Représentations de la crise et crises de la représentation. Du naufrage
avec spectateur aux naufrages sans témoins
Representations of the crisis and crises of representation. From shipwreck
with spectator to shipwrecks without witnesses
*Paul Bernard-Nouraud *p. 31-45
https://doi.org/10.4000/traces.15074
FRANÇAIS https://journals.openedition.org/traces/15074#abstract-15074-fr
ENGLISH https://journals.openedition.org/traces/15074#abstract-15074-en
Cet article examine la relation entre les représentations de la crise – en
l’occurrence migratoire – et les crises de la représentation – notamment
celle de la métaphore du naufrage, dont Hans Blumenberg a retracé en 1979
la généalogie dans son ouvrage intitulé Naufrage avec spectateur. Il
s’agit d’y évaluer la façon dont cette métaphore apparaît désormais en
décalage avec la réalité actuelle, alors même qu’elle continue d’être
mobilisée afin de rendre compte de la crise en cours. En examinant dans un
premier temps ses usages récents, en particulier dans La crise sans fin de
Myriam Revault d’Allonnes, paru en 2012, on en revient au texte de
Blumenberg qui a identifié le moment où cette métaphore, longtemps utilisée
comme un repère moral, s’est progressivement « démoralisée » en
s’esthétisant durant le xviiie siècle. Or il apparaît désormais nécessaire
de « désartialiser » cette fois cette métaphore, en lui substituant par
exemple sa figure sœur qu’est l’hypotypose, afin de rendre compte non plus
des naufrages avec spectateur du passé, mais des naufrages sans témoins
d’aujourd’hui.
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ENTRÉES D’INDEX
Mots clés : crise migratoire https://journals.openedition.org/traces/15079
, représentation https://journals.openedition.org/traces/15084, métaphore
https://journals.openedition.org/traces/15089, naufrage
https://journals.openedition.org/traces/15094, hypotypose
https://journals.openedition.org/traces/15099, témoin
https://journals.openedition.org/traces/15104
Keywords: migration crisis https://journals.openedition.org/traces/15109,
representation https://journals.openedition.org/traces/15114, metaphor
https://journals.openedition.org/traces/15119, shipwreck
https://journals.openedition.org/traces/15124, hypotyposis
https://journals.openedition.org/traces/15129, witness
https://journals.openedition.org/traces/15134
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PLAN
Métaphoriser la crise, jusqu’à la résoudre
https://journals.openedition.org/traces/15074#tocto1n1
Esthétiser la métaphore, jusqu’à la démoraliser
https://journals.openedition.org/traces/15074#tocto1n2
Désartialiser la métaphore, jusqu’à la mettre en crise
https://journals.openedition.org/traces/15074#tocto1n3
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TEXTE INTÉGRAL
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https://journals.openedition.org/traces/15074
1Cet article procède du constat selon lequel une inadéquation s’est fait
jour entre certains cadres de pensée mobilisés dans la réflexion
contemporaine sur la crise et les réalités critiques que ces mêmes cadres
visent à appréhender. Il s’agit par conséquent d’y examiner la relation
entre les représentations de la crise – en l’occurrence migratoire – et les
crises de la représentation – notamment celle de la métaphore du naufrage,
dont Hans Blumenberg a retracé en 1979 la généalogie dans son ouvrage
intitulé Naufrage avec spectateur.
2Aussi s’agira-t-il d’examiner les raisons pour lesquelles cette figure a
acquis au cours des dernières années une place centrale dans la réflexion
contemporaine sur la crise, tant parmi les penseurs qui entendent se
confronter à la crise migratoire actuelle (Myriam Revault d’Allonnes
d’abord, Patrick Boucheron ensuite), que chez certains artistes (comme
Claudio Parmiggiani). La situation actuelle des naufrages de migrants, en
particulier dans l’espace méditerranéen mais pas seulement, oblige
cependant à confronter ces usages métaphoriques à la crise que connaît
l’Europe, qui rend ces usages problématiques à plusieurs titres.
3La distance qu’instaure cette métaphore avec la réalité actuelle compromet
en effet sa capacité à la décrire, et plus encore à la dénoncer, en sorte
qu’elle alimente plus qu’elle ne permet d’expliciter la crise de la
représentation dont s’alarment pourtant à bon droit celles et ceux qui y
ont recours. La distanciation qu’elle instaure les empêche d’apercevoir et,
partant, de concevoir que la crise présente ne ressortit plus à la
tradition métaphorique que dessinait jusque-là le motif du naufrage *avec
spectateur*, mais que cette crise lui a substitué une réalité critique qui,
à strictement parler, n’est ni tragique ni dramatique, mais bien impensable
faute de représentations appropriées : celle de naufrages sans témoins.
Métaphoriser la crise, jusqu’à la résoudre
https://journals.openedition.org/traces/15074#tocfrom1n1
4Il y a dix ans, La crise sans fin de Myriam Revault d’Allonnes s’ouvrait
sur le constat d’une disjonction entre, d’une part, le sens du « mot grec
krisis », signifiant « le jugement, le tri, la séparation, la décision »,
induisant, in fine, « la sortie de crise », et, d’autre part, le fait que
« la crise paraît aujourd’hui marquée du sceau de l’indécision voire de
l’indécidable », au point de devenir « permanente » (Revault d’Allonnes,
2012, p. 10).
5En rappelant une définition, tout en actant le fait que celle-ci n’était
plus adaptée au genre de crises qui traversent la modernité, la philosophe
définit très directement la démarche que l’on se propose de développer dans
les pages qui suivent. La principale objection qu’on lui oppose porte sur
le degré d’extension de la notion de modernité dont use Revault d’Allonnes
dans son essai, qui vise l’actualité sans finalement la toucher, puisque
son analyse s’arrête à la crise de la modernité au moment précis où elle
aurait dû se confronter à celle que l’actualité impose. Cela dit, cette
objection n’ôte rien au fait qu’en se maintenant à pareille hauteur de vue
sa réflexion jette un éclairage nécessaire sur les enjeux fondamentaux
qu’engage la critique des représentations en contexte de crise – au premier
rang desquels sa dimension temporelle.
