Fwd: [Jungles] Exilés sur le littoral nord : des habitants entre défiance et compassion [Libération, 28.07.2024]

miladyrenoirmiladyrenoir
2024-7-31 20:30

———- Forwarded message ———

De : Maël Galisson mael.galisson@gmail.com

https://www.liberation.fr/societe/immigration/exiles-sur-le-littoral-nord-des-habitants-entre-defiance-et-compassion-20240728_DO2LIE6L7BG7JL6EJKWHNXMBWE/?redirected=1

Exilés sur le littoral nord : des habitants entre défiance et compassion

23 juil. 2024

*Locaux et touristes expriment des sentiments partagés à propos des

migrants. Si certaines personnes reconnaissent le «besoin d’aide» de ces

derniers, une recrudescence des attaques à leur endroit, verbales mais

aussi physiques, est constatée depuis la dissolution de l’Assemblée

nationale.*

par Stéphanie Maurice

https://www.liberation.fr/auteur/stephanie-maurice, envoyée

spéciale dans le Pas-de-Calais

publié aujourd’hui à 15h03

Sur le quai Gambetta, à Boulogne-sur-Mer, deux mondes se côtoient, ce

vendredi 19 juillet au soir. Une cinquantaine de personnes sont

rassemblées, silencieuses, en mémoire des six exilés morts en mer

https://www.liberation.fr/international/europe/quatre-migrants-meurent-au-large-de-boulogne-sur-mer-en-tentant-de-traverser-la-manche-20240712_I5UGDP5CHNEK7KTND5EGCJHPXE/,

en une semaine, depuis le 11 juillet. Les familles rentrent de la plage,

des joggers passent sans y prêter attention. Puis, chacun des participants

jette une rose dans le port. Ils sont maladroits, émus. Des badauds,

sandalettes et coups de soleil, s’arrêtent, curieux. Un couple de Suisses

s’avoue surpris : pour Calais, ils savaient, mais ils ignoraient que les

passages en small boats, vers l’Angleterre, s’étendaient sur tout le

littoral des Hauts-de-France, de Dunkerque à la baie de Somme. Dans le

Boulonnais, le phénomène est encore récent, six ou sept ans, contre plus de

vingt ans à Calais, explique Dany Patoux

https://www.liberation.fr/societe/migrants-la-prefecture-du-pas-de-calais-barre-lacces-dun-fleuve-a-laide-de-bouees-20230811_AMNIJUF2T5CSTP6CDB4G747O24/,

coprésidente d’Osmose 62. L’association d’aide aux migrants, créée il y a

deux ans, a organisé cette commémoration aux victimes de la frontière. Au

micro, sous le soleil, Dany Patoux a la voix qui vibre quand elle rappelle

une anecdote : elle a rencontré, récemment, par hasard, le frère de deux

exilés dont elle avait assisté à l’enterrement. Lui aussi voulait partir au

Royaume-Uni : elle a pu lui montrer les photos de la cérémonie. Un homme

s’arrête, lâche, visage dur :* «S’ils m’avaient demandé, j’aurais pu leur

dire que c’était dangereux.» *Sa femme se sent obligée d’ajouter : *«Chacun

ses idées.»*

Depuis la dissolution, les associations d’aide aux exilés notent une

recrudescence des attaques, verbales mais aussi physiques. A Grande-Synthe,

une citerne d’eau potable destinée aux migrants a été polluée par un

liquide bleu. Les invectives sont fréquentes, contre les bénévoles aussi.

L’événement le plus grave recensé l’a été à Calais, entre les deux tours

des législatives. Une voiture a foncé sur un groupe de Soudanais. L’un

d’eux a été envoyé à l’hôpital, sans séquelle physique. Le conducteur a été

condamné en comparution immédiate à dix-huit mois de prison, dont huit

ferme, le 12 juillet. Il n’avait aucun casier judiciaire, et a expliqué,

d’après le parquet de Boulogne-sur-Mer, «*qu’il se sentait en danger après

avoir été caillassé par un groupe de migrants. Il prétendait ne pas avoir

cherché à blesser les victimes mais seulement à les intimider».* Les jeunes

Soudanais racontent de leur côté avoir été poursuivis par la voiture.

