Représentations de la crise et crises de la représentation. Du naufrage avec spectateur aux naufrages sans témoins de Paul Bernard-Nouraud

miladyrenoirmiladyrenoir
2024-6-17 22:24

Représentations de la crise et crises de la représentation. Du naufrage

avec spectateur aux naufrages sans témoins

Representations of the crisis and crises of representation. From shipwreck

with spectator to shipwrecks without witnesses

*Paul Bernard-Nouraud *p. 31-45

https://doi.org/10.4000/traces.15074

FRANÇAIS https://journals.openedition.org/traces/15074#abstract-15074-fr

ENGLISH https://journals.openedition.org/traces/15074#abstract-15074-en

Cet article examine la relation entre les représentations de la crise – en

l’occurrence migratoire – et les crises de la représentation – notamment

celle de la métaphore du naufrage, dont Hans Blumenberg a retracé en 1979

la généalogie dans son ouvrage intitulé Naufrage avec spectateur. Il

s’agit d’y évaluer la façon dont cette métaphore apparaît désormais en

décalage avec la réalité actuelle, alors même qu’elle continue d’être

mobilisée afin de rendre compte de la crise en cours. En examinant dans un

premier temps ses usages récents, en particulier dans La crise sans fin de

Myriam Revault d’Allonnes, paru en 2012, on en revient au texte de

Blumenberg qui a identifié le moment où cette métaphore, longtemps utilisée

comme un repère moral, s’est progressivement « démoralisée » en

s’esthétisant durant le xviiie siècle. Or il apparaît désormais nécessaire

de « désartialiser » cette fois cette métaphore, en lui substituant par

exemple sa figure sœur qu’est l’hypotypose, afin de rendre compte non plus

des naufrages avec spectateur du passé, mais des naufrages sans témoins

d’aujourd’hui.

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ENTRÉES D’INDEX

Mots clés : crise migratoire https://journals.openedition.org/traces/15079

, représentation https://journals.openedition.org/traces/15084, métaphore

https://journals.openedition.org/traces/15089, naufrage

https://journals.openedition.org/traces/15094, hypotypose

https://journals.openedition.org/traces/15099, témoin

https://journals.openedition.org/traces/15104

Keywords: migration crisis https://journals.openedition.org/traces/15109,

representation https://journals.openedition.org/traces/15114, metaphor

https://journals.openedition.org/traces/15119, shipwreck

https://journals.openedition.org/traces/15124, hypotyposis

https://journals.openedition.org/traces/15129, witness

https://journals.openedition.org/traces/15134

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PLAN

Métaphoriser la crise, jusqu’à la résoudre

https://journals.openedition.org/traces/15074#tocto1n1

Esthétiser la métaphore, jusqu’à la démoraliser

https://journals.openedition.org/traces/15074#tocto1n2

Désartialiser la métaphore, jusqu’à la mettre en crise

https://journals.openedition.org/traces/15074#tocto1n3

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TEXTE INTÉGRAL

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https://journals.openedition.org/traces/15074

https://journals.openedition.org/traces/15074

https://journals.openedition.org/traces/15074

https://journals.openedition.org/traces/15074

1Cet article procède du constat selon lequel une inadéquation s’est fait

jour entre certains cadres de pensée mobilisés dans la réflexion

contemporaine sur la crise et les réalités critiques que ces mêmes cadres

visent à appréhender. Il s’agit par conséquent d’y examiner la relation

entre les représentations de la crise – en l’occurrence migratoire – et les

crises de la représentation – notamment celle de la métaphore du naufrage,

dont Hans Blumenberg a retracé en 1979 la généalogie dans son ouvrage

intitulé Naufrage avec spectateur.

2Aussi s’agira-t-il d’examiner les raisons pour lesquelles cette figure a

acquis au cours des dernières années une place centrale dans la réflexion

contemporaine sur la crise, tant parmi les penseurs qui entendent se

confronter à la crise migratoire actuelle (Myriam Revault d’Allonnes

d’abord, Patrick Boucheron ensuite), que chez certains artistes (comme

Claudio Parmiggiani). La situation actuelle des naufrages de migrants, en

particulier dans l’espace méditerranéen mais pas seulement, oblige

cependant à confronter ces usages métaphoriques à la crise que connaît

l’Europe, qui rend ces usages problématiques à plusieurs titres.

3La distance qu’instaure cette métaphore avec la réalité actuelle compromet

en effet sa capacité à la décrire, et plus encore à la dénoncer, en sorte

qu’elle alimente plus qu’elle ne permet d’expliciter la crise de la

représentation dont s’alarment pourtant à bon droit celles et ceux qui y

ont recours. La distanciation qu’elle instaure les empêche d’apercevoir et,

partant, de concevoir que la crise présente ne ressortit plus à la

tradition métaphorique que dessinait jusque-là le motif du naufrage *avec

spectateur*, mais que cette crise lui a substitué une réalité critique qui,

à strictement parler, n’est ni tragique ni dramatique, mais bien impensable

faute de représentations appropriées : celle de naufrages sans témoins.

Métaphoriser la crise, jusqu’à la résoudre

https://journals.openedition.org/traces/15074#tocfrom1n1

4Il y a dix ans, La crise sans fin de Myriam Revault d’Allonnes s’ouvrait

sur le constat d’une disjonction entre, d’une part, le sens du « mot grec

krisis », signifiant « le jugement, le tri, la séparation, la décision »,

induisant, in fine, « la sortie de crise », et, d’autre part, le fait que

« la crise paraît aujourd’hui marquée du sceau de l’indécision voire de

l’indécidable », au point de devenir « permanente » (Revault d’Allonnes,

2012, p. 10).

5En rappelant une définition, tout en actant le fait que celle-ci n’était

plus adaptée au genre de crises qui traversent la modernité, la philosophe

définit très directement la démarche que l’on se propose de développer dans

les pages qui suivent. La principale objection qu’on lui oppose porte sur

le degré d’extension de la notion de modernité dont use Revault d’Allonnes

dans son essai, qui vise l’actualité sans finalement la toucher, puisque

son analyse s’arrête à la crise de la modernité au moment précis où elle

aurait dû se confronter à celle que l’actualité impose. Cela dit, cette

objection n’ôte rien au fait qu’en se maintenant à pareille hauteur de vue

sa réflexion jette un éclairage nécessaire sur les enjeux fondamentaux

qu’engage la critique des représentations en contexte de crise – au premier

rang desquels sa dimension temporelle.

