Fwd: [Jungles] De Calais à Boulogne-sur-Mer, les migrants peinent à enterrer leurs morts [Médiapart, 22.06.2024]

miladyrenoirmiladyrenoir
2024-6-23 10:40

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De : Maël Galisson mael.galisson@gmail.com

https://www.mediapart.fr/journal/france/220624/de-calais-boulogne-sur-mer-les-migrants-peinent-enterrer-leurs-morts

De Calais à Boulogne-sur-Mer, les migrants peinent à enterrer leurs morts

*Que deviennent les corps des personnes mortes sur les côtes de la Manche,

en tentant de rejoindre l’Angleterre ? Les associations dénoncent la

réticence de certaines communes à les accueillir dans leurs cimetières.*

Simon Henry

22 juin 2024 à 17h32

*GrandeGrande-Synthe (Nord), Calais (Pas-de-Calais).– *Dans le carré

confessionnel de ce que l’on appelle à Grande-Synthe le nouveau cimetière,

les sépultures apparaissent, comme le veut la tradition, recouvertes de

cailloux blancs, sans éléments sophistiqués superflus. Un peu plus loin,

l’une d’entre elles se démarque. Des peluches, des jouets, un baume à

lèvres, des crayons de maquillage et deux cadres renfermant la photo d’une

petite fille ont été soigneusement posés sur cette tombe.

C’est celle de Rola Al-Mayali, une Irakienne de 7 ans, morte le 3 mars

https://www.mediapart.fr/journal/france/240324/rola-7-ans-morte-noyee-pres-de-calais-le-calvaire-d-une-famille-exilee

dans le canal de l’Aa, à hauteur de la commune de Watten, lors du naufrage

d’une embarcation qui transportait la fillette, sa famille et quinze autres

personnes. « C’était une demande de la famille de l’enterrer ici, se

souvient Claire Millot, secrétaire générale de Salam, une association qui

vient en aide aux migrant·es. *À ma connaissance, elle est la seule exilée

dont le corps repose dans ce cimetière. »* Une information confirmée par la

mairie de Grande-Synthe.

Selon la loi, toute personne qui meurt dans une commune a le droit d’y être

enterrée. Dès lors, que sont advenus les corps des exilé·es mort·es ces

dernières années à Grande-Synthe ? Le 4 février, un migrant y a encore été

tué par balle. Ses obsèques ont eu lieu quatre mois plus tard au cimetière

de Téteghem, dans les environs de Dunkerque, et non à Grande-Synthe, comme

la loi le prévoit.

[image: Illustration 1] La tombe de Rola Al-Mayali dans le cimetière de

Grande-Synthe. © Photomontage Mediapart

« Ce n’est pas si simple, poursuit Claire Millot. *Tout dépend de la

volonté de la famille, si elle souhaite enterrer le défunt ici, en espérant

obtenir une place dans un cimetière, ou si elle choisit de rapatrier le

corps dans son pays d’origine par exemple*. *Des familles tiennent aussi à

respecter des rites propres à leur religion dans des espaces funéraires

adaptés dont ne disposent pas toujours les communes. »* À titre d’exemple,

très peu de villes du littoral disposent de carrés musulmans. Ce serait le

cas uniquement à Boulogne-sur-Mer, Calais, Grande-Synthe et Téteghem.

L’embarras des maires

Pour trouver une place dans un cimetière, les familles s’en remettent

surtout au bon vouloir des mairies. En cette fin de matinée de juin,

Juliette Delaplace aide à distinguer les tombes de personnes exilées dans

le cimetière nord de Calais. À vue d’œil, cette coordinatrice du Secours

catholique en dénombre vingt-quatre, dont elle connaît parfois les

parcours. On y trouve la tombe d’Aleksandra, morte lors d’une tentative de

passage en mer. Là, celle de Yasser, fauché par une voiture après être

sorti d’un camion pour l’Angleterre dans lequel il s’était caché. Des

sépultures qui datent tout au plus de l’année dernière.

*« Depuis environ un an, c’est de plus en plus difficile de trouver une

place pour les migrants »*, explique Juliette Delaplace. La jeune femme

fait partie de ce qui s’appelle le groupe « décès ». Créé il y a une

vingtaine d’années, le groupe s’est véritablement structuré en 2017 en

raison de la hausse du nombre de morts liées à la « bunkerisation » de

Calais, à l’augmentation des risques pris par les migrant·es, notamment les

traversées en mer, mais aussi des politiques de plus en plus répressives à

leur égard.

Ici c’était impossible de les accueillir, nos cimetières sont trop petits,

on n’a malheureusement plus de place.

Jean-Luc Dubaële, maire de Wimereux

Composé aujourd’hui d’une dizaine de personnes, membres d’associations

locales ou simples militant·es, le groupe œuvre à la prise en charge des

défunt·es, en veillant à ce que tous et toutes puissent être inhumé·es.

*« L’existence de ce groupe et sa professionnalisation progressive

témoignent de l’échec des pouvoirs publics sur cette question*, déplore

Juliette Delaplace. *On observe un certain déni de la part des communes,

jusqu’à parfois nous mettre des bâtons dans les roues. Quand les migrants

ne sont ni décédés sur la commune ni n’ont aucun lien avec celle-ci, on est

forcés de justifier notre demande, de préciser qu’ils sont morts à

proximité pour optimiser les chances. »*

[image: Illustration 2] Brahim Fares, gérant de l’entreprise de pompes

funèbres musulmanes de Grande-Synthe, Bab El Jenna. © Photo Simon Henry

pour Mediapart

Chemise à motifs marron et mocassins aux pieds, Brahim Fares est le gérant

de Bab El Jenna, une entreprise de pompes funèbres musulmanes de

Grande-Synthe dont le nom est inscrit sur la majorité des tombes dans les

carrés musulmans visités par Mediapart. « Par périodes », dit-il, il est

sollicité par le groupe décès ou les familles des victimes pour démarcher

les communes en vue de trouver une place dans un cimetière.

