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De : Maël Galisson mael.galisson@gmail.com
Exilés sur le littoral nord : des habitants entre défiance et compassion
23 juil. 2024
*Locaux et touristes expriment des sentiments partagés à propos des
migrants. Si certaines personnes reconnaissent le «besoin d’aide» de ces
derniers, une recrudescence des attaques à leur endroit, verbales mais
aussi physiques, est constatée depuis la dissolution de l’Assemblée
nationale.*
par Stéphanie Maurice
https://www.liberation.fr/auteur/stephanie-maurice, envoyée
spéciale dans le Pas-de-Calais
publié aujourd’hui à 15h03
Sur le quai Gambetta, à Boulogne-sur-Mer, deux mondes se côtoient, ce
vendredi 19 juillet au soir. Une cinquantaine de personnes sont
rassemblées, silencieuses, en mémoire des six exilés morts en mer
en une semaine, depuis le 11 juillet. Les familles rentrent de la plage,
des joggers passent sans y prêter attention. Puis, chacun des participants
jette une rose dans le port. Ils sont maladroits, émus. Des badauds,
sandalettes et coups de soleil, s’arrêtent, curieux. Un couple de Suisses
s’avoue surpris : pour Calais, ils savaient, mais ils ignoraient que les
passages en small boats, vers l’Angleterre, s’étendaient sur tout le
littoral des Hauts-de-France, de Dunkerque à la baie de Somme. Dans le
Boulonnais, le phénomène est encore récent, six ou sept ans, contre plus de
vingt ans à Calais, explique Dany Patoux
coprésidente d’Osmose 62. L’association d’aide aux migrants, créée il y a
deux ans, a organisé cette commémoration aux victimes de la frontière. Au
micro, sous le soleil, Dany Patoux a la voix qui vibre quand elle rappelle
une anecdote : elle a rencontré, récemment, par hasard, le frère de deux
exilés dont elle avait assisté à l’enterrement. Lui aussi voulait partir au
Royaume-Uni : elle a pu lui montrer les photos de la cérémonie. Un homme
s’arrête, lâche, visage dur :* «S’ils m’avaient demandé, j’aurais pu leur
dire que c’était dangereux.» *Sa femme se sent obligée d’ajouter : *«Chacun
ses idées.»*
Depuis la dissolution, les associations d’aide aux exilés notent une
recrudescence des attaques, verbales mais aussi physiques. A Grande-Synthe,
une citerne d’eau potable destinée aux migrants a été polluée par un
liquide bleu. Les invectives sont fréquentes, contre les bénévoles aussi.
L’événement le plus grave recensé l’a été à Calais, entre les deux tours
des législatives. Une voiture a foncé sur un groupe de Soudanais. L’un
d’eux a été envoyé à l’hôpital, sans séquelle physique. Le conducteur a été
condamné en comparution immédiate à dix-huit mois de prison, dont huit
ferme, le 12 juillet. Il n’avait aucun casier judiciaire, et a expliqué,
d’après le parquet de Boulogne-sur-Mer, «*qu’il se sentait en danger après
avoir été caillassé par un groupe de migrants. Il prétendait ne pas avoir
cherché à blesser les victimes mais seulement à les intimider».* Les jeunes
Soudanais racontent de leur côté avoir été poursuivis par la voiture.
«Sur l’ensemble des circonscriptions du littoral, le vote RN a explosé. Ce
n’est pas lié au seul flux migratoire, mais à l’impression d’impuissance de
l’Etat.»
— Pierre-Henri Dumont, le député LR sortant du Calaisis, battu par le
candidat RN, Marc de Fleurian
Dans le quartier du Beau-Marais, les habitants ont surtout retenu le
véhicule pris à partie.* «Ils ont lancé des pierres sur la voiture qui a
perdu le contrôle et s’est encastrée dans un compteur électrique»,*
témoigne Guillaume (1), 26 ans. Il fume sa cigarette devant un café, et dit
son ras-le-bol des exilés *: «Souvent, ils sont alcoolisés, ils foutent le
bordel. Je ne comprends pas qu’ils soient protégés avant les Français.»*
Lui-même est d’origine turque. Un autre, qui écoute avec attention,
intervient :* «Tous les migrants ne sont pas comme ça.» *Un commerçant du
même quartier s’exclame :* «C’est un sacré fléau sur lequel l’Etat ne fait
rien.»*
«On n’en a rien à foutre, qu’ils aillent se noyer»
Pierre-Henri Dumont, le député LR sortant du Calaisis, battu par le
candidat RN, Marc de Fleurian, soupire : «*Sur l’ensemble des
circonscriptions du littoral, le vote RN a explosé. Ce n’est pas lié au
seul flux migratoire, mais à l’impression d’impuissance de l’Etat.»* Les
électeurs en voient la preuve dans la persistance des passages, malgré les
1 150 gendarmes et policiers déployés, drones de surveillance et quads sur
les plages. Ces derniers temps, il constate lui aussi la libération d’une
parole raciste : *«C’est minoritaire, mais c’est présent. On vous dit cash
«on n’en a rien à foutre, qu’ils aillent se noyer».»* Le RN en profite.
Pierre-Henri Dumont cite le squat de la rue Sauvage, dans une ancienne
maison bourgeoise du quartier populaire des Fontinettes, à Calais,
aujourd’hui expulsé. Un courrier de Marc de Fleurian à la maire LR de
Calais, Natacha Bouchart,
demandant un renfort de la police municipale, à cause des *«menaces
récurrentes envers les Français habitant le quartier», *a été distribué
dans toutes les boîtes aux lettres. Les murs d’enceinte ont été tagués avec
des slogans racistes : «Leave or burn», «partez ou brûlez». Sur place, les
passants sont partagés.* «Ma sœur était surtout gênée par le moteur
tournant des camions de CRS»*, note Philippe, même s’il reconnaît beaucoup
d’allées et venues : *«Quand on a ça à côté de chez soi, on ne dort pas
tranquille.» *Une femme n’avoue qu’à mi-voix avoir donné un lit pliant et
des couvertures aux familles du squat.* «Je vais avoir des représailles»*,
dit-elle, inquiète d’éventuelles disputes avec ses proches.