6Selon Revault d’Allonnes, l’indéfinition de la crise dérive

fondamentalement d’un rapport perturbé au temps, qu’elle apparente « à un

processus de détemporalisation » (ibid., p. 13). Cette perturbation des

temporalités, cette « désynchronisation », affecte non seulement la

perception historique, mais aussi la capacité de l’action politique à

orienter l’histoire en lui fournissant un « horizon de sens unificateur » (

ibid., p. 14). Dans le contexte de la crise sans fin, « la politique – là

résidait sa capacité à unifier le temps – ne se manifeste plus sur le mode

de l’initiative : elle est devenue réactive » (ibid., p. 130).

7Mais cette réaction est à présent empêtrée dans la crise qu’elle s’efforce

de contenir. Devenue « le milieu de notre existence », écrit Revault

d’Allonnes, la crise s’est muée en « équivalent de l’indécidable » et

« est désormais la norme de notre existence » (ibid., p. 132). On n’a

plus affaire à une ou à plusieurs situations de crise, mais bien à une

condition critique circonvoisine de la condition moderne, déclare Revault

d’Allonnes, qui se demande en conséquence s’il s’agit « d’une rupture *de

(avec)* la modernité ou d’une rupture *dans *la modernité ? » (ibid.,

p. 133).

8Cette question prolonge explicitement les réflexions sur le même sujet

qu’avait amorcées Paul Ricœur dans les années 1980 en remontant pour sa

part plus haut encore dans le temps. C’est en effet dans le théâtre

élisabéthain – marqué par la célèbre lamentation de Hamlet s’écriant que

« le temps est hors de ses gonds » et se maudissant « d’être né, [lui],

pour le faire rentrer dans l’ordre » –, que Ricœur repère l’amorce de ce

« phénomène spécifiquement moderne » (Ricœur, 1988), où « la Crise a

remplacé la Fin » (Ricœur, 2005a, p. 49).

9On pressent qu’en s’inscrivant dans cette lignée, Revault d’Allonnes

conserve à la modernité une extension qui laisse paradoxalement peu

d’espace à l’actualité, c’est-à-dire aussi à cette part d’imprévisible qui

en rompt potentiellement la tradition. En sorte que si la prémisse de

l’indissociabilité de la crise et de la modernité lui imposait de ne pas

rechercher de nouvelle fin à la crise, elle l’invitait néanmoins à

déceler dans le détour métaphorique un moyen de réinvestir la modernité

d’un projet. Un détour qui lui était cette fois offert non plus seulement

par Ricœur, qui avait rappelé les puissances herméneutique et heuristique

de « la métaphore vive » (Ricœur, 1997), on y reviendra, mais par Hans

Blumenberg.

10C’est en effet à partir de la métaphorologie de ce dernier que Revault

d’Allonnes opère, dans le quatrième et dernier chapitre de son livre, la

jonction entre les trois termes fondant son analyse : crise, métaphore et

modernité (Revault d’Allonnes, 2012, p. 155). Afin de saisir le sens

qu’elle donne à cette opération, il convient de rappeler brièvement comment

Blumenberg conçoit les relations entre l’activité philosophique et la

tropologie métaphorique, et plus particulièrement celles que déploie la

métaphore du naufrage avec spectateur.

11La réflexion épistémologique qu’a développée le philosophe dans les

années 1960 s’intéresse en effet au rôle que remplissent les configurations

métaphoriques dans l’élaboration des représentations conceptuelles. Un rôle

d’arrière-plan et d’orientation de la conceptualisation, suggère

Blumenberg, où les métaphores se caractérisent, vis-à-vis de l’activité de

pensée, par leur nature tour à tour résiduelle et anticipatoire.

12Dans le premier cas, elles sont « des vestiges dans le cheminement qui va

du mythos au logos » ; dans le second, des sauts par lesquels

« l’esprit s’anticipe lui-même dans ses images » (Blumenberg, 2006, p. 12).

Dans l’un comme dans l’autre, insiste le philosophe, « la métaphore est un

objet essentiellement historique » (ibid., p. 24), révélant

l’historicité de l’activité représentationnelle elle-même, et cela jusque

dans les crises qui la traversent ; on reviendra dans la deuxième partie

sur cette histoire de la métaphore du naufrage avec spectateur, en l’espèce

sur la période où elle devient problématique en passant dans le registre

esthétique.

13Un changement d’époque n’implique pourtant pas, selon Blumenberg, que

tous les cadres permettant de se représenter le changement s’effondrent

avec l’ère qui s’achève, ne serait-ce que parce qu’il est toujours possible

de recourir de nouveau au détour métaphorique. Ce n’est pas la situation de

l’homme qui est « potentiellement métaphorique », soutient même le

philosophe, « mais d’emblée sa constitution » (Blumenberg, 2010, p. 127).

En vertu de cette disposition anthropologique, on assiste alors plutôt à ce

qu’il désigne comme un « réinvestissement » desdits cadres afin de pouvoir

justement se représenter la situation historique du changement comme celle

de la période en question.

14Blumenberg avance en ce sens que « le concept de “réinvestissement” (

Umbesetzung) désigne une implication en vertu de laquelle un minimum

d’identité doit encore pouvoir être trouvé, ou du moins présupposé et

cherché au sein même de la plus grande agitation historique. » Ce « minimum

d’identité », l’activité métaphorique peut justement permettre de le

retrouver et de le conserver, y compris (et peut-être même surtout) lorsque

survient « la plus grande agitation historique » (Blumenberg, 1999, p. 529)

– quand éclate la crise.

