RELAIS de l’INFÂME
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De : Maël Galisson
https://www.bondyblog.fr/societe/dans-la-manche-les-exiles-naufrages-abandonnes-par-letat/
Dans la Manche, les exilés naufragés abandonnés par l’État
Par Névil Gagnepain https://www.bondyblog.fr/author/nevil-gagnepain/, Lilian
Ripert https://www.bondyblog.fr/author/lilian-ripert/
Le 10/10/2024
*Alors que les naufrages mortels s’accumulent dans la Manche, les
associations dénoncent la défection de l’État au niveau humanitaire. Avant,
pendant et après leurs tentatives de traversée pour rejoindre la
Grande-Bretagne, les exilés sont abandonnés à leur sort par les pouvoirs
publics, au mépris de leur vie. *
« Les gens ne tendent même pas la main pour être sauvés. » L’image fait
froid dans le dos. Une embarcation de fortune coule, suivie d’un mouvement
de panique. Certaines personnes se jettent à l’eau. En quelques instants,
plus d’une soixantaine personnes se débattent pour ne pas se noyer, la
plupart n’ont pas de gilet de sauvetage.
Le 21 juillet 2024, Rémi Vandeplanque est en mission de surveillance sur la
côte du Pas-de-Calais avec ses collègues douaniers garde-côtes. Le
patrouilleur long de 43 mètres sur lequel il navigue est venu en renfort de
Brest, pour assister les opérations de sauvetage. Ce jour-là, un Zodiac est
mal en point, et n’avance plus. *« On a envoyé une équipe pour demander
s’ils voulaient de l’aide, ils ont refusé », *se remémore-t-il. Une heure
plus tard, l’embarcation prend l’eau. Par chance, son équipage parvient à
tirer tout le monde d’affaire. Mais ce n’est pas toujours le cas. *«
Peut-être que parmi les dernières personnes décédées en mer, il y a des
gens qu’on avait déjà sauvés »*.
Et les morts en mer ne finissent plus de s’accumuler. Dans la nuit du
vendredi 4 octobre au samedi 5 octobre dernier, deux naufrages distincts
ont causé la mort de quatre personnes exilées, dont un enfant de deux ans,
portant le décompte macabre à cinquante depuis le mois janvier.
*On voit bien que les gens ne sont jamais dissuadés de passer, car la
France ne veut pas d’eux de toute façon*
La répression qui sévit sur les plages du nord pousse les exilés à prendre
toujours plus de risques pour entreprendre une traversée sur des
embarcations de fortunes surpeuplées, avec un gilet de sauvetage pour six
personnes.
*« On voit bien que les gens ne sont jamais dissuadés de passer, car la
France ne veut pas d’eux de toute façon », *constate Rémi Vandeplanque.
Syndicaliste à Solidaire, lui pointe la responsabilité de l’État, la *«
doctrine zéro point de fixation » *et plus largement le traitement réservé
aux personnes exilées dans le nord de la France. *« Cela recourt à générer
du stress et des précipitations [dans les traversées] », *analyse-t-il.
Des dizaines de millions d’euros pour la répression
Pourtant, des sommes considérables sont mobilisées pour la gestion de la
frontière. Le 4 février 2003, la France et la Grande-Bretagne signent les
accords du Touquet et actent l’externalisation des contrôles frontaliers
britanniques sur le sol Français. C’est le point de départ d’une politique
du tout répressif sur le littoral de la Manche. Depuis, les montants versés
par l’Angleterre à la France sont régulièrement revus à la hausse et se
chiffrent à plusieurs dizaines de millions d’euros chaque année. Au total,
avec la manne engagée par l’État français, plus de 160 millions d’euros
sont dépensés chaque année pour la gestion de la frontière : 85 % sont
consacrés au volet répressif, 15 % au volet humanitaire.
Il y a peut-être mieux à faire que de pousser les gens à la mort
*« Quand on voit les moyens déployés, ils seraient beaucoup mieux employés
pour accueillir les gens ou mettre en places des voies de passages. Il y a
peut-être mieux à faire que de pousser les gens à la mort. C’est inhumain
»*, constate Rémi Vandeplanque.