«Sur l’ensemble des circonscriptions du littoral, le vote RN a explosé. Ce

n’est pas lié au seul flux migratoire, mais à l’impression d’impuissance de

l’Etat.»

— Pierre-Henri Dumont, le député LR sortant du Calaisis, battu par le

candidat RN, Marc de Fleurian

Dans le quartier du Beau-Marais, les habitants ont surtout retenu le

véhicule pris à partie.* «Ils ont lancé des pierres sur la voiture qui a

perdu le contrôle et s’est encastrée dans un compteur électrique»,*

témoigne Guillaume (1), 26 ans. Il fume sa cigarette devant un café, et dit

son ras-le-bol des exilés *: «Souvent, ils sont alcoolisés, ils foutent le

bordel. Je ne comprends pas qu’ils soient protégés avant les Français.»*

Lui-même est d’origine turque. Un autre, qui écoute avec attention,

intervient :* «Tous les migrants ne sont pas comme ça.» *Un commerçant du

même quartier s’exclame :* «C’est un sacré fléau sur lequel l’Etat ne fait

rien.»*

«On n’en a rien à foutre, qu’ils aillent se noyer»

Pierre-Henri Dumont, le député LR sortant du Calaisis, battu par le

candidat RN, Marc de Fleurian, soupire : «*Sur l’ensemble des

circonscriptions du littoral, le vote RN a explosé. Ce n’est pas lié au

seul flux migratoire, mais à l’impression d’impuissance de l’Etat.»* Les

électeurs en voient la preuve dans la persistance des passages, malgré les

1 150 gendarmes et policiers déployés, drones de surveillance et quads sur

les plages. Ces derniers temps, il constate lui aussi la libération d’une

parole raciste : *«C’est minoritaire, mais c’est présent. On vous dit cash

«on n’en a rien à foutre, qu’ils aillent se noyer».»* Le RN en profite.

Pierre-Henri Dumont cite le squat de la rue Sauvage, dans une ancienne

maison bourgeoise du quartier populaire des Fontinettes, à Calais,

aujourd’hui expulsé. Un courrier de Marc de Fleurian à la maire LR de

Calais, Natacha Bouchart,

https://www.liberation.fr/culture/a-calais-le-meilleur-theatre-du-monde-dans-le-viseur-de-la-mairie-20230601_PIFUZZH7LZGFHE2Y5ECV36ETEI/

demandant un renfort de la police municipale, à cause des *«menaces

récurrentes envers les Français habitant le quartier», *a été distribué

dans toutes les boîtes aux lettres. Les murs d’enceinte ont été tagués avec

des slogans racistes : «Leave or burn», «partez ou brûlez». Sur place, les

passants sont partagés.* «Ma sœur était surtout gênée par le moteur

tournant des camions de CRS»*, note Philippe, même s’il reconnaît beaucoup

d’allées et venues : *«Quand on a ça à côté de chez soi, on ne dort pas

tranquille.» *Une femme n’avoue qu’à mi-voix avoir donné un lit pliant et

des couvertures aux familles du squat.* «Je vais avoir des représailles»*,

dit-elle, inquiète d’éventuelles disputes avec ses proches.

A Calais, la compassion reste présente. *«On n’est pas raciste, *se défend

le camarade de Guillaume.* On les a aidés, on a apporté des vêtements, de

la nourriture.»* Le commerçant le reconnaît, les exilés font des courses,

apportent du chiffre d’affaires. Il critique le manque de connaissance des

codes, comme dire bonjour quand on entre dans un magasin.* «Quand je vois

un jeune qui a 1 000 euros sur lui, je me demande d’où ça vient»*,

interroge-t-il, plus curieux qu’hostile. Sans penser qu’il faut payer les

passeurs, et que les exilés d’Erythrée ou du Soudan n’ont pas de cartes

bancaires. Dany Patoux, d’Osmose 62, connaît par cœur les clichés : *«Les

gens croient que dès que les migrants arrivent sur le sol français, on leur

donne 500 euros et un iPhone»*, soupire-t-elle. La rumeur confond exilés

qui rêvent de Royaume-Uni et demandeurs d’asile en France : ceux-ci ont

droit en effet à 426 euros par mois, quand ils sont à la rue, tant qu’ils

n’ont pas leur statut et le droit de travailler.

«Ce que veulent les touristes, c’est du soleil, une plage et des glaces.