15Sous ce rapport, l’une des métaphores entretenant l’affinité la plus

marquée avec ce type d’événements est donc celle du naufrage avec

spectateur, à laquelle Blumenberg a consacré une étude séparée. Elle

constitue à ses yeux rien moins qu’« un paradigme d’une métaphore de

l’existence ». Le philosophe relève en effet que si « l’homme conduit sa

vie et établit ses institutions sur la terre ferme », en revanche,

lorsqu’« il cherche à saisir le mouvement de son existence dans sa totalité

il a recours de préférence aux métaphores du voyage en mer et de ses

risques » (Blumenberg, 1994, p. 9). L’inquiétude qu’une telle recherche ne

peut manquer de susciter chez celui qui l’entreprend trouve toutefois une

compensation dans sa « faculté de garder ses distances ». Autrement dit,

dans sa capacité, vis-à-vis du naufrage auquel sa quête l’expose en

imagination, à « pouvoir être spectateur » (ibid., p. 22).

16Un refuge bien précaire, précise cependant Blumenberg en s’appuyant sur

Nietzsche, pour qui « la terre ferme n’est pas la position du spectateur,

c’est celle du rescapé » (du « Schiffbrüchigen » dans l’original allemand

de Schiffbruch mit Zuschauer, mot que « naufragé » rendrait peut-être ici

avec plus de clarté pour l’analyse). Paradoxalement donc, « le sentiment de

sa solidité [celle de la terre ferme] repose uniquement sur le fait qu’il

semble invraisemblable [ou improbable, unwahrscheinlich] de pouvoir

jamais l’atteindre » (ibid., p. 28).

17Il est tout à fait remarquable à cet égard – et éclairant pour la suite

de l’interprétation que l’on propose – que, dans l’exégèse de Nietzsche à

laquelle se livre par ailleurs Blumenberg, la métaphore du rivage occupe la

même position dialectique que celle réservée au concept de vérité : il

semble insupportable d’accéder à la vérité. L’homme ne peut le supporter

car « la vérité est laide », affirme Nietzsche, qui ajoute : « Nous avons l’

art afin de ne pas mourir de la vérité » (cité dans Blumenberg, 2022,

p. 18).

Nietzsche selon Marc de Launay po (…)

https://journals.openedition.org/traces/15074#ftn1

18Non pas que « l’art qui permet d’acquiescer à la vie en dépit de la

laideur de la vérité » soit « une manière de voiler ce qui est

insupportable », précise Blumenberg, mais parce qu’« il anticipe ainsi

quelque chose qui n’existe pas encore » (*ibid*., p. 19), quelque chose

qu’il rend ainsi accessible, fût-ce imaginativement. Or cette qualité

d’anticipation que Nietzsche accorde à l’art, on a vu que Blumenberg la

prêtait précisément au second type de métaphores qu’il étudie1

https://journals.openedition.org/traces/15074#ftn1. Chez l’auteur du *Gai

savoir*, la métaphore du « naufragé avec spectateur » permet de rendre

vraisemblable l’espoir d’accéder au rivage, de même que l’art rend

supportable la vérité, y compris dans le cas où elle s’avère désespérante.

19Mais Blumenberg pousse quant à lui un peu plus loin l’apparentement non

des vecteurs (art et métaphore) mais des thèmes que ceux-ci véhiculent

(naufrage et vérité). Cette fois d’après sa lecture de Kierkegaard, il

allègue en effet que l’accès à la vérité nue – que Nietzsche juge « laide »

en partie à raison de cette nudité – passe lui aussi par une mise à nu,

celle du « naufragé qui n’a pu atteindre le rivage salvateur qu’en

abandonnant ses vêtements, mais qui doit désormais acquitter le prix de son

désarroi visuel alors qu’il est sain et sauf » (*ibid*., p. 231-232). À

ce stade, le thème du « naufrage avec spectateur » ne possède plus

seulement une valeur existentielle de l’ordre du viatique ; Blumenberg lui

attribue de surcroît une fonction médiatrice qui la place au cœur de

l’activité philosophique par excellence, celle de la recherche de la vérité.

20Ce trop bref excursus par la pensée blumenbergienne permet néanmoins de

deviner les ressources qu’elle fournit à la résolution de *La crise sans

fin*. En ouverture du dernier chapitre, Revault d’Allonnes soutient ainsi

que « la métaphore de la navigatio vitæ demande alors à être réinvestie

dans une nouvelle variante » afin, précise-t-elle, de « savoir si nous

sommes voués à dériver comme le malheureux naufragé qui s’accroche à sa

planche ou à son radeau ou bien si nous pouvons transformer cette errance

sur la mer de la vie en une autre situation existentielle : celle qui

consiste à accepter de naviguer dans l’incertitude et l’inachèvement, d’y

construire et d’y réparer les bateaux » (Revault d’Allonnes, 2012,

p. 186-187).

(cité dans Benjamin, 2002, p. (…)

https://journals.openedition.org/traces/15074#ftn2

21La gêne que ces lignes sont susceptibles d’introduire dans l’esprit de

celui qui les lit aujourd’hui ne tient pas tant au fait que son autrice y

fait « suer la métaphore »2

https://journals.openedition.org/traces/15074#ftn2, comme on dit, mais

parce que celle-ci paraît, au bout du compte, déplacée – historiquement, et

donc actuellement déplacée. En n’interrogeant pas l’historicité de la

métaphore qu’elle convoque, et en ne l’arrimant pas davantage à une réalité

historique, Revault d’Allonnes la met en porte-à-faux avec une partie au

moins de la crise actuelle.

22Bien entendu, on ne saurait reprocher a priori à une philosophe de

vouloir penser la crise, fût-elle moderne, sans s’arrêter sur une crise en

particulier. On ne peut toutefois manquer d’éprouver un certain malaise

(qu’il s’agira bientôt de qualifier) à la voir s’approcher si près de la

crise des naufrages de migrants par le moyen d’une métaphore à laquelle

l’actualité renvoie nécessairement, et s’en éloigner tout aussi brusquement

par ce même moyen. Ce retournement conduit à formuler l’hypothèse

passablement soupçonneuse qu’en mentionnant cette crise-là, celle de

naufrages sans témoins, Revault d’Allonnes aurait dû renoncer à la

métaphore du naufrage avec spectateur pour être en mesure de penser jusque

dans son actualité la crise des temps modernes dont elle est issue.

immense, / D’observer du rivage le (…)

https://journals.openedition.org/traces/15074#ftn3

23Un soupçon analogue pèse sur le raisonnement voisin qui amène Patrick

Boucheron à subsumer, sous couvert de l’y élever, la situation actuelle à

une condition métaphysique, en passant lui aussi par la voie métaphorique,

et, en l’occurrence, en recourant également à la métaphore de Blumenberg.

