Fwd: [Jungles] Migrants disparus dans la Manche : des enquêtes négligées ? [Le Monde, 29.11.2024]

miladyrenoirmiladyrenoir
2024-12-4 13:28

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De : Maël Galisson mael.galisson@gmail.com

Date: dim. 1 déc. 2024 à 08:35

Subject: [Jungles] Migrants disparus dans la Manche : des enquêtes

négligées ? [Le Monde, 29.11.2024]

To: la liste des soutiens aux exilés des jungles jungles@rezo.net

https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/11/29/disparus-dans-la-manche-des-enquetes-negligees_6419556_3224.html

Migrants disparus dans la Manche : des enquêtes négligées ?

associations critiquent une organisation opaque des investigations sur les

morts et disparus en mer. Au sein de la gendarmerie maritime, on reconnaît

une « marge sévère d’amélioration ». *

Par Abdelhak El Idrissi http:///signataires/abdelhak-el-idrissi/ et Julia

Pascual http:///signataires/julia-pascual/

Publié le 29 novembre 2024 à 05h06, modifié le 29 novembre 2024 à 13h00

C’est son premier déplacement sur le littoral de la Manche depuis sa prise

de fonctions, il y a deux mois. Le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau

https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/10/14/bruno-retailleau-l-ideologue-de-la-place-beauvau_6351356_823448.html,

devait se rendre dans le Pas-de-Calais, vendredi 29 novembre, pour y parler

des enjeux migratoires avec les élus du territoire et rencontrer les

acteurs du secours en mer, sous pression. Depuis le début de l’année,

35 000 personnes ont rejoint l’Angleterre à bord de canots pneumatiques. Et

au moins soixante-douze sont mortes en tentant ces traversées, selon

l’estimation de la préfecture du Pas-de-Calais. C’est plus que sur

l’ensemble des cinq dernières années.

Une réalité qui percute les services judiciaires. Le parquet de

Boulogne-sur-Mer a ainsi ouvert dix-sept enquêtes sur des naufrages ayant

entraîné des morts. Par ailleurs, dix procédures ont été récemment ouvertes

à la suite de découvertes de corps sur les plages du littoral ou en

mer. *« L’objectif

est de donner une identité aux corps et de lier cette identité à un

naufrage »*, explique le procureur Guirec Le Bras.

Dans l’esprit de nombreuses personnes, nul doute qu’ils sont à relier au

naufrage survenu le 23 octobre au large de Blériot-Plage (Pas-de-Calais).

Officiellement, quarante-cinq personnes ont été secourues et trois corps

repêchés dans la zone du naufrage.

Rapidement, des témoignages de rescapés ou des proches de personnes

disparues ont toutefois fait apparaître un bilan beaucoup plus lourd, d’une

quinzaine de victimes. *« Plusieurs associations et des personnes ont fait

remonter l’information dans les jours qui ont suivi le naufrage*, se

souvient Flore Judet, de l’association L’Auberge des migrants

https://www.lemonde.fr/societe/article/2016/10/18/calais-solidarite-sans-frontieres-a-l-auberge-des-migrants_5015956_3224.html.

*On transmet les informations qu’on collecte sur le terrain, le nom, des

photos, des signes distinctifs, et les contacts des proches qui sont

parfois reçus… Les services de police et de gendarmerie n’allant pas sur le

terrain, ils comptent beaucoup sur nous. »*

« On se fait balader de commissariat en commissariat »

Mais, pour les autorités, il est encore trop tôt pour faire un lien entre

les corps rendus par la mer et l’embarcation qui s’est disloquée le

23 octobre. Chaque cadavre fait donc l’objet d’une enquête à part, confiée,

au choix, à un service de police ou de gendarmerie du Pas-de-Calais

(Calais, Wissant, Boulogne-sur-Mer…), selon le lieu de la découverte

macabre. Un éclatement géographique qui suscite l’incompréhension

d’associations qui font état d’un manque d’organisation des services

d’investigation. *« Pour chaque corps, c’est une personne différente qui

enquête. Comment peut-on s’y retrouver si personne ne fait le lien entre

elles ? »*, s’interroge Amélie Moyart, de l’association Utopia 56, qui

vient en aide aux personnes migrantes.

Oussama Ahmed, un jeune Syrien rescapé du naufrage, a perdu son père dans

la tentative de traversée.* « Chaque fois qu’un corps est retrouvé sur une

plage, on essaye de savoir si c’est lui, *rapporte Jeanne Bonnet, de la

maison d’hospitalité La Margelle, à Calais, qui héberge Oussama Ahmed. *Mais

on se fait balader de commissariat en commissariat. Je pense qu’il y a une

autre façon d’accompagner des gens qui ont vécu des traumatismes. »*

La militante avait déjà constaté des problèmes après le naufrage du

5 octobre au cours duquel quatre personnes se sont noyées. *« J’avais

accompagné un Erythréen qui avait perdu un proche dans la traversée*,

raconte Jeanne Bonnet.* On s’est rendus à la police aux frontières de

Coquelles. Ils nous ont laissés dehors et nous ont renvoyés vers la

gendarmerie maritime chargée de l’enquête. On s’y est déplacés pour

reconnaître le corps. Il n’y avait pas de traducteur. »*

*« J’ai l’impression que la prise en charge dépend beaucoup des personnes

sur qui on tombe, *ajoute la salariée d’une association sous le couvert de

l’anonymat. *En tout cas, il n’y a pas de protocole quand on veut signaler

des personnes disparues. Du coup, qui nous dit que, quand un corps est

retrouvé, les enquêteurs vont recouper avec des signalements ? » *L’enjeu

n’est pas secondaire : d’après nos informations, ce sont au moins

vingt-cinq personnes qui ont été signalées depuis le début de l’année

auprès des services de police ou de gendarmerie comme ayant disparu lors de

traversées maritimes (une partie pouvant correspondre à des corps retrouvés

mais non identifiés formellement).

