Que reste-t-il d’un cimetière quand les tombes ont disparu ? Où vont les
pierres ? Les cercueils ? Les os ? À Thessalonique, en Grèce, existait
autrefois un cimetière juif, immense, le plus grand d’Europe avec plus de
300 000 tombes. Depuis 1492, la ville, que l’on appelait alors Salonique,
accueillait un très grand nombre de juifs, chassée d’Espagne par le pouvoir
catholique. Durant près de cinq siècles, la communauté juive fut la plus
importante de la ville. En 1942, l’occupation nazie signera la disparition
du cimetière juif. Les pierres en marbre, peuplées d’écritures
judéo-espagnoles ou françaises, furent utilisées comme matériau de
construction par les Allemands et les Grecs. Un an plus tard, 96 % de la
communauté juive encore présente dans la ville, soit 45 000 personnes,
furent déportés et assassinés, pour la plupart, au camp
d’Auschwitz-Birkenau. Aujourd’hui, Martin Barzilai, photographe et
petit-fils d’un juif salonicien, réussit l’impossible : photographier les
traces du cimetière disparu, enseveli sous une gigantesque université.
Comment ? En retrouvant, une par une, les pierres tombales utilisées pour
construire la ville moderne qui affleurent par endroit. Ses photographies,
comme autant d’archives d’un recensement mémoriel post-mortem, affirment
tout haut : ici, durant des siècles, vécurent des femmes, des hommes, des
enfants. Ils feront toujours partie des murs, des rues pavées de leurs
noms, des églises… Malgré les haines génocidaires, on ne fait pas
disparaître un peuple.