En conclusion de rencontres universitaires que le Collège de France

consacra en 2016 aux migrations, l’historien revient sur le « livre

puissant et dérangeant, en réalité puissamment dérangeant » (Boucheron,

2017, p. 385), qu’est Naufrage avec spectateur. Relisant Lucrèce à son

aune, puis, successivement, à la lumière de Pascal et, lui aussi, de

Nietzsche3 https://journals.openedition.org/traces/15074#ftn3, Boucheron

en déduit que l’on supporte le spectacle du naufrage, non pas « parce que

nous prenons plaisir au malheur d’autrui, mais parce que nous sommes

nous-mêmes des rescapés » (ibid., p. 386).

24Or, non. « Nous » ne pouvons être des « rescapés » métaphoriquement que

tant que les naufragés ne le sont pas actuellement. Sinon, la métaphore du

naufrage devient un mirage conceptuel, et toutes les représentations qui

s’y rattachent, qu’elles soient théoriques ou plastiques, s’en trouvent

faussées, pour ne pas dire qu’elles se défaussent de la réalité dont elles

entendent rendre compte.

p. 239 ; Thiollet, p. 261 ; A (…)

https://journals.openedition.org/traces/15074#ftn4

25Le problème est d’autant plus épineux que Boucheron s’alarme de

l’inadéquation des représentations communes sur le sujet, et appelle à y

remédier en produisant une « description réaliste » de la situation

actuelle, conscient qu’il est que « la crise des migrants met en défaut

notre capacité de représentation » (ibid., p. 386-387). Mais toute sa

démonstration paraît décidément entravée par ce « nous » qui la motive. (Ce

que trahit incidemment l’expression, en soi problématique, de « crise des

migrants », préférée à celle, par exemple, de « crise de l’Europe »4

https://journals.openedition.org/traces/15074#ftn4, ou de « crise de

l’accueil »5 https://journals.openedition.org/traces/15074#ftn5).

26Ce dernier indice semble confirmer que l’usage de la métaphore, qui

permettrait de surmonter, sinon la crise, du moins de se la représenter,

que cet usage semble obéir, chez Boucheron comme chez Revault d’Allonnes, à

une logique d’appropriation et de compréhension, au sens premier du

terme. La représentation métaphorique doit d’abord permettre de faire nôtre

cette crise avant de (pouvoir) la penser, semblent-ils dire, évacuant du

même coup l’appréhension qu’elle suscite, avec la charge de crainte et de

réticences que devrait induire l’intention de représenter une telle

situation, en tant que la crise de la représentation est inextricablement

liée à la représentation de la crise. De fait, l’enjeu éthique que

soulèvent ces questions ne peut être pleinement exploré que dans sa liaison

à l’esthétique, c’est-à-dire en évaluant combien cet enjeu est à la fois

historiquement et esthétiquement déterminé.

Esthétiser la métaphore, jusqu’à la démoraliser

https://journals.openedition.org/traces/15074#tocfrom1n2

27Compte tenu de ce qui précède, il n’y a rien de surprenant à ce que

certaines analyses qu’a proposées antérieurement Revault d’Allonnes

permettent là aussi de jeter les bases d’une telle exploration. On se

contentera de se demander à nouveau dans quelle mesure l’attention aiguë

qu’elle porte à semblables nœuds critiques lorsqu’ils proviennent du passé

freine leur extension intellectuelle aux cas présents.

28Dans un tout autre contexte, la philosophe a en effet qualifié de « crise

de l’identification » les situations où « l’imagination du semblable » fait

défection (Revault d’Allonnes, 1999, p. 555-556). Considérant l’exemple de *Si

c’est un homme* de Primo Levi au regard de la conception aristotélicienne

de la tragédie, la philosophe démontre ainsi combien « une histoire

représentant le malheur d’un juste est moralement monstrueuse », et

« relève d’un invraisemblable éthique qui excède la situation tragique » (

ibid., p. 561).

29Le passage de la *Poétique *sur lequel Revault d’Allonnes s’appuie énonce

en effet qu’un tel « spectacle n’inspire ni crainte ni pitié mais

répugnance », en sorte qu’il « est de tous les cas le plus éloigné du

tragique » (Aristote, 2005, p. 100), et, pourrait-on ajouter, du

métaphorique, parce qu’alors ne restent plus, sous les yeux du spectateur,

que des dissemblances et de l’inimaginable. Dans pareilles circonstances,

la crise de l’identification se double d’une crise de la représentation, en

ce qu’elle produit de l’irreprésentable. Certes, il s’agit encore d’un

irreprésentable pour « nous », mais, en l’espèce, ce « nous » est égal : il

n’est pas le sujet. Ce n’est donc pas seulement la victime qui sort de

« scène », mais la présence elle-même du spectateur qui devient obscène,

dès lors que le spectaculaire fait pièce au tragique proprement dit.

