutes. C’est

l’horreur complète, elle a été écrasée. »* Dina Al Shammari appartenait à

la minorité bidoune au Koweït. Elle avait fui avec sa famille les

discriminations dont sont victimes les membres de cette communauté pour

l’Allemagne en 2021, où ils avaient demandé l’asile. Déboutée au terme de

la procédure, craignant une expulsion, la famille espérait trouver une

seconde chance en Angleterre. La jeune femme, récemment diplômée dans le

domaine de la santé en Allemagne, est morte asphyxiée.

Les circonstances de son décès ne sont pas exceptionnelles. Le 19 juillet,

Abdulaziz, un Soudanais de 21 ans, est retrouvé par les secours mort

étouffé au milieu d’une embarcation de 86 personnes. Le 23 avril, à hauteur

de la plage de Wimereux, cinq personnes exilées meurent après avoir été

piétinées par les passagers d’un zodiac dans lequel avaient pris place près

d’une centaine de personnes. Parmi les victimes, Sara El Hashimi, une

fillette irakienne de 6 ans. Le 15 septembre, un nouvel incident grave à

proximité de la plage d’Ambleteuse fait huit morts, écrasés dans un

mouvement de panique, selon une source policière. Le 5 octobre,

quatre personnes, dont un bébé de 2 ans, décèdent étouffés dans

deux traversées distinctes. Selon le préfet du Pas-de-Calais, Jacques

Billant, les trois adultes ont été retrouvés inanimés au fond du

zodiac, *« vraisemblablement

écrasés et noyés dans des bousculades et dans les 40 centimètres d’eau au

fond de l’embarcation pneumatique ».*

*On observe beaucoup de tensions lors des départs, avec beaucoup de

personnes exilées qui tentent de partir au même moment, sur le même bateau.

Le tout dans un climat de violences policières, avec des interventions des

forces de l’ordre qui font un usage massif de gaz lacrymogènes.*

Angèle Vettorello, coordinatrice d’Utopia 56 à Calais

*« Le bateau sur lequel se trouvaient Dina et sa famille s’est fait

pirater, *estime Éric, qui a discuté avec des rescapés. *Des exilés, qui

n’avaient pas les moyens de payer la traversée, étaient cachés dans les

dunes et sont montés de force quand le zodiac a été mis à l’eau. »* Ahmed

El Ashimi fait un récit identique de l’événement ayant entraîné la mort de

sa fille Sara

https://www.lavoixdunord.fr/1457748/article/2024-05-01/drame-de-wimereux-je-n-ai-pas-pu-sauver-ma-fille-de-la-mort-temoigne-le-papa-de.

Selon les premiers témoignages, c’est également ce qu’il se serait produit,

dimanche 29 décembre à Sangatte, pendant l’incident qui a fait

quatre victimes. Un phénomène également constaté par les acteurs

associatifs, qui a accentué les situations de panique au moment des

embarquements et augmenté les risques. *« On observe beaucoup de tensions

lors des départs, avec beaucoup de personnes exilées qui tentent de partir

au même moment, sur le même bateau,* déplore Angèle Vettorello,

coordinatrice d’Utopia 56 à Calais. *Le tout dans un climat de violences

policières, avec des interventions des forces de l’ordre qui font un usage

massif de gaz lacrymogènes. »*

La stratégie policière sur le littoral est régulièrement dénoncée, qui vise

à tout prix à stopper les bateaux, y compris en crevant les zodiacs à coup

de couteau https://x.com/HumanRightsObs/status/1795474380157305320. Cette

logique s’étend aussi à la Manche : en mars, des journalistes du consortium

Lighthouse Report ont ainsi montré, vidéos à l’appui

https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/03/23/dans-la-manche-les-techniques-agressives-de-la-police-pour-empecher-les-traversees-de-migrants_6223777_3224.html,

de quelle manière les forces de l’ordre tentaient d’intercepter en mer les

embarcations d’exilés, quitte à mettre sérieusement en danger les

passagers. *« Moins de bateaux mis à l’eau, ça ne fait pas moins de

personnes qui veulent passer,* constate de son côté Flore Judet, de

l’association l’Auberge des migrants.* Au contraire, ça va juste générer

une surcharge sur les embarcations qui arriveront à prendre la mer, car les

passeurs doivent y retrouver leur compte, et donc potentiellement plus de

décès. »*

[image: Victimes de la Manche]

Adam Abderrahmane Ediya, Dina Al Shammari, Sara El Ashimi et Jumaa

Al Hassan, décédés lors d’une tentative de traversée vers l’Angleterre —

Photomontage Simon Lambert/Les Jours.