Une instruction en cours
qui fait suite au naufrage du 24 novembre 2021, laisse aussi apparaître des
manquements graves des autorités dans les secours apportés aux embarcations
en détresse. Sept militaires ont été mis en examen en mai et juin 2023,
pour non-assistance à personne en danger. Malgré de nombreux appels à
l’aide passés par des exilés sur un canot sur le point de sombrer, aucun
moyen français ne s’était porté à leur secours. Le drame a causé la mort de
27 personnes, le naufrage le plus mortel recensé sur la Manche dans
l’histoire récente.
Le sempiternel recommencement des traversées, des naufrages, des
sauvetages, des drames, semble ne jamais devoir prendre fin. *« On sait
qu’ils vont être débarqués au port, et ils vont être lâchés dans la nature
complètement mouillés. C’est un cycle infernal. »*
Pas de prise en charge des naufragés par l’État
En plus de pointer la responsabilité de l’État dans ces accidents mortels,
les associations dénoncent l’absence de prise en charge matérielle et
psychologique des personnes naufragées. *« La police n’appelle même pas les
pompiers pour les blessés, alors même que les blessés le sont parfois à
cause de leur intervention », *dénonce Axel Gaudinat, coordinateur d’Utopia
56 à Calais.
Le dimanche 15 septembre, suite à un naufrage qui a fait huit victimes,
entre 40 et 50 personnes auraient été interrogées pendant une dizaine
d’heures par la Police aux frontières (PAF), *« sans eau, sans nourriture,
sans possibilité de mise à l’abri ni d’aide psychologique. Puis, ils ont
été abandonnés à leur triste sort, sans rien », *relate Axel. Alors ce sont
les associations, non missionnées (donc non financées) par l’État qui
tentent de combler le vide. *« C’est à ce point-là que va l’indignité de
l’État. »*
En plus de la lourde tâche d’accompagner les rescapés, il faut aussi
trouver des solutions pour rendre hommage aux personnes décédées. *« Les
individus, les solidaires, les associatifs se réunissent et s’occupent de
contacter les familles pour leur dire que leur proche est mort, et voir
avec eux s’ils veulent rapatrier le corps ou l’enterrer dans le nord
», *explique
Axel Gaudinat.
Des cagnottes pour payer les funérailles ou le rapatriement des corps
À la Margelle, une maison dédiée à l’accueil et au repos pour les personnes
exilées, les survivants de naufrages sont de plus en plus nombreux. Les
proches de personnes décédées aussi. *« On est bien obligé de s’adapter
pour les accompagner », *souffle Jeanne, une des cofondatrices du lieu, le
regard embué. *« La première étape, c’est d’identifier les corps quand ils
sont retrouvés. C’est toujours du bricolage. On l’apprend souvent dans la
presse. Le lendemain, on est appelé par tout un tas d’acteurs associatifs.
Puis, il faut faire le lien avec la famille. Ensuite, les proches qui sont
sur place ont un rendez-vous avec la police, ils peuvent être accompagnés
par une asso. C’est suivi d’un test ADN pour les membres de la famille et
d’une identification du corps », *égraine-t-elle, assise sur le canapé du
salon.
Des démarches auxquelles les personnes solidaires se sont tristement
habituées ces derniers mois, se retrouvant à gérer l’indicible aux côtés
des rescapés. Mais toutes et tous rappellent que ces tâches ne devraient
pas leur incomber. *« Les proches des victimes devraient être accompagnés
dans leurs démarches par les pouvoirs publics. Par exemple, avec une prise
en charge de la préfecture dans la recherche de pompes funèbres et un
accompagnement financier pour les enterrements. Ce sont quand même leurs
politiques qui sont responsables de ces morts »*, assène Alexia,
coordinatrice juridique et social de l’association Refugee women’s centre,
établi dans le Calaisis.