30Cette issue déploie une dimension transhistorique qui permet d’en deviner

d’emblée l’actualité. Mais elle revêt aussi une valeur historique et

épistémologique qu’il convient de ne pas négliger afin d’aborder l’examen

de la situation présente de la manière la plus informée possible. Car le

transfert de la métaphore du naufrage avec spectateur du domaine de

l’éthique à celui de l’esthétique correspond à un moment précis de

l’histoire européenne des représentations conceptuelles sur lequel il

convient donc de revenir – en revenant justement à un passage de *Naufrage

avec spectateur*.

lorsque, tout en saluant son apport, (…)

https://journals.openedition.org/traces/15074#ftn6

31Blumenberg repère en effet qu’une mutation considérable se produit en

Europe vers le milieu du xviiie siècle, à l’issue de laquelle « le

spectateur de Lucrèce a perdu sa dimension morale, il est devenu

“esthétique” » (Blumenberg, 1994, p. 49). Un changement d’autant plus

notable de son point de vue qu’il en vient à étioler l’efficacité éthique

de la métaphore du naufrage elle-même. L’observation de Blumenberg est

cependant bien moins spécifique qu’il n’y paraît6

https://journals.openedition.org/traces/15074#ftn6. Elle engage au

contraire tout un pan du modernisme esthétique que l’on ne peut ici que

résumer en convoquant tour à tour l’histoire des sensibilités, la théorie

et l’histoire de l’art, et, nécessairement, l’esthétique, en particulier

celle du sublime. Une variété de perspectives qui, dans les discours comme

dans les pratiques de l’époque, se recoupent et confirment le diagnostic de

Blumenberg.

32C’est ainsi qu’en plein siècle des Lumières, tandis que le « grand

spectacle de la Mer » (La Font de Saint-Yenne, 2001, p. 76) commence à se

décliner en marines, « le naufrage se hisse désormais sans pudeur au statut

de spectacle » (Corbin, 1990, p. 277). Simultanément, fait son apparition,

sur la scène artistique et critique, « ce personnage décisif : le

spectateur en sa jouissance » (Arasse, 2017, p. 19). Celui-ci acquiert – à

partir de là et pour longtemps – une « place » nouvelle, que Michael Fried

a décrite comme relevant d’une forme d’anti-théâtralité dans la mesure où

les peintures de cette époque se spécifient – et, ce faisant, signalent

leur modernité – par leur propension à mettre en scène des personnages

absorbés dans leurs occupations (Fried, 1990). Comme au théâtre nouveau

qu’appelle Denis Diderot de ses vœux, les spectateurs se trouvent tout à

coup cantonnés, face à la mer déchaînée en représentation, au rang de

« témoins ignorés de la chose » (Diderot, 2005, p. 205), en ce que la chose

se détache d’eux comme eux d’elle, c’est-à-dire en prenant leur distance.

33« Comme au théâtre », ou, plus génériquement, comme au spectacle que

constitue désormais la métaphore étiolée du naufrage avec spectateur, la

représentation artistique empruntant sa modernité à cet étiolement où,

désormais, l’œuvre fait figure de naufrage. Pareille relation esthétique

possède, de surcroît, une force d’attraction d’autant plus irrésistible

pour le spectateur moderne qu’elle lui octroie une contemplation

alternativement distanciée de son objet et confondue avec lui. Autrement

dit, une vision consciente d’elle-même, y compris lorsque le spectateur

« plonge » en elle et « sombre » avec elle pour s’abandonner à la vision

pure (Imdahl, 1996, p. 86), et tisser entre l’œuvre et lui « un lien encore

plus profond » (Jollet, 1998, p. 126).

34Un mot permet d’envisager l’apparente contradiction contenue dans la

relation à l’œuvre-naufrage qu’instaure l’esthétique des Lumières : le mot

de « fiction ». Deux philosophes britanniques l’introduisent d’ailleurs la

même année dans leurs discussions respectives sur la tragédie, avant que

Samuel Coleridge ne la récapitule en 1817 dans la célèbre formule d’une

« suspension délibérée de l’incrédulité » (willing suspension of disbelief),

déterminant, commente Ricœur, « la “bonne” distance à l’œuvre […] où

l’illusion devient tour à tour irrésistible et intenable » (Ricœur, 2007,

p. 309) ; comme le spectacle d’un naufrage.

35Edmund Burke, avant Coleridge, avait indexé le pouvoir de la tragédie à

sa propension à s’éloigner « de toute idée de fiction », tout en admettant

que, quel que soit son pouvoir, « il n’atteindra jamais celui de la réalité

qu’elle représente » (Burke, 1998, p. 92). David Hume, de son côté, postule

au même moment qu’une « certaine conscience de l’irréalité du spectacle que

nous percevons accompagne toujours l’ensemble de ce que nous voyons », en

sorte que l’affliction qu’elle provoque « la transforme en plaisir », dès

lors que, tout en pleurant « l’infortune d’un héros […], nous nous

réconfortons nous-mêmes à l’idée que ceci n’est qu’une fiction » (Hume,

2000, p. 113-114).

36Avec l’esthétique moderne, qui s’élabore dans la seconde moitié du

xviiie siècle

en prenant la fiction pour blanc-seing, le spectateur ne craint plus de

s’abîmer dans le naufrage devenu image. C’est alors que la métaphore perd

tout à fait cette dimension existentielle de soutien moral qu’elle avait

commencé à perdre en s’esthétisant. La revalorisation de la notion de

sublime, qui point elle aussi à cette époque, participe de ce mouvement :

elle rejoue le thème de l’instabilité de l’existence terrestre en se jouant

de la métaphore océanique jusqu’à faire pénétrer l’horreur dans le registre

du jugement esthétique (Burke, 1998, p. 101).

37La subreption est d’autant plus réussie que même ceux qui en récusent le

principe, en jugeant par exemple, dans la lignée d’Aristote, que la vision

du « vaste océan, soulevé par la tempête », n’est pas sublime mais

« horrible » (Kant, 1995, p. 227), n’ont d’autre alternative que de lui

opposer la même figure, en rappelant que le naufragé ne jouit ni du sublime

ni du jugement qui en découle, possibilités qui reviennent exclusivement au

spectateur contemplant le drame depuis le rivage (Schiller, 2005, p. 46).

38Une certaine conception du sublime demeure attachée à ce moment

historique où la démoralisation s’allie à l’esthétisation de la métaphore ;

une conception en laquelle se trouvent certainement, pour toutes ces

raisons, les ferments d’un « malaise esthétique [qui] est aussi vieux que

l’esthétique elle-même », en ce qu’elle « est la pensée du désordre

nouveau » (Rancière, 2004, p. 21-23) dont ce malaise est issu. Mais si la

crise de la représentation actuelle dérive encore du malaise esthétique

introduit à l’aube de la modernité, c’est précisément parce que la coupure

qu’il a instituée apparaît aujourd’hui comme une blessure, en sorte que,

face au naufrage, la position du spectateur n’est plus tenable, non plus

que la métaphore qui la faisait tenir.