Les migrants, ils s’en foutent.»

— Un commerçant de Wimereux

Jean-Luc Dubaële, le maire (sans étiquette) de la chic station balnéaire de

Wimereux, craint de son côté les répercussions sur le tourisme.* «Le

secteur des dunes étant sécurisé, [les exilés] partaient de la plage à 80

avec leur canot gonflable sur les épaules. Les passeurs cachaient

l’attirail dans les jardins du centre-ville, derrière les murets des

villas»*, raconte-t-il. Les départs sont plus rares en ce moment, sans

qu’il s’explique pourquoi. Même si le jeudi 18 juillet, au matin, des

passagers d’un small boat surchargé ont débarqué comme ils le pouvaient

sur la plage sous les regards stupéfaits des baigneurs, alors que leur

bateau circulait au large.

Joselyne, 67 ans, et Didier, 70 ans déposent tous les matins leurs

petits-enfants à l’école de voile, et ont assisté à la scène, pompiers et

policiers mobilisés : «C’était bien triste, constatent-ils. *A un moment,

ils ont repêché un sac. Sur le coup, on a eu peur que ce soit un corps.*»

Fayçal, 74 ans, et Martine, 69 ans, abondent : *«Il y avait une femme avec

une couverture de survie, un gamin qui tremblait»*, décrivent-ils. Une

scène qui «fait mal» à Fayçal : *«Ils sont nés du mauvais côté de la

frontière*, soupire-t-il. *Ce qui se passe n’est en aucun cas la faute des

migrants.» Un commerçant met les points sur les i : «Je ne suis pas pour

les accueillir, mais c’est évident qu’on les traite mal.»* Il ne constate

aucun effet sur la fréquentation :* «Ce que veulent les touristes, c’est du

soleil, une plage et des glaces. Les migrants, ils s’en foutent.»

*Pierre-Hippolyte,

43 ans, fonctionnaire, en vacances dans sa famille, à Ambleteuse, constate

*«Mes parents et leurs amis voient les hélicos qui tournent. Ça les

touche, ce n’est pas très agréable de se faire rappeler la réalité des

choses quand on est dans son cocon de vie, mais je ne perçois pas de

rancune envers les personnes, d’où qu’elles viennent.»*

«Ça se bagarre beaucoup»

Un groupe de pêcheurs à pied partage un casse-dalle, baguette et camembert,

à l’arrière de leur fourgon, sur le parking de Wimereux. Ils précisent tout

de suite, ils sont de Calais, sous-entendu ils ont l’habitude du phénomène.*

«Ce sont des humains», pose tout de go Serge, 63 ans. «Je serais à leur

place, je ferais pareil.»* Conducteur de camion-citerne, il a travaillé

dans les jungles avant sa retraite : *«Je livrais de l’eau aux migrants

tous les jours, ils étaient heureux quand ils la voyaient arriver. Ils

vivaient dans de drôles de conditions», *dit-il. Ses potes sont plus

critiques : «Ça se bagarre beaucoup», dit l’un. Tous se rejoignent sur le

problème des déchets.* «Si la bouffe ne leur plaît pas, ils jettent par

terre, pas à la poubelle. Français, ramasse !»* Serge crache soudain sa

colère «contre les politiques de merde», et dit sa nostalgie du Calais

d’avant : *«On avait un port magnifique. Maintenant, il y a des barbelés

partout.»*

Dans les arrières de Wimereux, dans un bosquet, un groupe d’exilés attend

la nuit. Ils sont une quarantaine, des hommes jeunes, des enfants aussi.

Hassan, 21 ans, est Palestinien, vivait au Liban. C’est sa première

tentative vers les côtes anglaises. Il fait 29 degrés, ils manquent d’eau,

mais refusent de l’aide. Ils ont de l’argent, disent-ils, pour en acheter.

Solange, 78 ans, une voisine du campement de transit, jardine, paisible.

Elle les voit souvent passer. *«Quand ils font coucou, on leur fait coucou

aussi»*, raconte-t-elle. Elle glisse parfois un bonbon aux enfants, et

estime : *«La politique est bien gentille, mais eux, ils ont vraiment

besoin d’aide, ils se battent pour une meilleure vie.»*

(1) Le prénom a été modifié.