*Les gens meurent sur les plages françaises à 300 km de Paris et tout le
monde s’en fout*
Le lendemain des naufrages mortels, une cérémonie de commémoration est
toujours organisée dans le centre de Calais, comme, la dernière en date, ce
dimanche 6 octobre. L’occasion de rendre un dernier hommage à un proche, un
membre de sa famille, un compagnon de route. Mais le sentiment d’abandon
face à ces drames reste palpable. *« Les gens meurent sur les plages
françaises à 300 km de Paris et tout le monde s’en fout, *enrage Axel
Gaudinat.* Chaque personne à une histoire, un vécu et surtout des raisons
très légitimes d’avoir pris le chemin de l’exil. Ils aspirent seulement à
vivre quelque part en paix, à faire des études… »*
Un manque de soutien psychologique
Celles et ceux qui survivent au naufrage ne renoncent pas pour autant à
rallier les côtes britanniques. Les multiples tentatives laissent les corps
et les esprits meurtris. Ces événements traumatisants nécessiteraient une
prise en charge psychologique sur le long terme. À plus forte raison pour
des personnes ayant déjà subi de nombreux traumatismes tout au long de leur
parcours migratoire, et parfois perdu des proches.
*À la suite d’un naufrage, il faudrait un entretien dans les 24 à 72 heures
maximum*
*« Il faut ajouter les violences subies sur les lieux de vie, lors des
expulsions, *précise Feyrouz Lajili, coordinatrice à Médecins sans
Frontière.* À la suite d’un naufrage, il faudrait un entretien dans les 24
à 72 heures maximum pour déceler un traumatisme et mettre en place une
prise en charge pour éviter que le stress post-traumatique ne s’installe »,
*analyse-t-elle. Mais à Calais, la possibilité d’accès aux soins est
largement insuffisante pour les personnes exilées. Des consultations psy
sont possibles à la Pass (permanence d’accès aux soins de santé), mais une
seule psychologue y exerce. Selon l’associative, qui tient un accueil de
jour à Calais, nombreux sont celles et ceux qui développent des troubles du
sommeil, du stress, des troubles dépressifs voir des pensées suicidaires.
Dans les cas les plus extrêmes, Feyrouz Lajili explique que l’on retrouve
des personnes en errance, qui ont subi tant de traumatismes qu’elles
présentent des troubles psychiatriques lourds.* « Ces personnes auraient
besoin de voir un psychiatre. Elles ne savent plus où elles sont ni ce
qu’elles veulent faire, elles sont juste dans un mécanisme de survie. »*
La mort omniprésente
À la Margelle, qui accueille des survivants de naufrages, il faut composer
avec les traumatismes de chacun et essayer d’avancer. Mais les jours qui
suivent les drames sont parfois bien compliqués. *« Les gens sont en pleurs
dans la maison, il n’y pas d’espace privé pour s’isoler. Les rescapés
deviennent le lien entre ce qu’il se passe ici et la famille au pays. C’est
bien lourd à porter », *déplore Jeanne.
On se rend compte que tout le monde a côtoyé la mort à Calais
L’accumulation des drames ces derniers mois a pris tout le monde de court.
Personne ne peut être préparé à de telles situations. Pourtant, tous et
toutes y sont confrontés.* « On se rend compte que tout le monde a côtoyé
la mort à Calais. C’est le cas de quasi tout le monde à la maison en ce
moment. Parfois, ils ont vécu plusieurs naufrages. Ça, c’est assez nouveau.
C’est morbide », *souffle Jeanne.
La situation est intenable pour la plupart. Certains jeunes mineurs isolés,
censés pouvoir obtenir l’asile, finissent par décider de rester en France,
à force de fatigue, de tentatives et d’échecs. D’autres à l’inverse, qui
n’ont vu de l’hexagone que Calais, préfèrent fuir. Feyrouz Lajili est
amère : *« Quand on leur dit qu’ils peuvent rester en France, souvent, ils
disent : “Si c’est ça la France, on ne veut pas rester ici. On ne veut plus
voir Calais de notre vie “. »*
Névil Gagnepain et Lilian Ripert