6Selon Revault d’Allonnes, l’indéfinition de la crise dérive
fondamentalement d’un rapport perturbé au temps, qu’elle apparente « à un
processus de détemporalisation » (ibid., p. 13). Cette perturbation des
temporalités, cette « désynchronisation », affecte non seulement la
perception historique, mais aussi la capacité de l’action politique à
orienter l’histoire en lui fournissant un « horizon de sens unificateur » (
ibid., p. 14). Dans le contexte de la crise sans fin, « la politique – là
résidait sa capacité à unifier le temps – ne se manifeste plus sur le mode
de l’initiative : elle est devenue réactive » (ibid., p. 130).
7Mais cette réaction est à présent empêtrée dans la crise qu’elle s’efforce
de contenir. Devenue « le milieu de notre existence », écrit Revault
d’Allonnes, la crise s’est muée en « équivalent de l’indécidable » et
« est désormais la norme de notre existence » (ibid., p. 132). On n’a
plus affaire à une ou à plusieurs situations de crise, mais bien à une
condition critique circonvoisine de la condition moderne, déclare Revault
d’Allonnes, qui se demande en conséquence s’il s’agit « d’une rupture *de
(avec)* la modernité ou d’une rupture *dans *la modernité ? » (ibid.,
p. 133).
8Cette question prolonge explicitement les réflexions sur le même sujet
qu’avait amorcées Paul Ricœur dans les années 1980 en remontant pour sa
part plus haut encore dans le temps. C’est en effet dans le théâtre
élisabéthain – marqué par la célèbre lamentation de Hamlet s’écriant que
« le temps est hors de ses gonds » et se maudissant « d’être né, [lui],
pour le faire rentrer dans l’ordre » –, que Ricœur repère l’amorce de ce
« phénomène spécifiquement moderne » (Ricœur, 1988), où « la Crise a
remplacé la Fin » (Ricœur, 2005a, p. 49).
9On pressent qu’en s’inscrivant dans cette lignée, Revault d’Allonnes
conserve à la modernité une extension qui laisse paradoxalement peu
d’espace à l’actualité, c’est-à-dire aussi à cette part d’imprévisible qui
en rompt potentiellement la tradition. En sorte que si la prémisse de
l’indissociabilité de la crise et de la modernité lui imposait de ne pas
rechercher de nouvelle fin à la crise, elle l’invitait néanmoins à
déceler dans le détour métaphorique un moyen de réinvestir la modernité
d’un projet. Un détour qui lui était cette fois offert non plus seulement
par Ricœur, qui avait rappelé les puissances herméneutique et heuristique
de « la métaphore vive » (Ricœur, 1997), on y reviendra, mais par Hans
Blumenberg.
10C’est en effet à partir de la métaphorologie de ce dernier que Revault
d’Allonnes opère, dans le quatrième et dernier chapitre de son livre, la
jonction entre les trois termes fondant son analyse : crise, métaphore et
modernité (Revault d’Allonnes, 2012, p. 155). Afin de saisir le sens
qu’elle donne à cette opération, il convient de rappeler brièvement comment
Blumenberg conçoit les relations entre l’activité philosophique et la
tropologie métaphorique, et plus particulièrement celles que déploie la
métaphore du naufrage avec spectateur.
11La réflexion épistémologique qu’a développée le philosophe dans les
années 1960 s’intéresse en effet au rôle que remplissent les configurations
métaphoriques dans l’élaboration des représentations conceptuelles. Un rôle
d’arrière-plan et d’orientation de la conceptualisation, suggère
Blumenberg, où les métaphores se caractérisent, vis-à-vis de l’activité de
pensée, par leur nature tour à tour résiduelle et anticipatoire.
12Dans le premier cas, elles sont « des vestiges dans le cheminement qui va
du mythos au logos » ; dans le second, des sauts par lesquels
« l’esprit s’anticipe lui-même dans ses images » (Blumenberg, 2006, p. 12).
Dans l’un comme dans l’autre, insiste le philosophe, « la métaphore est un
objet essentiellement historique » (ibid., p. 24), révélant
l’historicité de l’activité représentationnelle elle-même, et cela jusque
dans les crises qui la traversent ; on reviendra dans la deuxième partie
sur cette histoire de la métaphore du naufrage avec spectateur, en l’espèce
sur la période où elle devient problématique en passant dans le registre
esthétique.
13Un changement d’époque n’implique pourtant pas, selon Blumenberg, que
tous les cadres permettant de se représenter le changement s’effondrent
avec l’ère qui s’achève, ne serait-ce que parce qu’il est toujours possible
de recourir de nouveau au détour métaphorique. Ce n’est pas la situation de
l’homme qui est « potentiellement métaphorique », soutient même le
philosophe, « mais d’emblée sa constitution » (Blumenberg, 2010, p. 127).
En vertu de cette disposition anthropologique, on assiste alors plutôt à ce
qu’il désigne comme un « réinvestissement » desdits cadres afin de pouvoir
justement se représenter la situation historique du changement comme celle
de la période en question.
14Blumenberg avance en ce sens que « le concept de “réinvestissement” (
Umbesetzung) désigne une implication en vertu de laquelle un minimum
d’identité doit encore pouvoir être trouvé, ou du moins présupposé et
cherché au sein même de la plus grande agitation historique. » Ce « minimum
d’identité », l’activité métaphorique peut justement permettre de le
retrouver et de le conserver, y compris (et peut-être même surtout) lorsque
survient « la plus grande agitation historique » (Blumenberg, 1999, p. 529)
– quand éclate la crise.
