Quelle est la différence entre un meurtrier et un assassin ? Un assassin
est donc une personne ayant commis un acte avec la volonté de tuer sa
victime et ayant préparé son acte à l’avance. La différence entre un
assassin et un meurtrier est donc principalement le caractère prémédité ou
non de l’acte ayant conduit à la mort d’autrui.
L’Europe est-elle meurtrière et/ou assassine?
La question est toute répondue.
Aux destinataires de ce mail:
*merci de l’imprimer et de l’afficher dans vos espaces de travail, les
espaces de passages, … Une sorte de stèle de papier, un mémorial
éphémère… en attendant que.*
———- Forwarded message ———
De : Maël Galisson
https://lesjours.fr/obsessions/calais-migrants-morts/ep11-bilan-2024/
2024, année la plus meurtrière pour les exilés à Calais
Au moins 89 personnes sont mortes cette année en voulant traverser la
Manche.
Des tentatives de plus en plus risquées, aggravées par la répression
policière.
1er janvier 2025 Épisode n° 11
Les épisodes
Texte Maël Galisson https://lesjours.fr/auteurs/mael-galisson/
https://lesjours.fr/auteurs/mael-galisson/ Photo Édouard Bride/Hans
Lucas Édité
par Lucile Sourdès-Cadiou https://lesjours.fr/auteurs/lucile-sourdes/
https://lesjours.fr/auteurs/lucile-sourdes/
À chaque plage son cadavre recraché par la Manche. Ces dernières semaines
se sont multipliées sur la Côte d’Opale les alertes relatives à la
découverte d’une dépouille rejetée par la mer. Le 21 décembre, un corps,
entier mais en état de grande décomposition, a été trouvé par un riverain
sur la plage de Wimereux, dans le Pas-de-Calais, non loin de l’école de
voile. Un mois plus tôt, c’est un promeneur qui en repérait un autre,
méconnaissable après un long séjour dans l’eau, sur la plage de Quend, au
nord de la baie de Somme. Le même scénario s’est reproduit à de nombreuses
reprises dans le Pas-de-Calais dernièrement : le 12 novembre à Wissant, le
17 novembre à Marck, deux fois à Calais les 6 et 14 novembre, ainsi qu’à
Sangatte, au pied des falaises ivoires du cap Blanc-Nez, les 2 et
14 novembre. Si on ajoute les quatre corps repêchés au large de Calais les
5 et 6 novembre, celui retrouvé le 8 décembre en mer à hauteur d’Escalles
et, enfin, la dépouille récupérée à proximité du port de Douvres, côté
britannique, le 5 décembre, ce sont en tout quatorze cadavres qui ont été
rendus par la Manche, la plupart dans un état de décomposition avancée,
depuis début novembre. La majorité des corps retrouvés sont liés à des
naufrages de « small boats » tentant de rejoindre l’Angleterre, en
particulier un, survenu le 23 octobre et dont le bilan humain officiel, qui
faisait état de trois morts, a été largement sous-estimé
.
Cette lugubre liste ne fait qu’illustrer la réalité plus générale observée
à la frontière franco-britannique au cours de l’année qui vient de
s’écouler. Alors que près de 37 000 personnes migrantes ont réussi à
franchir le Channel depuis le 1er janvier, d’après le ministère de
l’Intérieur britannique
https://www.migrationwatchuk.org/channel-crossings-tracker, Les Jours
ont recensé au moins 89 exilés qui ont perdu la vie cette année dans la
région, https://apps.lesjours.fr/morts-calais/ainsi que le documente le
« Mémorial de Calais » http:///, un outil interactif inédit à retrouver
en bas de page. C’est, de loin, l’année la plus meurtrière à cette
frontière depuis 1999 – la seconde, l’an 2000, compte 60 décès, dont
58 exilés chinois asphyxiés le même jour dans un camion. L’hécatombe, qui
dure depuis vingt-cinq ans et a fait au moins 484 victimes, n’en finit pas.
Retour sur ces douze mois mortifères.