Ce climat sur les plages pousse alors les exilés à réaliser des tentatives

toujours plus lointaines et risquées, en imaginant par exemple franchir la

Manche à partir des cours des fleuves côtiers du Nord-Pas-de-Calais. Dans

la nuit du 2 au 3 mars, 16 personnes, dont dix enfants et une femme

enceinte, embarquent sur un petit bateau de pêche stationné sur le

fleuve Aa, au niveau de la halte fluviale de Watten (Nord), à 30 km du

littoral. Le moteur n’est pas démarré que le bateau chavire sous le poids

des passagers. Coincée dans la cabine de pilotage, Rola Al Mayali, une

enfant irakienne de 7 ans, meurt noyée sous les yeux de ses parents,

Mohamed et Nour, et de ses trois frères Muhaimen, 14 ans, Hassan, 10 ans,

et Moamel, 8 ans.

La même nuit, Jumaa Al Hasan, Syrien originaire d’Alep âgé de 27 ans, disparaît

dans les eaux sombres de l’Aa

https://www.mediapart.fr/journal/france/140324/jumaa-voulait-rejoindre-l-angleterre-il-disparu-lors-d-une-intervention-de-police,

un peu plus en aval du fleuve, à hauteur de Gravelines. Jumaa patientait

sur la berge avec un groupe d’exilés, dans l’attente du passage d’un zodiac

descendant le fleuve, quand une patrouille de police intervient afin

d’empêcher l’embarquement. Dans la panique et au milieu des gaz

lacrymogènes, Jumaa, espérant atteindre le zodiac, saute à l’eau, coule une

première fois, remonte à la surface avant de couler de nouveau. Les alertes

lancées immédiatement par les exilés présents ne permettront pas de le

retrouver. Le corps inanimé de Jumaa réapparaîtra seize jours plus tard,

très en aval, à hauteur de Grand-Fort-Philippe.

« La France ne laissera pas la Manche devenir un cimetière », avait

annoncé

https://www.lemonde.fr/international/article/2021/11/24/naufrage-de-migrants-la-france-ne-laissera-pas-la-manche-devenir-un-cimetiere-assure-emmanuel-macron_6103479_3210.html

Emmanuel Macron, quelques heures après le terrible naufrage du

24 novembre 2021 au large de Dunkerque au cours duquel 27 personnes sont

mortes et quatre ont disparu. Le bilan de l’année 2024 vient contredire de

manière cinglante cette sortie du chef de l’État. Sur les 89 personnes

exilées décédées à Calais cette année, au moins 53 sont mortes noyées dans

la Manche. Le nombre de disparus reste pour le moment inconnu.

*Les policiers présents ont vu couler Jumaa, nous les avons alertés, mais

ils n’ont rien fait. Si un chien était en train de se noyer, ils l’auraient

secouru.*

*Ahmed a assisté à la noyade de Jumaa Al Hasan dans la nuit du 2 au

3 mars 2024*

Le 14 janvier, cinq exilés syriens, Aysar Abd Rabou (26 ans) et son frère

Abadeh (14 ans), Ayham Al-Shouli (24 ans), Mohamed Jabawi (16 ans) et Ali

Al Oklah (25 ans), se noient à quelques dizaines de mètres de la digue de

Wimereux (Pas-de-Calais). Nous avions raconté la douloureuse épreuve liée à

l’identification des victimes à laquelle ont été confrontés leurs proches

(lire l’épisode 10, « À Calais, des exilés en quête de tombeau »

https://lesjours.fr/obsessions/calais-migrants-morts/ep10-recuperer-corps).