15Sous ce rapport, l’une des métaphores entretenant l’affinité la plus
marquée avec ce type d’événements est donc celle du naufrage avec
spectateur, à laquelle Blumenberg a consacré une étude séparée. Elle
constitue à ses yeux rien moins qu’« un paradigme d’une métaphore de
l’existence ». Le philosophe relève en effet que si « l’homme conduit sa
vie et établit ses institutions sur la terre ferme », en revanche,
lorsqu’« il cherche à saisir le mouvement de son existence dans sa totalité
il a recours de préférence aux métaphores du voyage en mer et de ses
risques » (Blumenberg, 1994, p. 9). L’inquiétude qu’une telle recherche ne
peut manquer de susciter chez celui qui l’entreprend trouve toutefois une
compensation dans sa « faculté de garder ses distances ». Autrement dit,
dans sa capacité, vis-à-vis du naufrage auquel sa quête l’expose en
imagination, à « pouvoir être spectateur » (ibid., p. 22).
16Un refuge bien précaire, précise cependant Blumenberg en s’appuyant sur
Nietzsche, pour qui « la terre ferme n’est pas la position du spectateur,
c’est celle du rescapé » (du « Schiffbrüchigen » dans l’original allemand
de Schiffbruch mit Zuschauer, mot que « naufragé » rendrait peut-être ici
avec plus de clarté pour l’analyse). Paradoxalement donc, « le sentiment de
sa solidité [celle de la terre ferme] repose uniquement sur le fait qu’il
semble invraisemblable [ou improbable, unwahrscheinlich] de pouvoir
jamais l’atteindre » (ibid., p. 28).
17Il est tout à fait remarquable à cet égard – et éclairant pour la suite
de l’interprétation que l’on propose – que, dans l’exégèse de Nietzsche à
laquelle se livre par ailleurs Blumenberg, la métaphore du rivage occupe la
même position dialectique que celle réservée au concept de vérité : il
semble insupportable d’accéder à la vérité. L’homme ne peut le supporter
car « la vérité est laide », affirme Nietzsche, qui ajoute : « Nous avons l’
art afin de ne pas mourir de la vérité » (cité dans Blumenberg, 2022,
p. 18).
Nietzsche selon Marc de Launay po (…)
https://journals.openedition.org/traces/15074#ftn1
18Non pas que « l’art qui permet d’acquiescer à la vie en dépit de la
laideur de la vérité » soit « une manière de voiler ce qui est
insupportable », précise Blumenberg, mais parce qu’« il anticipe ainsi
quelque chose qui n’existe pas encore » (*ibid*., p. 19), quelque chose
qu’il rend ainsi accessible, fût-ce imaginativement. Or cette qualité
d’anticipation que Nietzsche accorde à l’art, on a vu que Blumenberg la
prêtait précisément au second type de métaphores qu’il étudie1
https://journals.openedition.org/traces/15074#ftn1. Chez l’auteur du *Gai
savoir*, la métaphore du « naufragé avec spectateur » permet de rendre
vraisemblable l’espoir d’accéder au rivage, de même que l’art rend
supportable la vérité, y compris dans le cas où elle s’avère désespérante.
19Mais Blumenberg pousse quant à lui un peu plus loin l’apparentement non
des vecteurs (art et métaphore) mais des thèmes que ceux-ci véhiculent
(naufrage et vérité). Cette fois d’après sa lecture de Kierkegaard, il
allègue en effet que l’accès à la vérité nue – que Nietzsche juge « laide »
en partie à raison de cette nudité – passe lui aussi par une mise à nu,
celle du « naufragé qui n’a pu atteindre le rivage salvateur qu’en
abandonnant ses vêtements, mais qui doit désormais acquitter le prix de son
désarroi visuel alors qu’il est sain et sauf » (*ibid*., p. 231-232). À
ce stade, le thème du « naufrage avec spectateur » ne possède plus
seulement une valeur existentielle de l’ordre du viatique ; Blumenberg lui
attribue de surcroît une fonction médiatrice qui la place au cœur de
l’activité philosophique par excellence, celle de la recherche de la vérité.
20Ce trop bref excursus par la pensée blumenbergienne permet néanmoins de
deviner les ressources qu’elle fournit à la résolution de *La crise sans
fin*. En ouverture du dernier chapitre, Revault d’Allonnes soutient ainsi
que « la métaphore de la navigatio vitæ demande alors à être réinvestie
dans une nouvelle variante » afin, précise-t-elle, de « savoir si nous
sommes voués à dériver comme le malheureux naufragé qui s’accroche à sa
planche ou à son radeau ou bien si nous pouvons transformer cette errance
sur la mer de la vie en une autre situation existentielle : celle qui
consiste à accepter de naviguer dans l’incertitude et l’inachèvement, d’y
construire et d’y réparer les bateaux » (Revault d’Allonnes, 2012,
p. 186-187).
(cité dans Benjamin, 2002, p. (…)
https://journals.openedition.org/traces/15074#ftn2
21La gêne que ces lignes sont susceptibles d’introduire dans l’esprit de
celui qui les lit aujourd’hui ne tient pas tant au fait que son autrice y
fait « suer la métaphore »2
https://journals.openedition.org/traces/15074#ftn2, comme on dit, mais
parce que celle-ci paraît, au bout du compte, déplacée – historiquement, et
donc actuellement déplacée. En n’interrogeant pas l’historicité de la
métaphore qu’elle convoque, et en ne l’arrimant pas davantage à une réalité
historique, Revault d’Allonnes la met en porte-à-faux avec une partie au
moins de la crise actuelle.
22Bien entendu, on ne saurait reprocher a priori à une philosophe de
vouloir penser la crise, fût-elle moderne, sans s’arrêter sur une crise en
particulier. On ne peut toutefois manquer d’éprouver un certain malaise
(qu’il s’agira bientôt de qualifier) à la voir s’approcher si près de la
crise des naufrages de migrants par le moyen d’une métaphore à laquelle
l’actualité renvoie nécessairement, et s’en éloigner tout aussi brusquement
par ce même moyen. Ce retournement conduit à formuler l’hypothèse
passablement soupçonneuse qu’en mentionnant cette crise-là, celle de
naufrages sans témoins, Revault d’Allonnes aurait dû renoncer à la
métaphore du naufrage avec spectateur pour être en mesure de penser jusque
dans son actualité la crise des temps modernes dont elle est issue.
immense, / D’observer du rivage le (…)
https://journals.openedition.org/traces/15074#ftn3
23Un soupçon analogue pèse sur le raisonnement voisin qui amène Patrick
Boucheron à subsumer, sous couvert de l’y élever, la situation actuelle à
une condition métaphysique, en passant lui aussi par la voie métaphorique,
et, en l’occurrence, en recourant également à la métaphore de Blumenberg.