*Dina Al Shammari, 21 ans, Sara El Hashimi, 6 ans, et Abdulaziz, 21 ans,
sont morts de la même façon : écrasés dans des zodiacs surchargés*
*« Il était environ 4 heures du matin quand nous avons commencé à embarquer
sur le zodiac, près de 100 personnes attendaient sur la côte »*, se
remémore Nour Al Shammari, 19 ans, originaire du Koweït, rencontrée à
l’accueil de jour du Secours catholique à Calais. La jeune femme et sa
sœur, Dina, 21 ans, sont parmi les premiers passagers à monter sur le
pneumatique ce dimanche 28 juillet, sur une plage proche de Calais. Mais le
trop grand nombre de candidats au passage crée rapidement une situation de
chaos avant même le départ. *« On s’est retrouvées coincées au milieu d’une
vingtaine de personnes, nous n’arrivions plus à respirer,* détaille Nour. *On
a crié à l’aide, mais personne n’a rien fait sur le moment et le bateau a
quand même démarré. »*
« Certains passagers ont demandé assistance peu de temps après le départ,
se souvient Éric
https://lesjours.fr/obsessions/calais-migrants-morts/ep11-bilan-2024/#note-1,
un marin qui a pris part à l’opération de sauvetage. *En s’approchant, on a
vu qu’il y avait de nombreuses personnes debout qui n’osaient pas bouger
tellement l’embarcation était en surcharge. »* Au cours de l’intervention,
les sauveteurs remarquent vite Dina, inconsciente au milieu de la foule de
passagers. *« Un secouriste est monté au milieu de l’embarcation et l’a
récupérée, puis on a tenté de la réanimer une fois à bord de notre
bateau, *souffle
Éric*, mais elle était en arrêt depuis de nombreuses minutes. C’est
l’horreur complète, elle a été écrasée. »* Dina Al Shammari appartenait à
la minorité bidoune au Koweït. Elle avait fui avec sa famille les
discriminations dont sont victimes les membres de cette communauté pour
l’Allemagne en 2021, où ils avaient demandé l’asile. Déboutée au terme de
la procédure, craignant une expulsion, la famille espérait trouver une
seconde chance en Angleterre. La jeune femme, récemment diplômée dans le
domaine de la santé en Allemagne, est morte asphyxiée.
Les circonstances de son décès ne sont pas exceptionnelles. Le 19 juillet,
Abdulaziz, un Soudanais de 21 ans, est retrouvé par les secours mort
étouffé au milieu d’une embarcation de 86 personnes. Le 23 avril, à hauteur
de la plage de Wimereux, cinq personnes exilées meurent après avoir été
piétinées par les passagers d’un zodiac dans lequel avaient pris place près
d’une centaine de personnes. Parmi les victimes, Sara El Hashimi, une
fillette irakienne de 6 ans. Le 15 septembre, un nouvel incident grave à
proximité de la plage d’Ambleteuse fait huit morts, écrasés dans un
mouvement de panique, selon une source policière. Le 5 octobre,
quatre personnes, dont un bébé de 2 ans, décèdent étouffés dans
deux traversées distinctes. Selon le préfet du Pas-de-Calais, Jacques
Billant, les trois adultes ont été retrouvés inanimés au fond du
zodiac, *« vraisemblablement
écrasés et noyés dans des bousculades et dans les 40 centimètres d’eau au
fond de l’embarcation pneumatique ».*
*On observe beaucoup de tensions lors des départs, avec beaucoup de
personnes exilées qui tentent de partir au même moment, sur le même bateau.
Le tout dans un climat de violences policières, avec des interventions des
forces de l’ordre qui font un usage massif de gaz lacrymogènes.*
Angèle Vettorello, coordinatrice d’Utopia 56 à Calais
*« Le bateau sur lequel se trouvaient Dina et sa famille s’est fait
pirater, *estime Éric, qui a discuté avec des rescapés. *Des exilés, qui
n’avaient pas les moyens de payer la traversée, étaient cachés dans les
dunes et sont montés de force quand le zodiac a été mis à l’eau. »* Ahmed
El Ashimi fait un récit identique de l’événement ayant entraîné la mort de
sa fille Sara
Selon les premiers témoignages, c’est également ce qu’il se serait produit,
dimanche 29 décembre à Sangatte, pendant l’incident qui a fait
quatre victimes. Un phénomène également constaté par les acteurs
associatifs, qui a accentué les situations de panique au moment des
embarquements et augmenté les risques. *« On observe beaucoup de tensions
lors des départs, avec beaucoup de personnes exilées qui tentent de partir
au même moment, sur le même bateau,* déplore Angèle Vettorello,
coordinatrice d’Utopia 56 à Calais. *Le tout dans un climat de violences
policières, avec des interventions des forces de l’ordre qui font un usage
massif de gaz lacrymogènes. »*
La stratégie policière sur le littoral est régulièrement dénoncée, qui vise
à tout prix à stopper les bateaux, y compris en crevant les zodiacs à coup
de couteau https://x.com/HumanRightsObs/status/1795474380157305320. Cette
logique s’étend aussi à la Manche : en mars, des journalistes du consortium
Lighthouse Report ont ainsi montré, vidéos à l’appui
de quelle manière les forces de l’ordre tentaient d’intercepter en mer les
embarcations d’exilés, quitte à mettre sérieusement en danger les
passagers. *« Moins de bateaux mis à l’eau, ça ne fait pas moins de
personnes qui veulent passer,* constate de son côté Flore Judet, de
l’association l’Auberge des migrants.* Au contraire, ça va juste générer
une surcharge sur les embarcations qui arriveront à prendre la mer, car les
passeurs doivent y retrouver leur compte, et donc potentiellement plus de
décès. »*
[image: Victimes de la Manche]
Adam Abderrahmane Ediya, Dina Al Shammari, Sara El Ashimi et Jumaa
Al Hassan, décédés lors d’une tentative de traversée vers l’Angleterre —
Photomontage Simon Lambert/Les Jours.