Désartialiser la métaphore, jusqu’à la mettre en crise

https://journals.openedition.org/traces/15074#tocfrom1n3

39En 2009, l’artiste italien Claudio Parmiggiani conçut une action

artistique intitulée Naufrage avec spectateur. Depuis le port sarde

d’Alghero, il fit convoyer une ancienne embarcation de pêche baptisée

Carrara jusqu’à l’église du couvent de l’Annonciation de Morsiglia, au

nord de la Corse. Après avoir découpé dans le sens de la longueur les près

de quinze mètres de sa carcasse, il en disposa les trois sections égales au

centre de la nef. L’opération de déplacement et de découpe de la barque

acte, écrit Anne Alessandri, « sa transformation d’objet en œuvre »

(Parmiggiani, 2009, p. 11-12). L’artiste réalise alors ce « geste

inconcevable », selon elle, d’avoir déplacé le bateau « là d’où l’on

pourrait le voir s’abîmer dans une tempête » (ibid., p. 12), c’est-à-dire

depuis l’édifice surplombant le cap Corse.

40Ce renversement de perspective, observe quant à lui Federico Ferrari,

marque en réalité l’abolition de cette dernière, c’est-à-dire de la

« distance entre le spectateur et le naufrage » qu’annule de facto

Parmiggiani en éloignant le bateau de la mer pour rapprocher le spectateur

de son épave – l’œuvre. Ferrari comprend que ce « naufrage » s’insère alors

« dans la métaphore de la tradition dont Blumenberg a si bien retracé

l’histoire », mais qu’il « fait en même temps beaucoup plus que prolonger

une métaphore – il fracture l’histoire, l’interrompt et la désarticule » (

*ibid*., p. 16). À première vue, cette désarticulation correspondrait à

une forme de désartialisation dans la mesure où l’activité artistique

– comme métaphorique – consiste à articuler le divers (Payot, 1997, p. 75).

Reste que la réunion du spectateur et du naufrage en un lieu (voire leur

communion en ce lieu) ménage au spectateur une place, fût-elle déplacée,

et par conséquent un monde partagé.

41Il est vrai, cependant, que cette fonction de rattachement mondain que

Parmiggiani impartit à l’espace localisé (Didi-Huberman, 2001, p. 143)

suggère qu’en lui-même l’objet œuvré – devenu œuvre parce que délocalisé –

n’entretient plus de relation immédiate au monde, qu’il en est clivé. Mais

Roland Recht avance à ce sujet que c’est précisément en raison de ce

clivage (Spaltung) que les expériences esthétiques que propose

Parmiggiani incitent nécessairement à l’investigation herméneutique : afin

de renouer un lien, d’élucider « un sens caché » (Recht, 2009, p. 235) que

l’image recèle en se détournant du réel par le moyen de la métaphore,

voire, en l’occurrence, par celui de la métamorphose, même réduite à un

travail de découpe.

42En définitive, avec Naufrage avec spectateur, Parmiggiani met davantage

en œuvre qu’à l’épreuve la métaphore dont Blumenberg a retracé l’évolution

théorique. En soumettant le spectateur à la représentation de l’épave au

lieu de soumettre celle-ci à son regard, il le déplace, certes, sans lui

dénier pour autant sa légitimité à être là. D’autant moins, en réalité, que

sa présence est une incitation à résoudre le sens de la métamorphose qui

lui est donnée à voir, comme la crise appelait le théoricien à rechercher

dans la métaphore une voie pour sa résolution.

43En 2019, sous le titre Barca Nostra Project, l’artiste suisse Christoph

Büchel s’engagea dans un projet en apparence comparable à celui de

Parmiggiani. Il s’agissait d’acheminer, cette fois depuis la Sicile,

l’épave d’un chalutier sans nom jusqu’à l’un des quais de l’Arsenal de

Venise durant la Biennale d’art contemporain. La comparaison, pourtant,

s’arrête là. De la métaphore, Büchel n’a gardé, en effet, que le principe,

celui d’un déplacement, et rien de la métamorphose puisqu’il n’est

intervenu en aucune façon sur l’épave, sinon pour la déposer en un lieu,

certes traditionnellement lié à l’activité navale et artistique de la

ville, mais ouvert à tous égards, sans lui adjoindre non plus d’éléments

explicatifs, et en l’abandonnant là pour une durée indéfinie.

44Dans ces conditions, les spectateurs de cette installation n’étaient

d’aucune façon invités à projeter sur elle leur attention herméneutique,

n’ayant sous les yeux qu’un objet littéralement désœuvré. Seuls ce

désœuvrement et cette littéralité pouvaient éventuellement les conduire,

non pas à imaginer ce que pouvait être cette épave, mais à la reconnaître

pour ce qu’elle était, ou du moins pour ce qu’elle avait été.

45Quatre ans plus tôt, dans la nuit du 18 au 19 avril 2015, ce bateau

anonyme avait coulé au large de la Libye avec huit cents personnes

migrantes à son bord, desquelles vingt-huit seulement survécurent. Le

président du Conseil italien de l’époque ordonna son renflouement afin de

permettre l’identification des victimes et avec l’intention de l’exposer

devant le siège des institutions de l’Union européenne qui venait de mettre

un terme à l’opération de sauvetage en Méditerranée baptisée « Mare

Nostrum » (Cattaneo, 2019 ; Tervonen, 2019).

46Dans un contexte d’invisibilisation croissante et institutionnalisée des

disparitions en mer de migrants (Collectif Babels, 2017), que l’ironie de

l’actualité associe à une survisibilisation aléatoire des migrants assignés

à leur état de naufragés (Bensaâd, 2015 ; Hellio, 2019), dans une situation

de crise, donc, où les naufrages se produisent désormais en l’absence de

spectateurs véritables, le résultat de ce naufrage en particulier aurait

dû, au départ, être présenté à des spectateurs politiques, auxquels Büchel

a finalement substitué des spectateurs artistiques. Mais il l’a fait en les

privant du même coup du confort de la jouissance esthétique aussi bien que

du réconfort de l’innocence politique, c’est-à-dire, en toute fin de

compte, en les destituant de leur place de spectateur et en leur déniant

l’usufruit de l’héritage théorique qui l’avait assise (Bernard-Nouraud,

2022).