En conclusion de rencontres universitaires que le Collège de France
consacra en 2016 aux migrations, l’historien revient sur le « livre
puissant et dérangeant, en réalité puissamment dérangeant » (Boucheron,
2017, p. 385), qu’est Naufrage avec spectateur. Relisant Lucrèce à son
aune, puis, successivement, à la lumière de Pascal et, lui aussi, de
Nietzsche3 https://journals.openedition.org/traces/15074#ftn3, Boucheron
en déduit que l’on supporte le spectacle du naufrage, non pas « parce que
nous prenons plaisir au malheur d’autrui, mais parce que nous sommes
nous-mêmes des rescapés » (ibid., p. 386).
24Or, non. « Nous » ne pouvons être des « rescapés » métaphoriquement que
tant que les naufragés ne le sont pas actuellement. Sinon, la métaphore du
naufrage devient un mirage conceptuel, et toutes les représentations qui
s’y rattachent, qu’elles soient théoriques ou plastiques, s’en trouvent
faussées, pour ne pas dire qu’elles se défaussent de la réalité dont elles
entendent rendre compte.
p. 239 ; Thiollet, p. 261 ; A (…)
https://journals.openedition.org/traces/15074#ftn4
25Le problème est d’autant plus épineux que Boucheron s’alarme de
l’inadéquation des représentations communes sur le sujet, et appelle à y
remédier en produisant une « description réaliste » de la situation
actuelle, conscient qu’il est que « la crise des migrants met en défaut
notre capacité de représentation » (ibid., p. 386-387). Mais toute sa
démonstration paraît décidément entravée par ce « nous » qui la motive. (Ce
que trahit incidemment l’expression, en soi problématique, de « crise des
migrants », préférée à celle, par exemple, de « crise de l’Europe »4
https://journals.openedition.org/traces/15074#ftn4, ou de « crise de
l’accueil »5 https://journals.openedition.org/traces/15074#ftn5).
26Ce dernier indice semble confirmer que l’usage de la métaphore, qui
permettrait de surmonter, sinon la crise, du moins de se la représenter,
que cet usage semble obéir, chez Boucheron comme chez Revault d’Allonnes, à
une logique d’appropriation et de compréhension, au sens premier du
terme. La représentation métaphorique doit d’abord permettre de faire nôtre
cette crise avant de (pouvoir) la penser, semblent-ils dire, évacuant du
même coup l’appréhension qu’elle suscite, avec la charge de crainte et de
réticences que devrait induire l’intention de représenter une telle
situation, en tant que la crise de la représentation est inextricablement
liée à la représentation de la crise. De fait, l’enjeu éthique que
soulèvent ces questions ne peut être pleinement exploré que dans sa liaison
à l’esthétique, c’est-à-dire en évaluant combien cet enjeu est à la fois
historiquement et esthétiquement déterminé.
Esthétiser la métaphore, jusqu’à la démoraliser
https://journals.openedition.org/traces/15074#tocfrom1n2
27Compte tenu de ce qui précède, il n’y a rien de surprenant à ce que
certaines analyses qu’a proposées antérieurement Revault d’Allonnes
permettent là aussi de jeter les bases d’une telle exploration. On se
contentera de se demander à nouveau dans quelle mesure l’attention aiguë
qu’elle porte à semblables nœuds critiques lorsqu’ils proviennent du passé
freine leur extension intellectuelle aux cas présents.
28Dans un tout autre contexte, la philosophe a en effet qualifié de « crise
de l’identification » les situations où « l’imagination du semblable » fait
défection (Revault d’Allonnes, 1999, p. 555-556). Considérant l’exemple de *Si
c’est un homme* de Primo Levi au regard de la conception aristotélicienne
de la tragédie, la philosophe démontre ainsi combien « une histoire
représentant le malheur d’un juste est moralement monstrueuse », et
« relève d’un invraisemblable éthique qui excède la situation tragique » (
ibid., p. 561).
29Le passage de la *Poétique *sur lequel Revault d’Allonnes s’appuie énonce
en effet qu’un tel « spectacle n’inspire ni crainte ni pitié mais
répugnance », en sorte qu’il « est de tous les cas le plus éloigné du
tragique » (Aristote, 2005, p. 100), et, pourrait-on ajouter, du
métaphorique, parce qu’alors ne restent plus, sous les yeux du spectateur,
que des dissemblances et de l’inimaginable. Dans pareilles circonstances,
la crise de l’identification se double d’une crise de la représentation, en
ce qu’elle produit de l’irreprésentable. Certes, il s’agit encore d’un
irreprésentable pour « nous », mais, en l’espèce, ce « nous » est égal : il
n’est pas le sujet. Ce n’est donc pas seulement la victime qui sort de
« scène », mais la présence elle-même du spectateur qui devient obscène,
dès lors que le spectaculaire fait pièce au tragique proprement dit.
30Cette issue déploie une dimension transhistorique qui permet d’en deviner
d’emblée l’actualité. Mais elle revêt aussi une valeur historique et
épistémologique qu’il convient de ne pas négliger afin d’aborder l’examen
de la situation présente de la manière la plus informée possible. Car le
transfert de la métaphore du naufrage avec spectateur du domaine de
l’éthique à celui de l’esthétique correspond à un moment précis de
l’histoire européenne des représentations conceptuelles sur lequel il
convient donc de revenir – en revenant justement à un passage de *Naufrage
avec spectateur*.
lorsque, tout en saluant son apport, (…)
https://journals.openedition.org/traces/15074#ftn6
31Blumenberg repère en effet qu’une mutation considérable se produit en
Europe vers le milieu du xviiie siècle, à l’issue de laquelle « le
spectateur de Lucrèce a perdu sa dimension morale, il est devenu
“esthétique” » (Blumenberg, 1994, p. 49). Un changement d’autant plus
notable de son point de vue qu’il en vient à étioler l’efficacité éthique
de la métaphore du naufrage elle-même. L’observation de Blumenberg est
cependant bien moins spécifique qu’il n’y paraît6
https://journals.openedition.org/traces/15074#ftn6. Elle engage au
contraire tout un pan du modernisme esthétique que l’on ne peut ici que
résumer en convoquant tour à tour l’histoire des sensibilités, la théorie
et l’histoire de l’art, et, nécessairement, l’esthétique, en particulier
celle du sublime. Une variété de perspectives qui, dans les discours comme
dans les pratiques de l’époque, se recoupent et confirment le diagnostic de
Blumenberg.