Brahim Fares n’hésite pas « à faire des prix » aux familles des

migrant·es défunt·es. Les municipalités prennent en charge uniquement les

obsèques des personnes non identifiées, qui sont alors inhumées dans le

carré des indigents.

*« *Des villes ne veulent pas en accueillir », assène-t-il d’un ton

tranchant, les yeux rivés sur son ordinateur. Selon lui, ce serait le cas

de Wimereux, Boulogne-sur-Mer ou encore Grande-Synthe. *« Ils accordent la

priorité à leurs habitants. En même temps, si on enterre les gens n’importe

où, je peux comprendre que ça puisse poser problème. »* La mairie de

Grande-Synthe répond de son côté *« ne pas avoir connaissance de demandes

récemment, et n’exclut pas d’y répondre favorablement, comme elle l’a fait

pour la petite Rola »*.

En attendant, Brahim Fares informe le groupe décès de chaque refus. *« On

prend alors le relais et on contacte à notre tour les mairies*, reprend

Juliette Delaplace*. On négocie, on tente de mettre la pression pour

qu’elles changent d’avis. » *Dernier exemple en date, l’organisation des

obsèques des migrants morts à Wimereux

https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/pas-calais/boulogne-mer/temoignages-apres-le-deces-de-5-migrants-au-large-de-wimereux-les-maires-appellent-l-etat-a-agir-rapidement-2906303.html

le 14 janvier. Cinq personnes ont péri en mer lors d’une traversée en *small

boat* pour tenter de rejoindre l’Angleterre.

*« La mairie de Boulogne-sur-Mer a d’abord refusé alors que leur carré

musulman est vide, s’agace la chargée de mission du Secours catholique.

Ils ont finalement accepté car on est revenus à la charge, mais cet épisode

témoigne du forcing nécessaire pour* *faire valoir le droit à la dignité

des personnes exilées jusque dans la tombe. » *

Quarante-quatre morts en un an

Dans son bureau, Jean-Luc Dubaële fait grise mine. Lunettes rondes, regard

franc et chemise bleue ajustée, le maire de Wimereux paraît désabusé par

les deux drames successifs qui ont frappé sa commune depuis le début de

l’année. Le 24 avril, cinq autres migrant·es, dont une enfant de 4 ans,

sont à leur tour morts en mer

https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/pas-calais/nous-craignons-le-pire-plusieurs-migrants-inconscients-lors-d-un-sauvetage-au-large-de-wimereux-trois-helicopteres-sur-place-2959472.html

au large de cette ville côtière du Pas-de-Calais. *« J’ai conscience de la

difficulté des familles à enterrer leurs proches*, confie l’édile. *Ici

c’était impossible de les accueillir, nos cimetières sont trop petits, on

n’a malheureusement plus de place. La commune se renseigne d’ailleurs

actuellement pour racheter un terrain dans le but de proposer de nouvelles

places. » *

Des places en cas de nouveaux drames ? *« Le projet a d’abord été réfléchi

pour les habitants de ma commune »*, corrige Jean-Luc Dubaële, un brin

gêné. Mais le maire de Wimereux n’entend pas en rester là. *« Cette

question doit devenir une réelle préoccupation des élus. »* Il prévoit

prochainement d’organiser une rencontre avec des représentant·es des

communes du littoral en vue d’exposer son idée : celle de réserver un

terrain dédié aux sépultures des migrant·es au sein de la communauté

d’agglomération du Boulonnais. *« Ce serait un projet commun qui me semble

plus optimal et cohérent pour apporter une solution à la situation

actuelle, qui ne pousse pas à l’optimisme pour les prochaines années »*,

explique-t-il.

C’est peu de le dire : en un an, au moins quarante-quatre personnes en exil

ont perdu la vie sur le littoral, la période la plus meurtrière depuis

  1. Selon les données du Home Office

https://www.gov.uk/government/publications/migrants-detected-crossing-the-english-channel-in-small-boats,

le ministère de l’intérieur britannique, un pic a été atteint le 1er mai :

en une journée, 711 arrivées ont été signalées sur les côtes anglaises

malgré l’adoption une semaine plus tôt de la loi permettant d’expulser vers

le Rwanda

https://www.mediapart.fr/journal/international/230424/le-rwanda-se-prepare-accueillir-les-refugies-expulses-par-le-royaume-uni

les demandeurs et demandeuses d’asile entré·es illégalement.

Des chiffres qui témoignent de la détermination des personnes à se rendre

coûte que coûte en Angleterre, mais qui incitent également les communes du

littoral à se préparer à de nouveaux drames. *« Concernant les

problématiques futures, la question de la création d’un autre espace

confessionnel au sein des cimetières est à l’étude »*, indique à Mediapart

la mairie de Calais. De son côté, celle Grande-Synthe refuse de jouer les

oiseaux de mauvais augure mais assure qu’elle sera *« prête à s’adapter si

la situation le nécessite »*.