47On déduit de cette comparaison entre les deux propositions artistiques

qu’une certaine conception métaphorique et métamorphique de l’œuvre d’art

ne semble plus en mesure de redécrire cette réalité. Cela y compris dans sa

forme minimale, comme dans la représentation latérale de la réalité que

propose Parmiggiani, là où sa représentation littérale, sous l’aspect de

l’installation de Büchel, se mesure effectivement à elle ; sans qu’il soit

dit qu’elle y parvienne, ni même qu’elle ambitionne d’atteindre autre chose

que l’intuition d’une incommensurabilité de la chose à l’événement qu’elle

rappelle (et cela sans le secours du sublime). Quoi qu’il en soit, ce qui

distingue Barca Nostra de Naufrage avec spectateur tient non seulement

au fait qu’il évoque une situation de crise et non une condition critique,

mais que la présence de l’épave – à cet endroit-là et à ce moment donné –

installe la crise.

48Certes, comme le rappelle Claire Bishop, toute installation artistique

expose une présentation en lieu et place d’une représentation, et provoque,

ce faisant, un décentrement doublé d’une activation du spectateur, qu’elle

désigne, quant à elle, par le terme de « regardeur » (viewer) (Bishop,

2005, p. 11). Mais l’installation de Büchel est à ce point dénuée d’art

que, tout en convoquant le naufrage, elle bloque l’échappée métaphorique

qu’elle pourrait susciter et offusque jusqu’au regard, précisément, qui

pourrait être porté sur elle. À la configuration, elle oppose la

confrontation, et laisse le spectateur, non pas songeur, imaginatif encore,

mais littéralement interloqué, pour ne pas dire interdit.

49De façon négative, Barca Nostra met ainsi en évidence – tout en

l’éradiquant du même coup – le germe d’utopie sur lequel Revault d’Allonnes

fondait plus ou moins tacitement son recours à la métaphore du *Naufrage

avec spectateur* dans les dernières pages de La crise sans fin. L’idée

selon laquelle, face à la crise, le détour métaphorique et l’écart utopique

offrent l’occasion d’un sursaut conceptuel trouve chez elle sa légitimité à

la fois dans la pensée de Hannah Arendt et de nouveau dans celle de Ricœur,

dont Revault d’Allonnes fut aussi la traductrice, notamment quand ce

dernier écrivit directement en anglais.

50Réfléchissant à la fonction politique du jugement kantien, Arendt

entreprend une revalorisation de la place du spectateur qui seul,

écrit-elle, « occupe une position qui lui permet de voir la scène dans son

entier » (Arendt, 2003, p. 89), et seul peut juger consciemment de manière

impartiale. Sa qualité de « citoyen du monde » repose alors sur sa place de

« spectateur du monde » (*ibid*., p. 116). En d’autres termes, ceux de

Revault d’Allonnes cette fois, « l’intervention, non agissante au sens

strict, des spectateurs dans le monde commun ne désigne pas une position de

repli mais, à l’inverse, une extension de la responsabilité politique » (

*ibid*., p. 240), en particulier dans les situations les plus critiques

qui exigent, pour pouvoir être jugées, d’être tenues à bonne distance en

adoptant pour ce faire à leur égard une posture de retrait.

51C’est uniquement dans ces conditions que le jugement est permis, et, à

partir de là, son déploiement en une configuration alternative

contre-idéologique de type utopique, selon l’opposition qu’explicite Ricœur

lorsqu’il soutient que « la fonction positive de l’utopie est d’explorer le

possible, ce que Ruyer appelle “les possibilités latérales du réel” »

(Ricœur, 2005b, p. 407). Des possibilités qui sont poétiquement offertes

par la métaphore en ce qu’il revient précisément à celle-ci d’explorer les

possibles comme elle le fait des ressemblances, et de produire une vérité

où étant et non-étant cohabitent. Pour Ricœur, en effet, « le paradoxe

consiste en ceci qu’il n’est pas d’autre façon de rendre justice à la

notion de vérité métaphorique que d’inclure la pointe critique du “n’est

pas” (littéralement) dans la véhémence ontologique du “est”

(métaphoriquement) » (Ricœur, 1997, p. 321).

52Le philosophe pense au niveau conceptuel, et juge par conséquent qu’un

des aboutissements de ce paradoxe tient à sa propension à parvenir à ce

niveau. À ses yeux donc, « raviver la métaphore, c’est démasquer le

concept » (*ibid*., p. 363), en ce que « la métaphore n’est pas vive

seulement en ce qu’elle vivifie un langage constitué. La métaphore est vive

en ce qu’elle inscrit l’élan de l’imagination dans un “penser plus” au

niveau du concept » (*ibid*., p. 384).

53Or, ce que l’installation de Büchel oblige à penser à présent, c’est une

métaphore, non pas morte, comme Ricœur la craint, mais défunte,

c’est-à-dire privée de son fonctionnement. C’est-à-dire une figure

artistique qui compromet certes les possibles et obère le procès conceptuel

– ce qui n’est pas rien –, mais une modalité d’appréhension qui ne produit

pas pour autant de l’impensé. Elle se contente, si l’on peut dire,

d’insinuer de l’impensable, de l’inconcevable, de l’impossible ; quelque

chose de l’ordre de « l’invraisemblable éthique », dont parle Revault

d’Allonnes, qu’il s’agit par conséquent de repenser, et pour cela de se

représenter autrement, peut-être par d’autres voies que métaphoriques.

54Il existe en effet une « figure » de la littéralité capable de relayer de

manière pertinente pour l’analyse celle de la latéralité métaphorique sur

le terrain hostile qu’installe *Barca Nostra *: la figure de l’hypotypose.