32C’est ainsi qu’en plein siècle des Lumières, tandis que le « grand
spectacle de la Mer » (La Font de Saint-Yenne, 2001, p. 76) commence à se
décliner en marines, « le naufrage se hisse désormais sans pudeur au statut
de spectacle » (Corbin, 1990, p. 277). Simultanément, fait son apparition,
sur la scène artistique et critique, « ce personnage décisif : le
spectateur en sa jouissance » (Arasse, 2017, p. 19). Celui-ci acquiert – à
partir de là et pour longtemps – une « place » nouvelle, que Michael Fried
a décrite comme relevant d’une forme d’anti-théâtralité dans la mesure où
les peintures de cette époque se spécifient – et, ce faisant, signalent
leur modernité – par leur propension à mettre en scène des personnages
absorbés dans leurs occupations (Fried, 1990). Comme au théâtre nouveau
qu’appelle Denis Diderot de ses vœux, les spectateurs se trouvent tout à
coup cantonnés, face à la mer déchaînée en représentation, au rang de
« témoins ignorés de la chose » (Diderot, 2005, p. 205), en ce que la chose
se détache d’eux comme eux d’elle, c’est-à-dire en prenant leur distance.
33« Comme au théâtre », ou, plus génériquement, comme au spectacle que
constitue désormais la métaphore étiolée du naufrage avec spectateur, la
représentation artistique empruntant sa modernité à cet étiolement où,
désormais, l’œuvre fait figure de naufrage. Pareille relation esthétique
possède, de surcroît, une force d’attraction d’autant plus irrésistible
pour le spectateur moderne qu’elle lui octroie une contemplation
alternativement distanciée de son objet et confondue avec lui. Autrement
dit, une vision consciente d’elle-même, y compris lorsque le spectateur
« plonge » en elle et « sombre » avec elle pour s’abandonner à la vision
pure (Imdahl, 1996, p. 86), et tisser entre l’œuvre et lui « un lien encore
plus profond » (Jollet, 1998, p. 126).
34Un mot permet d’envisager l’apparente contradiction contenue dans la
relation à l’œuvre-naufrage qu’instaure l’esthétique des Lumières : le mot
de « fiction ». Deux philosophes britanniques l’introduisent d’ailleurs la
même année dans leurs discussions respectives sur la tragédie, avant que
Samuel Coleridge ne la récapitule en 1817 dans la célèbre formule d’une
« suspension délibérée de l’incrédulité » (willing suspension of disbelief),
déterminant, commente Ricœur, « la “bonne” distance à l’œuvre […] où
l’illusion devient tour à tour irrésistible et intenable » (Ricœur, 2007,
p. 309) ; comme le spectacle d’un naufrage.
35Edmund Burke, avant Coleridge, avait indexé le pouvoir de la tragédie à
sa propension à s’éloigner « de toute idée de fiction », tout en admettant
que, quel que soit son pouvoir, « il n’atteindra jamais celui de la réalité
qu’elle représente » (Burke, 1998, p. 92). David Hume, de son côté, postule
au même moment qu’une « certaine conscience de l’irréalité du spectacle que
nous percevons accompagne toujours l’ensemble de ce que nous voyons », en
sorte que l’affliction qu’elle provoque « la transforme en plaisir », dès
lors que, tout en pleurant « l’infortune d’un héros […], nous nous
réconfortons nous-mêmes à l’idée que ceci n’est qu’une fiction » (Hume,
2000, p. 113-114).
36Avec l’esthétique moderne, qui s’élabore dans la seconde moitié du
xviiie siècle
en prenant la fiction pour blanc-seing, le spectateur ne craint plus de
s’abîmer dans le naufrage devenu image. C’est alors que la métaphore perd
tout à fait cette dimension existentielle de soutien moral qu’elle avait
commencé à perdre en s’esthétisant. La revalorisation de la notion de
sublime, qui point elle aussi à cette époque, participe de ce mouvement :
elle rejoue le thème de l’instabilité de l’existence terrestre en se jouant
de la métaphore océanique jusqu’à faire pénétrer l’horreur dans le registre
du jugement esthétique (Burke, 1998, p. 101).
37La subreption est d’autant plus réussie que même ceux qui en récusent le
principe, en jugeant par exemple, dans la lignée d’Aristote, que la vision
du « vaste océan, soulevé par la tempête », n’est pas sublime mais
« horrible » (Kant, 1995, p. 227), n’ont d’autre alternative que de lui
opposer la même figure, en rappelant que le naufragé ne jouit ni du sublime
ni du jugement qui en découle, possibilités qui reviennent exclusivement au
spectateur contemplant le drame depuis le rivage (Schiller, 2005, p. 46).
38Une certaine conception du sublime demeure attachée à ce moment
historique où la démoralisation s’allie à l’esthétisation de la métaphore ;
une conception en laquelle se trouvent certainement, pour toutes ces
raisons, les ferments d’un « malaise esthétique [qui] est aussi vieux que
l’esthétique elle-même », en ce qu’elle « est la pensée du désordre
nouveau » (Rancière, 2004, p. 21-23) dont ce malaise est issu. Mais si la
crise de la représentation actuelle dérive encore du malaise esthétique
introduit à l’aube de la modernité, c’est précisément parce que la coupure
qu’il a instituée apparaît aujourd’hui comme une blessure, en sorte que,
face au naufrage, la position du spectateur n’est plus tenable, non plus
que la métaphore qui la faisait tenir.