Ce climat sur les plages pousse alors les exilés à réaliser des tentatives
toujours plus lointaines et risquées, en imaginant par exemple franchir la
Manche à partir des cours des fleuves côtiers du Nord-Pas-de-Calais. Dans
la nuit du 2 au 3 mars, 16 personnes, dont dix enfants et une femme
enceinte, embarquent sur un petit bateau de pêche stationné sur le
fleuve Aa, au niveau de la halte fluviale de Watten (Nord), à 30 km du
littoral. Le moteur n’est pas démarré que le bateau chavire sous le poids
des passagers. Coincée dans la cabine de pilotage, Rola Al Mayali, une
enfant irakienne de 7 ans, meurt noyée sous les yeux de ses parents,
Mohamed et Nour, et de ses trois frères Muhaimen, 14 ans, Hassan, 10 ans,
et Moamel, 8 ans.
La même nuit, Jumaa Al Hasan, Syrien originaire d’Alep âgé de 27 ans, disparaît
dans les eaux sombres de l’Aa
un peu plus en aval du fleuve, à hauteur de Gravelines. Jumaa patientait
sur la berge avec un groupe d’exilés, dans l’attente du passage d’un zodiac
descendant le fleuve, quand une patrouille de police intervient afin
d’empêcher l’embarquement. Dans la panique et au milieu des gaz
lacrymogènes, Jumaa, espérant atteindre le zodiac, saute à l’eau, coule une
première fois, remonte à la surface avant de couler de nouveau. Les alertes
lancées immédiatement par les exilés présents ne permettront pas de le
retrouver. Le corps inanimé de Jumaa réapparaîtra seize jours plus tard,
très en aval, à hauteur de Grand-Fort-Philippe.
« La France ne laissera pas la Manche devenir un cimetière », avait
annoncé
Emmanuel Macron, quelques heures après le terrible naufrage du
24 novembre 2021 au large de Dunkerque au cours duquel 27 personnes sont
mortes et quatre ont disparu. Le bilan de l’année 2024 vient contredire de
manière cinglante cette sortie du chef de l’État. Sur les 89 personnes
exilées décédées à Calais cette année, au moins 53 sont mortes noyées dans
la Manche. Le nombre de disparus reste pour le moment inconnu.
*Les policiers présents ont vu couler Jumaa, nous les avons alertés, mais
ils n’ont rien fait. Si un chien était en train de se noyer, ils l’auraient
secouru.*
*Ahmed a assisté à la noyade de Jumaa Al Hasan dans la nuit du 2 au
3 mars 2024*
Le 14 janvier, cinq exilés syriens, Aysar Abd Rabou (26 ans) et son frère
Abadeh (14 ans), Ayham Al-Shouli (24 ans), Mohamed Jabawi (16 ans) et Ali
Al Oklah (25 ans), se noient à quelques dizaines de mètres de la digue de
Wimereux (Pas-de-Calais). Nous avions raconté la douloureuse épreuve liée à
l’identification des victimes à laquelle ont été confrontés leurs proches
(lire l’épisode 10, « À Calais, des exilés en quête de tombeau »
https://lesjours.fr/obsessions/calais-migrants-morts/ep10-recuperer-corps).