Le 28 février, Eren Gündogdu, Kurde de Turquie âgé de 22 ans, meurt en mer

au cours d’une traversée au large de Wissant. Trois autres personnes sont

toujours portées disparues. Le 12 juillet, quatre personnes de nationalité

somalienne périssent après qu’un zodiac s’est renversé au large de

Boulogne-sur-Mer. Cinq jours plus tard, Dakhlac, une femme érythréenne de

32 ans, décède au large de Gravelines. Le 11 août, deux exilés afghans,

Fazal Rabi et Ishanullah, meurent au large de Calais. Le 3 septembre,

dix femmes et deux hommes, tous originaires d’Érythrée, sombrent dans un

naufrage au large du cap Gris-Nez. Le bateau pneumatique se serait affaissé

sur lui-même sous le poids des passagers. Une treizième victime, Kbaat

Gebrehiwet, Érythréenne de 20 ans, est retrouvée deux semaines plus tard

après que son corps a été repêché en mer, au large d’Ambleteuse.

Énumération atroce d’événements tragiques à répétition se déroulant à

trois heures de Paris. Le 3 septembre, sur un quai du port de

Boulogne-sur-Mer, le ministre de l’Intérieur démissionnaire, Gérald

Darmanin, fustige *« les passeurs, ces criminels, responsables du

naufrage »* ayant provoqué la mort de douze personnes. Dans une tribune

https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/16/naufrages-de-la-manche-la-politique-migratoire-franco-britannique-est-mortifere-et-ce-n-est-pas-aux-associations-d-en-pallier-l-inconsequence_6320400_3232.html

parue dans Le Monde mi-septembre, un collectif d’associatifs lui répond

et dénonce *« une politique mortifère » menée à la frontière « qui crée

les conditions pour que les personnes se jettent dans les bras des

trafiquants d’êtres humains et meurent en mer »*. À Calais, Dunkerque,

Boulogne-sur-Mer ou encore Ambleteuse se succèdent des commémorations

organisées par des associatifs ou des habitants pour rendre hommage aux

victimes (lire l’épisode 9, « Voir Calais et se souvenir, 376 fois »

https://lesjours.fr/obsessions/calais-migrants-morts/ep9-memoire). Le

17 octobre, Meryem, un bébé de deux mois et demi, meurt noyée au cours d’un

naufrage au large de Wissant. La famille de Meryem, originaire du Kurdistan

irakien, espérait elle aussi rejoindre le Royaume-Uni et ainsi échapper au

risque d’expulsion après le rejet de leur demande d’asile en Allemagne. La

frontière n’offre aucun répit.

À ces morts en mer s’ajoute une série de décès, parfois invisibles

médiatiquement, survenus à terre au cours de cette année. Le 27 janvier, le

Soudanais Adam Abderrahmane Ediya est mort dans des conditions atroces :

alors qu’il avait réussi à se cacher dans la remorque d’un camion en

partance pour l’Angleterre, il a été écrasé et transpercé par la cargaison

du véhicule, probablement mal stabilisée. Le 8 février, Radu-Ion Meterca,

44 ans et originaire de Roumanie, meurt électrocuté par un caténaire après

être monté sur le toit d’un Eurostar stationné Gare du Nord, à Paris, et à

destination de Londres. Le 14 décembre, à Loon-Plage, Hadu et Hamid,

deux exilés kurdes iraniens, sont victimes, avec trois autres hommes de

nationalité française, d’une tuerie collective perpétrée par Paul Domis,

ancien routier, inscrit à club de tir et amateur de chasse…

Dans un tweet https://x.com/BrunoRetailleau/status/1841891630007124414

daté du 3 octobre, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, en marge du

G7, constatait avec son homologue britannique Yvette Cooper que *« l’efficacité

des forces de l’ordre pour empêcher les traversées vers le Royaume-Uni

avait des conséquences néfastes avec une augmentation des décès et des

violences entre migrants et envers les forces de l’ordre »*. Une

déclaration qui constitue à la fois une reconnaissance de responsabilité et

une euphémisation de ces morts, ramenés à des simples *« conséquences

néfastes »*. En mars dernier, Ahmed a assisté, impuissant, à la noyade de

Jumaa Al Hasan dans le fleuve Aa : *« Les policiers présents ont vu couler

Jumaa, nous les avons alertés, mais ils n’ont rien fait. Si un chien était

en train de se noyer, ils l’auraient secouru. »* En reprenant son souffle,

le Syrien conclut : *« Certes, nous sommes en situation irrégulière, nous

n’avons pas de papiers, nous n’avons rien, mais nous restons des êtres

humains. »*