Désartialiser la métaphore, jusqu’à la mettre en crise
https://journals.openedition.org/traces/15074#tocfrom1n3
39En 2009, l’artiste italien Claudio Parmiggiani conçut une action
artistique intitulée Naufrage avec spectateur. Depuis le port sarde
d’Alghero, il fit convoyer une ancienne embarcation de pêche baptisée
Carrara jusqu’à l’église du couvent de l’Annonciation de Morsiglia, au
nord de la Corse. Après avoir découpé dans le sens de la longueur les près
de quinze mètres de sa carcasse, il en disposa les trois sections égales au
centre de la nef. L’opération de déplacement et de découpe de la barque
acte, écrit Anne Alessandri, « sa transformation d’objet en œuvre »
(Parmiggiani, 2009, p. 11-12). L’artiste réalise alors ce « geste
inconcevable », selon elle, d’avoir déplacé le bateau « là d’où l’on
pourrait le voir s’abîmer dans une tempête » (ibid., p. 12), c’est-à-dire
depuis l’édifice surplombant le cap Corse.
40Ce renversement de perspective, observe quant à lui Federico Ferrari,
marque en réalité l’abolition de cette dernière, c’est-à-dire de la
« distance entre le spectateur et le naufrage » qu’annule de facto
Parmiggiani en éloignant le bateau de la mer pour rapprocher le spectateur
de son épave – l’œuvre. Ferrari comprend que ce « naufrage » s’insère alors
« dans la métaphore de la tradition dont Blumenberg a si bien retracé
l’histoire », mais qu’il « fait en même temps beaucoup plus que prolonger
une métaphore – il fracture l’histoire, l’interrompt et la désarticule » (
*ibid*., p. 16). À première vue, cette désarticulation correspondrait à
une forme de désartialisation dans la mesure où l’activité artistique
– comme métaphorique – consiste à articuler le divers (Payot, 1997, p. 75).
Reste que la réunion du spectateur et du naufrage en un lieu (voire leur
communion en ce lieu) ménage au spectateur une place, fût-elle déplacée,
et par conséquent un monde partagé.
41Il est vrai, cependant, que cette fonction de rattachement mondain que
Parmiggiani impartit à l’espace localisé (Didi-Huberman, 2001, p. 143)
suggère qu’en lui-même l’objet œuvré – devenu œuvre parce que délocalisé –
n’entretient plus de relation immédiate au monde, qu’il en est clivé. Mais
Roland Recht avance à ce sujet que c’est précisément en raison de ce
clivage (Spaltung) que les expériences esthétiques que propose
Parmiggiani incitent nécessairement à l’investigation herméneutique : afin
de renouer un lien, d’élucider « un sens caché » (Recht, 2009, p. 235) que
l’image recèle en se détournant du réel par le moyen de la métaphore,
voire, en l’occurrence, par celui de la métamorphose, même réduite à un
travail de découpe.
42En définitive, avec Naufrage avec spectateur, Parmiggiani met davantage
en œuvre qu’à l’épreuve la métaphore dont Blumenberg a retracé l’évolution
théorique. En soumettant le spectateur à la représentation de l’épave au
lieu de soumettre celle-ci à son regard, il le déplace, certes, sans lui
dénier pour autant sa légitimité à être là. D’autant moins, en réalité, que
sa présence est une incitation à résoudre le sens de la métamorphose qui
lui est donnée à voir, comme la crise appelait le théoricien à rechercher
dans la métaphore une voie pour sa résolution.
43En 2019, sous le titre Barca Nostra Project, l’artiste suisse Christoph
Büchel s’engagea dans un projet en apparence comparable à celui de
Parmiggiani. Il s’agissait d’acheminer, cette fois depuis la Sicile,
l’épave d’un chalutier sans nom jusqu’à l’un des quais de l’Arsenal de
Venise durant la Biennale d’art contemporain. La comparaison, pourtant,
s’arrête là. De la métaphore, Büchel n’a gardé, en effet, que le principe,
celui d’un déplacement, et rien de la métamorphose puisqu’il n’est
intervenu en aucune façon sur l’épave, sinon pour la déposer en un lieu,
certes traditionnellement lié à l’activité navale et artistique de la
ville, mais ouvert à tous égards, sans lui adjoindre non plus d’éléments
explicatifs, et en l’abandonnant là pour une durée indéfinie.
44Dans ces conditions, les spectateurs de cette installation n’étaient
d’aucune façon invités à projeter sur elle leur attention herméneutique,
n’ayant sous les yeux qu’un objet littéralement désœuvré. Seuls ce
désœuvrement et cette littéralité pouvaient éventuellement les conduire,
non pas à imaginer ce que pouvait être cette épave, mais à la reconnaître
pour ce qu’elle était, ou du moins pour ce qu’elle avait été.
45Quatre ans plus tôt, dans la nuit du 18 au 19 avril 2015, ce bateau
anonyme avait coulé au large de la Libye avec huit cents personnes
migrantes à son bord, desquelles vingt-huit seulement survécurent. Le
président du Conseil italien de l’époque ordonna son renflouement afin de
permettre l’identification des victimes et avec l’intention de l’exposer
devant le siège des institutions de l’Union européenne qui venait de mettre
un terme à l’opération de sauvetage en Méditerranée baptisée « Mare
Nostrum » (Cattaneo, 2019 ; Tervonen, 2019).
46Dans un contexte d’invisibilisation croissante et institutionnalisée des
disparitions en mer de migrants (Collectif Babels, 2017), que l’ironie de
l’actualité associe à une survisibilisation aléatoire des migrants assignés
à leur état de naufragés (Bensaâd, 2015 ; Hellio, 2019), dans une situation
de crise, donc, où les naufrages se produisent désormais en l’absence de
spectateurs véritables, le résultat de ce naufrage en particulier aurait
dû, au départ, être présenté à des spectateurs politiques, auxquels Büchel
a finalement substitué des spectateurs artistiques. Mais il l’a fait en les
privant du même coup du confort de la jouissance esthétique aussi bien que
du réconfort de l’innocence politique, c’est-à-dire, en toute fin de
compte, en les destituant de leur place de spectateur et en leur déniant
l’usufruit de l’héritage théorique qui l’avait assise (Bernard-Nouraud,
2022).