Le 28 février, Eren Gündogdu, Kurde de Turquie âgé de 22 ans, meurt en mer
au cours d’une traversée au large de Wissant. Trois autres personnes sont
toujours portées disparues. Le 12 juillet, quatre personnes de nationalité
somalienne périssent après qu’un zodiac s’est renversé au large de
Boulogne-sur-Mer. Cinq jours plus tard, Dakhlac, une femme érythréenne de
32 ans, décède au large de Gravelines. Le 11 août, deux exilés afghans,
Fazal Rabi et Ishanullah, meurent au large de Calais. Le 3 septembre,
dix femmes et deux hommes, tous originaires d’Érythrée, sombrent dans un
naufrage au large du cap Gris-Nez. Le bateau pneumatique se serait affaissé
sur lui-même sous le poids des passagers. Une treizième victime, Kbaat
Gebrehiwet, Érythréenne de 20 ans, est retrouvée deux semaines plus tard
après que son corps a été repêché en mer, au large d’Ambleteuse.
Énumération atroce d’événements tragiques à répétition se déroulant à
trois heures de Paris. Le 3 septembre, sur un quai du port de
Boulogne-sur-Mer, le ministre de l’Intérieur démissionnaire, Gérald
Darmanin, fustige *« les passeurs, ces criminels, responsables du
naufrage »* ayant provoqué la mort de douze personnes. Dans une tribune
parue dans Le Monde mi-septembre, un collectif d’associatifs lui répond
et dénonce *« une politique mortifère » menée à la frontière « qui crée
les conditions pour que les personnes se jettent dans les bras des
trafiquants d’êtres humains et meurent en mer »*. À Calais, Dunkerque,
Boulogne-sur-Mer ou encore Ambleteuse se succèdent des commémorations
organisées par des associatifs ou des habitants pour rendre hommage aux
victimes (lire l’épisode 9, « Voir Calais et se souvenir, 376 fois »
https://lesjours.fr/obsessions/calais-migrants-morts/ep9-memoire). Le
17 octobre, Meryem, un bébé de deux mois et demi, meurt noyée au cours d’un
naufrage au large de Wissant. La famille de Meryem, originaire du Kurdistan
irakien, espérait elle aussi rejoindre le Royaume-Uni et ainsi échapper au
risque d’expulsion après le rejet de leur demande d’asile en Allemagne. La
frontière n’offre aucun répit.
À ces morts en mer s’ajoute une série de décès, parfois invisibles
médiatiquement, survenus à terre au cours de cette année. Le 27 janvier, le
Soudanais Adam Abderrahmane Ediya est mort dans des conditions atroces :
alors qu’il avait réussi à se cacher dans la remorque d’un camion en
partance pour l’Angleterre, il a été écrasé et transpercé par la cargaison
du véhicule, probablement mal stabilisée. Le 8 février, Radu-Ion Meterca,
44 ans et originaire de Roumanie, meurt électrocuté par un caténaire après
être monté sur le toit d’un Eurostar stationné Gare du Nord, à Paris, et à
destination de Londres. Le 14 décembre, à Loon-Plage, Hadu et Hamid,
deux exilés kurdes iraniens, sont victimes, avec trois autres hommes de
nationalité française, d’une tuerie collective perpétrée par Paul Domis,
ancien routier, inscrit à club de tir et amateur de chasse…
Dans un tweet https://x.com/BrunoRetailleau/status/1841891630007124414
daté du 3 octobre, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, en marge du
G7, constatait avec son homologue britannique Yvette Cooper que *« l’efficacité
des forces de l’ordre pour empêcher les traversées vers le Royaume-Uni
avait des conséquences néfastes avec une augmentation des décès et des
violences entre migrants et envers les forces de l’ordre »*. Une
déclaration qui constitue à la fois une reconnaissance de responsabilité et
une euphémisation de ces morts, ramenés à des simples *« conséquences
néfastes »*. En mars dernier, Ahmed a assisté, impuissant, à la noyade de
Jumaa Al Hasan dans le fleuve Aa : *« Les policiers présents ont vu couler
Jumaa, nous les avons alertés, mais ils n’ont rien fait. Si un chien était
en train de se noyer, ils l’auraient secouru. »* En reprenant son souffle,
le Syrien conclut : *« Certes, nous sommes en situation irrégulière, nous
n’avons pas de papiers, nous n’avons rien, mais nous restons des êtres
humains. »*