Mohamed Alhasan garde un souvenir douloureux de son passage à Calais, en

mars. Ce Syrien installé au Royaume-Uni était venu signaler aux autorités

la disparition de son neveu, Jumaa, dans la nuit du 2 au 3 mars. Le jeune

homme de 27 ans était tombé dans l’Aa, un canal qui se jette dans la mer du

Nord, alors qu’il tentait de sauter sur un canot en marche. *« Je suis allé

à la police pour qu’ils lancent des recherches,* rapporte Mohamed

Alhasan. *Mais

ils m’ont dit qu’ils n’étaient pas spécialisés là-dedans, ils ne m’ont pas

aidé. »* Dans un communiqué du 12 mars, plusieurs associations dont Utopia

56, avaient dénoncé le simple enregistrement d’une main courante et réclamé

que des recherches soient diligentées dans le canal de l’Aa. En vain. C’est

finalement un joggeur qui a découvert le corps à la dérive de Jumaa

Alhasan, seize jours après sa disparition.

Besoin de professionnalisation

Thomas Chambon, d’Utopia 56, raconte, quant à lui, s’être rendu à la

gendarmerie maritime de Calais, au mois d’août, pour signaler à son tour la

disparition d’un migrant lors d’un naufrage. *« Ils m’ont répondu qu’ils

n’allaient pas faire un appel à témoins et qu’il fallait voir avec la

Croix-Rouge. » *Interrogé sur la réponse apportée aux proches de victimes,

Jacques Audenis, commandant en second de la gendarmerie maritime de la

Manche et de la mer du Nord, reconnaît qu’il existe une *« marge sévère

d’amélioration »*. *« L’augmentation du nombre de victimes est quelque

chose d’assez récent et on apprend plutôt vite »*, défend-il.

Selon nos informations, la gendarmerie maritime vient de constituer un

groupe de cinq enquêteurs consacré à l’identification et à la restitution

des corps aux familles. Jusque-là, les procédures étaient réparties entre

une brigade de surveillance du littoral, à Boulogne-sur-Mer, et deux

pelotons de sûreté maritime et portuaire, à Calais et Dunkerque (Nord),

qui, à tour de rôle, enquêtaient sur les naufrages.

Le besoin de professionnalisation de ces unités est d’autant plus

nécessaire que les investigations qu’elles mènent ne relèvent pas de leur

cœur de métier. Un gradé de la gendarmerie maritime explique ainsi, sous le

couvert de l’anonymat, que *« la brigade de surveillance du littoral

enquête habituellement sur la pollution en mer et la filière pêche, du

contrôle des bateaux jusqu’aux restaurants de poisson »*. Quant aux

pelotons de sûreté maritime et portuaire, ils sont chargés de missions

de *« surveillance

et de sécurisation »*. Faute de moyens supplémentaires, le nouveau groupe

d’enquête a été créé à effectif et budget constants. *« On essaie de

trouver la meilleure solution avec les moyens qu’on nous donne »*,

reconnaît l’officier de gendarmerie.

Pression des militaires sur les enquêteurs

Ce choix d’organisation a de quoi interroger, dans la mesure où la

gendarmerie maritime compte déjà en son sein des enquêteurs de police

judiciaire spécialisés dans les procédures criminelles complexes ou

nécessitant une certaine technicité. Il s’agit de la section de recherches,

dont les effectifs sont répartis à Brest (Finistère), Toulon et Cherbourg

(Manche). Cette dernière unité s’est vu confier quatre enquêtes sur des

naufrages ayant eu lieu entre 2020 et août 2023. Aucun dossier ne lui a été

remis sur un drame intervenu en mer depuis cette date, alors que ces

derniers se multiplient. Le procureur de la République de Boulogne-sur-Mer,

Guirec Le Bras, précise que la saisine de la section de recherches *«

n’apporterait

pas de plus-value technique »*.

En mai 2023, ce sont les gendarmes de la section de recherches qui ont

placé en garde à vue dix-sept militaires de la marine nationale soupçonnés

de non-assistance à personne en danger à la suite de la mort d’au moins

vingt-sept migrants, en novembre 2021. Ces derniers avaient multiplié en

vain les appels au secours lors du naufrage de leur bateau dans la Manche.

Après ces mesures inédites contre des militaires (sept d’entre eux sont

aujourd’hui mis en examen), la marine nationale est soupçonnée d’avoir

voulu exercer des pressions sur les enquêteurs. *« On nous a rapporté que

les grands chefs de la marine nous en voulaient »*, se souvient Franck

Vayne, qui a dirigé l’unité entre 2022 et 2024.

La section de recherches aurait-elle été mise sur la touche pour s’être

intéressée aux circonstances du naufrage de novembre 2021 ? « Pas du tout,

répond le colonel Audenis. *Il n’y a aucune pression, au contraire, la

marine nous laisse les coudées franches. »* Il admet toutefois que la

gendarmerie maritime se limite à un travail d’identification des corps.

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