47On déduit de cette comparaison entre les deux propositions artistiques
qu’une certaine conception métaphorique et métamorphique de l’œuvre d’art
ne semble plus en mesure de redécrire cette réalité. Cela y compris dans sa
forme minimale, comme dans la représentation latérale de la réalité que
propose Parmiggiani, là où sa représentation littérale, sous l’aspect de
l’installation de Büchel, se mesure effectivement à elle ; sans qu’il soit
dit qu’elle y parvienne, ni même qu’elle ambitionne d’atteindre autre chose
que l’intuition d’une incommensurabilité de la chose à l’événement qu’elle
rappelle (et cela sans le secours du sublime). Quoi qu’il en soit, ce qui
distingue Barca Nostra de Naufrage avec spectateur tient non seulement
au fait qu’il évoque une situation de crise et non une condition critique,
mais que la présence de l’épave – à cet endroit-là et à ce moment donné –
installe la crise.
48Certes, comme le rappelle Claire Bishop, toute installation artistique
expose une présentation en lieu et place d’une représentation, et provoque,
ce faisant, un décentrement doublé d’une activation du spectateur, qu’elle
désigne, quant à elle, par le terme de « regardeur » (viewer) (Bishop,
2005, p. 11). Mais l’installation de Büchel est à ce point dénuée d’art
que, tout en convoquant le naufrage, elle bloque l’échappée métaphorique
qu’elle pourrait susciter et offusque jusqu’au regard, précisément, qui
pourrait être porté sur elle. À la configuration, elle oppose la
confrontation, et laisse le spectateur, non pas songeur, imaginatif encore,
mais littéralement interloqué, pour ne pas dire interdit.
49De façon négative, Barca Nostra met ainsi en évidence – tout en
l’éradiquant du même coup – le germe d’utopie sur lequel Revault d’Allonnes
fondait plus ou moins tacitement son recours à la métaphore du *Naufrage
avec spectateur* dans les dernières pages de La crise sans fin. L’idée
selon laquelle, face à la crise, le détour métaphorique et l’écart utopique
offrent l’occasion d’un sursaut conceptuel trouve chez elle sa légitimité à
la fois dans la pensée de Hannah Arendt et de nouveau dans celle de Ricœur,
dont Revault d’Allonnes fut aussi la traductrice, notamment quand ce
dernier écrivit directement en anglais.
50Réfléchissant à la fonction politique du jugement kantien, Arendt
entreprend une revalorisation de la place du spectateur qui seul,
écrit-elle, « occupe une position qui lui permet de voir la scène dans son
entier » (Arendt, 2003, p. 89), et seul peut juger consciemment de manière
impartiale. Sa qualité de « citoyen du monde » repose alors sur sa place de
« spectateur du monde » (*ibid*., p. 116). En d’autres termes, ceux de
Revault d’Allonnes cette fois, « l’intervention, non agissante au sens
strict, des spectateurs dans le monde commun ne désigne pas une position de
repli mais, à l’inverse, une extension de la responsabilité politique » (
*ibid*., p. 240), en particulier dans les situations les plus critiques
qui exigent, pour pouvoir être jugées, d’être tenues à bonne distance en
adoptant pour ce faire à leur égard une posture de retrait.
51C’est uniquement dans ces conditions que le jugement est permis, et, à
partir de là, son déploiement en une configuration alternative
contre-idéologique de type utopique, selon l’opposition qu’explicite Ricœur
lorsqu’il soutient que « la fonction positive de l’utopie est d’explorer le
possible, ce que Ruyer appelle “les possibilités latérales du réel” »
(Ricœur, 2005b, p. 407). Des possibilités qui sont poétiquement offertes
par la métaphore en ce qu’il revient précisément à celle-ci d’explorer les
possibles comme elle le fait des ressemblances, et de produire une vérité
où étant et non-étant cohabitent. Pour Ricœur, en effet, « le paradoxe
consiste en ceci qu’il n’est pas d’autre façon de rendre justice à la
notion de vérité métaphorique que d’inclure la pointe critique du “n’est
pas” (littéralement) dans la véhémence ontologique du “est”
(métaphoriquement) » (Ricœur, 1997, p. 321).
52Le philosophe pense au niveau conceptuel, et juge par conséquent qu’un
des aboutissements de ce paradoxe tient à sa propension à parvenir à ce
niveau. À ses yeux donc, « raviver la métaphore, c’est démasquer le
concept » (*ibid*., p. 363), en ce que « la métaphore n’est pas vive
seulement en ce qu’elle vivifie un langage constitué. La métaphore est vive
en ce qu’elle inscrit l’élan de l’imagination dans un “penser plus” au
niveau du concept » (*ibid*., p. 384).
53Or, ce que l’installation de Büchel oblige à penser à présent, c’est une
métaphore, non pas morte, comme Ricœur la craint, mais défunte,
c’est-à-dire privée de son fonctionnement. C’est-à-dire une figure
artistique qui compromet certes les possibles et obère le procès conceptuel
– ce qui n’est pas rien –, mais une modalité d’appréhension qui ne produit
pas pour autant de l’impensé. Elle se contente, si l’on peut dire,
d’insinuer de l’impensable, de l’inconcevable, de l’impossible ; quelque
chose de l’ordre de « l’invraisemblable éthique », dont parle Revault
d’Allonnes, qu’il s’agit par conséquent de repenser, et pour cela de se
représenter autrement, peut-être par d’autres voies que métaphoriques.
54Il existe en effet une « figure » de la littéralité capable de relayer de
manière pertinente pour l’analyse celle de la latéralité métaphorique sur
le terrain hostile qu’installe *Barca Nostra *: la figure de l’hypotypose.