A Calais, la compassion reste présente. *«On n’est pas raciste, *se défend
le camarade de Guillaume.* On les a aidés, on a apporté des vêtements, de
la nourriture.»* Le commerçant le reconnaît, les exilés font des courses,
apportent du chiffre d’affaires. Il critique le manque de connaissance des
codes, comme dire bonjour quand on entre dans un magasin.* «Quand je vois
un jeune qui a 1 000 euros sur lui, je me demande d’où ça vient»*,
interroge-t-il, plus curieux qu’hostile. Sans penser qu’il faut payer les
passeurs, et que les exilés d’Erythrée ou du Soudan n’ont pas de cartes
bancaires. Dany Patoux, d’Osmose 62, connaît par cœur les clichés : *«Les
gens croient que dès que les migrants arrivent sur le sol français, on leur
donne 500 euros et un iPhone»*, soupire-t-elle. La rumeur confond exilés
qui rêvent de Royaume-Uni et demandeurs d’asile en France : ceux-ci ont
droit en effet à 426 euros par mois, quand ils sont à la rue, tant qu’ils
n’ont pas leur statut et le droit de travailler.
«Ce que veulent les touristes, c’est du soleil, une plage et des glaces.
Les migrants, ils s’en foutent.»
— Un commerçant de Wimereux
Jean-Luc Dubaële, le maire (sans étiquette) de la chic station balnéaire de
Wimereux, craint de son côté les répercussions sur le tourisme.* «Le
secteur des dunes étant sécurisé, [les exilés] partaient de la plage à 80
avec leur canot gonflable sur les épaules. Les passeurs cachaient
l’attirail dans les jardins du centre-ville, derrière les murets des
villas»*, raconte-t-il. Les départs sont plus rares en ce moment, sans
qu’il s’explique pourquoi. Même si le jeudi 18 juillet, au matin, des
passagers d’un small boat surchargé ont débarqué comme ils le pouvaient
sur la plage sous les regards stupéfaits des baigneurs, alors que leur
bateau circulait au large.
Joselyne, 67 ans, et Didier, 70 ans déposent tous les matins leurs
petits-enfants à l’école de voile, et ont assisté à la scène, pompiers et
policiers mobilisés : «C’était bien triste, constatent-ils. *A un moment,
ils ont repêché un sac. Sur le coup, on a eu peur que ce soit un corps.*»
Fayçal, 74 ans, et Martine, 69 ans, abondent : *«Il y avait une femme avec
une couverture de survie, un gamin qui tremblait»*, décrivent-ils. Une
scène qui «fait mal» à Fayçal : *«Ils sont nés du mauvais côté de la
frontière*, soupire-t-il. *Ce qui se passe n’est en aucun cas la faute des
migrants.» Un commerçant met les points sur les i : «Je ne suis pas pour
les accueillir, mais c’est évident qu’on les traite mal.»* Il ne constate
aucun effet sur la fréquentation :* «Ce que veulent les touristes, c’est du
soleil, une plage et des glaces. Les migrants, ils s’en foutent.»
*Pierre-Hippolyte,
*«Mes parents et leurs amis voient les hélicos qui tournent. Ça les
touche, ce n’est pas très agréable de se faire rappeler la réalité des
choses quand on est dans son cocon de vie, mais je ne perçois pas de
rancune envers les personnes, d’où qu’elles viennent.»*
«Ça se bagarre beaucoup»
Un groupe de pêcheurs à pied partage un casse-dalle, baguette et camembert,
à l’arrière de leur fourgon, sur le parking de Wimereux. Ils précisent tout
de suite, ils sont de Calais, sous-entendu ils ont l’habitude du phénomène.*
«Ce sont des humains», pose tout de go Serge, 63 ans. «Je serais à leur
place, je ferais pareil.»* Conducteur de camion-citerne, il a travaillé
dans les jungles avant sa retraite : *«Je livrais de l’eau aux migrants
tous les jours, ils étaient heureux quand ils la voyaient arriver. Ils
vivaient dans de drôles de conditions», *dit-il. Ses potes sont plus
critiques : «Ça se bagarre beaucoup», dit l’un. Tous se rejoignent sur le
problème des déchets.* «Si la bouffe ne leur plaît pas, ils jettent par
terre, pas à la poubelle. Français, ramasse !»* Serge crache soudain sa
colère «contre les politiques de merde», et dit sa nostalgie du Calais
d’avant : *«On avait un port magnifique. Maintenant, il y a des barbelés
partout.»*
Dans les arrières de Wimereux, dans un bosquet, un groupe d’exilés attend
la nuit. Ils sont une quarantaine, des hommes jeunes, des enfants aussi.
Hassan, 21 ans, est Palestinien, vivait au Liban. C’est sa première
tentative vers les côtes anglaises. Il fait 29 degrés, ils manquent d’eau,
mais refusent de l’aide. Ils ont de l’argent, disent-ils, pour en acheter.
Solange, 78 ans, une voisine du campement de transit, jardine, paisible.
Elle les voit souvent passer. *«Quand ils font coucou, on leur fait coucou
aussi»*, raconte-t-elle. Elle glisse parfois un bonbon aux enfants, et
estime : *«La politique est bien gentille, mais eux, ils ont vraiment
besoin d’aide, ils se battent pour une meilleure vie.»*
(1) Le prénom a été modifié.