Celle-ci n’est effectivement pas loin d’agir sur le processus

représentationnel comme pourrait le faire une métaphore défunte, dans la

mesure où l’hypotypose substitue à la représentation une forme de

représentance. Cette notion est elle aussi due à Ricœur, qui la tire de la

« représentation-suppléance » (Vertretung) que Hans-Georg Gadamer

distingue de la représentation analogique (Vorstellung). Ce qui distingue

la représentance de cette dernière, écrit Ricœur, c’est qu’elle inscrit

l’histoire dans un rapport de « vis-à-vis, à savoir un passé tout à la

fois absolu et préservé dans ses traces » (Ricœur, 2007, p. 183).

55En d’autres termes, la représentance que l’hypotypose installe se

contente de mettre le temps passé face au temps présent selon un mode de

comparution qui n’est pas de l’ordre du déplacement analogique, mais de

l’ordre de la trace ou de l’indice. L’hypotypose ne résout donc pas la

crise de la désynchronisation qu’évoquait Revault d’Allonnes : elle

l’expose ; elle met sous les yeux la disjonction temporelle et le jeu qu’elle

provoque ; ce qui est une autre manière de penser la crise, moins

subjective, moins imaginative aussi. Car ce que la représentation

métaphorique donne à imaginer, l’installation hypotypique la donne à voir ;

l’une déplace les termes de la ressemblance, l’autre dépose les indices de

la dissemblance ; en sorte que l’artiste expose des preuves plutôt qu’une

œuvre, devient témoin davantage que traducteur, et fait du spectateur à sa

suite le témoin de son témoignage.

56L’hypotypose, en tant qu’elle est une figure-trace plus qu’une

figure-trope, présentifie davantage qu’elle ne représente, ou tout du moins

elle représente sur un mode intensif plus qu’extensif, selon ce vis-à-vis,

ce face-à-face où la distance s’amenuit – rapprochement dont cherche à

rendre compte la notion de représentance. C’est ce qui fait de l’hypotypose

une figure privilégiée non seulement de la représentation de la crise, mais

une figure symptomatique des crises de la représentation.

57Dans une situation qu’il est difficile de penser autrement que sous la

catégorie de la crise, et tout aussi difficile de considérer comme une

crise au sens catégorique du mot, puisqu’elle semble non seulement sans fin

mais sans échappée, pas même métaphorique donc, Barca Nostra coïncide

avec cette modernité nouvelle quoiqu’indésirable – et désespérante. Elle

coïncide avec elle tout en la portant à son point critique, en répliquant à

l’instauration de la crise, à son abstraction intéressée (Genova et

Tazzioli, 2016), par l’installation du scandale à travers non pas une

figure mais une trace.

58Nul doute, cela dit, qu’une autre métaphore du « naufrage avec

spectateur » pourrait surgir de cette réplique, lorsque l’imagination sera

parvenue à sortir de ce qui l’enraye – avec le temps. Cependant, à l’heure

des naufrages sans spectateurs ni témoins désormais, dans cet

entre-temps-là, cette métaphore-ci semble bel et bien appartenir, quant à

elle, au registre des vestiges d’un autre temps.

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BIBLIOGRAPHIE

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Ricœur Paul, 2005b [1986], L’idéologie et l’utopie, trad. M. Revault

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NOTES

1 https://journals.openedition.org/traces/15074#bodyftn1 La « dette

effective » que Blumenberg aurait contracté auprès de Nietzsche selon Marc

de Launay pourrait d’ailleurs se situer à ce niveau de « transposition »

conceptuelle – qui est la traduction d’Umbesetzung que donne Launay (voir

à ce sujet sa préface à Blumenberg, 1981, p. 7, et p. 120 pour l’occurrence

du terme traduit).

2 https://journals.openedition.org/traces/15074#bodyftn2 Le mot est d’un

certain Pélin au sujet d’un discours de Victor Hugo (cité dans Benjamin,

2002, p. 98).

3 https://journals.openedition.org/traces/15074#bodyftn3 Respectivement :

« Douceur, lorsque les vents soulèvent la mer immense, / D’observer du

rivage le dur effort d’autrui (Lucrèce, 1997, p. 115) ; « Nous voguons sur

un milieu vaste, toujours incertains et flottants, poussés d’un bout vers

l’autre » (Pascal, 2004, p. 157) ; « Derrière nous nous avons brisé le

pont, mieux, nous avons derrière nous brisé la terre » (Nietzsche, 1978,

p. 169).

4 https://journals.openedition.org/traces/15074#bodyftn4 Ainsi que le

signalent plusieurs participants audit colloque (Héran, p. 239 ; Thiollet,

p. 261 ; Agier, p. 317).

5 https://journals.openedition.org/traces/15074#bodyftn5 Lendaro et al.,

2019.

6 https://journals.openedition.org/traces/15074#bodyftn6 On ne peut que

contredire Baldine Saint-Girons sur ce point, lorsque, tout en saluant son

apport, elle avance que « Blumenberg manque cependant à [s]es yeux le

moment crucial qui fait passer la métaphore du registre philosophique et

moral à un registre esthétique, il est vrai problématique […] »

(Saint-Girons, 2006, p. 137) ; la « problématique » qui la retient n’est

cependant pas d’ordre épistémologique.

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POUR CITER CET ARTICLERéférence papier

Paul Bernard-Nouraud, « Représentations de la crise et crises de la

représentation. Du naufrage avec spectateur aux naufrages sans témoins

», *Tracés.

Revue de Sciences humaines*, 44 | 2023, 31-45.

Référence électronique

Paul Bernard-Nouraud, « Représentations de la crise et crises de la

représentation. Du naufrage avec spectateur aux naufrages sans témoins

», *Tracés.

Revue de Sciences humaines* [En ligne], 44 | 2023, mis en ligne le 01

novembre 2023, consulté le 17 juin 2024. URL :

http://journals.openedition.org/traces/15074 ; DOI :

https://doi.org/10.4000/traces.15074

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AUTEURPaul Bernard-Nouraud https://journals.openedition.org/traces/15139

Aix-Marseille Université, département des Arts

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