Celle-ci n’est effectivement pas loin d’agir sur le processus
représentationnel comme pourrait le faire une métaphore défunte, dans la
mesure où l’hypotypose substitue à la représentation une forme de
représentance. Cette notion est elle aussi due à Ricœur, qui la tire de la
« représentation-suppléance » (Vertretung) que Hans-Georg Gadamer
distingue de la représentation analogique (Vorstellung). Ce qui distingue
la représentance de cette dernière, écrit Ricœur, c’est qu’elle inscrit
l’histoire dans un rapport de « vis-à-vis, à savoir un passé tout à la
fois absolu et préservé dans ses traces » (Ricœur, 2007, p. 183).
55En d’autres termes, la représentance que l’hypotypose installe se
contente de mettre le temps passé face au temps présent selon un mode de
comparution qui n’est pas de l’ordre du déplacement analogique, mais de
l’ordre de la trace ou de l’indice. L’hypotypose ne résout donc pas la
crise de la désynchronisation qu’évoquait Revault d’Allonnes : elle
l’expose ; elle met sous les yeux la disjonction temporelle et le jeu qu’elle
provoque ; ce qui est une autre manière de penser la crise, moins
subjective, moins imaginative aussi. Car ce que la représentation
métaphorique donne à imaginer, l’installation hypotypique la donne à voir ;
l’une déplace les termes de la ressemblance, l’autre dépose les indices de
la dissemblance ; en sorte que l’artiste expose des preuves plutôt qu’une
œuvre, devient témoin davantage que traducteur, et fait du spectateur à sa
suite le témoin de son témoignage.
56L’hypotypose, en tant qu’elle est une figure-trace plus qu’une
figure-trope, présentifie davantage qu’elle ne représente, ou tout du moins
elle représente sur un mode intensif plus qu’extensif, selon ce vis-à-vis,
ce face-à-face où la distance s’amenuit – rapprochement dont cherche à
rendre compte la notion de représentance. C’est ce qui fait de l’hypotypose
une figure privilégiée non seulement de la représentation de la crise, mais
une figure symptomatique des crises de la représentation.
57Dans une situation qu’il est difficile de penser autrement que sous la
catégorie de la crise, et tout aussi difficile de considérer comme une
crise au sens catégorique du mot, puisqu’elle semble non seulement sans fin
mais sans échappée, pas même métaphorique donc, Barca Nostra coïncide
avec cette modernité nouvelle quoiqu’indésirable – et désespérante. Elle
coïncide avec elle tout en la portant à son point critique, en répliquant à
l’instauration de la crise, à son abstraction intéressée (Genova et
Tazzioli, 2016), par l’installation du scandale à travers non pas une
figure mais une trace.
58Nul doute, cela dit, qu’une autre métaphore du « naufrage avec
spectateur » pourrait surgir de cette réplique, lorsque l’imagination sera
parvenue à sortir de ce qui l’enraye – avec le temps. Cependant, à l’heure
des naufrages sans spectateurs ni témoins désormais, dans cet
entre-temps-là, cette métaphore-ci semble bel et bien appartenir, quant à
elle, au registre des vestiges d’un autre temps.
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Ricœur Paul, 2007 [1985], Temps et récit, t. 3, Le temps raconté,
Paris, Seuil.
Saint-Girons Baldine, 2006, « Du sublime de la tempête »,* L’eau, les eaux*,
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Schiller Friedrich, 2005 [1793], « Fragments sur le sublime pour servir de
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Tervonen Taina, 2019, Au pays des disparus, Paris, Fayard.
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NOTES
1 https://journals.openedition.org/traces/15074#bodyftn1 La « dette
effective » que Blumenberg aurait contracté auprès de Nietzsche selon Marc
de Launay pourrait d’ailleurs se situer à ce niveau de « transposition »
conceptuelle – qui est la traduction d’Umbesetzung que donne Launay (voir
à ce sujet sa préface à Blumenberg, 1981, p. 7, et p. 120 pour l’occurrence
du terme traduit).
2 https://journals.openedition.org/traces/15074#bodyftn2 Le mot est d’un
certain Pélin au sujet d’un discours de Victor Hugo (cité dans Benjamin,
2002, p. 98).
3 https://journals.openedition.org/traces/15074#bodyftn3 Respectivement :
« Douceur, lorsque les vents soulèvent la mer immense, / D’observer du
rivage le dur effort d’autrui (Lucrèce, 1997, p. 115) ; « Nous voguons sur
un milieu vaste, toujours incertains et flottants, poussés d’un bout vers
l’autre » (Pascal, 2004, p. 157) ; « Derrière nous nous avons brisé le
pont, mieux, nous avons derrière nous brisé la terre » (Nietzsche, 1978,
p. 169).
4 https://journals.openedition.org/traces/15074#bodyftn4 Ainsi que le
signalent plusieurs participants audit colloque (Héran, p. 239 ; Thiollet,
p. 261 ; Agier, p. 317).
5 https://journals.openedition.org/traces/15074#bodyftn5 Lendaro et al.,
2019.
6 https://journals.openedition.org/traces/15074#bodyftn6 On ne peut que
contredire Baldine Saint-Girons sur ce point, lorsque, tout en saluant son
apport, elle avance que « Blumenberg manque cependant à [s]es yeux le
moment crucial qui fait passer la métaphore du registre philosophique et
moral à un registre esthétique, il est vrai problématique […] »
(Saint-Girons, 2006, p. 137) ; la « problématique » qui la retient n’est
cependant pas d’ordre épistémologique.
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POUR CITER CET ARTICLERéférence papier
Paul Bernard-Nouraud, « Représentations de la crise et crises de la
représentation. Du naufrage avec spectateur aux naufrages sans témoins
», *Tracés.
Revue de Sciences humaines*, 44 | 2023, 31-45.
Référence électronique
Paul Bernard-Nouraud, « Représentations de la crise et crises de la
représentation. Du naufrage avec spectateur aux naufrages sans témoins
», *Tracés.
Revue de Sciences humaines* [En ligne], 44 | 2023, mis en ligne le 01
novembre 2023, consulté le 17 juin 2024. URL :
http://journals.openedition.org/traces/15074 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/traces.15074
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AUTEURPaul Bernard-Nouraud https://journals.openedition.org/traces/15139
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