Le nécrophone, l’invention oubliée de Thomas Edison pour converser avec les
morts
Nicolas Méra https://www.slate.fr/source/219984/nicolas-mera — Édité
par Thomas
Messias - 17 décembre 2023
[image: Thomas Edison et son phonographe, en 1878. |
Commons]
Thomas Edison et son phonographe, en 1878. | Wikimedia Commons
https://fr.wikipedia.org/wiki/N%C3%A9crophone#/media/Fichier:Edison_and_phonograph_edit2.jpg
Au XIXe siècle, la science et le paranormal
https://www.slate.fr/dossier/8187/paranormal s’entrecroisent, caressant
des fantasmes aujourd’hui réservés à la science-fiction. Comme le pointe un
journal anglais de 1853
les savants du siècle sont *«plongés d’un coup dans les profondeurs du
spiritualisme»*.
Des médecins tentent de relever des cadavres à l’aide de chocs électriques.
Pierre et Marie Curie sondent le royaume des morts au cours de sessions de
spiritisme
https://www.historia.fr/les-spirites-se-mettent-%C3%A0%C2%A0-table.
Camille Flammarion recherche, dans l’œil de sa lentille astronomique, des
mondes extraterrestres
Le docteur Baraduc tente de photographier l’âme humaine… Étonnamment, ces
expériences https://www.slate.fr/dossier/23629/experience-scientifique
paranormales
ne sont pas le fait d’esprits dérangés. Elles sont pratiquées par des
érudits et des intellectuels jouissant d’une excellente réputation dans les
cercles scientifiques qui, brusquement, se prennent à chasser les fantômes
https://www.slate.fr/dossier/93879/fantome ou à tenter de percer les
secrets de l’au-delà. Cette tendance prend le contre-pied de la mouvance
scientiste https://fr.wikipedia.org/wiki/Scientisme, héritière du
rationalisme et des Lumières, qui tend à tout vouloir expliquer par la
raison. Dans ce contexte, le voile séparant la vie de la mort
https://www.slate.fr/dossier/397/mort semble se déchirer, et ces
pionniers veulent être les premiers à regarder au travers. Quitte à
compromettre leur fortune ou leur réputation.
Des voix dans le noir
Sur ses vieux jours, Thomas Edison penche de plus en plus vers le monde des
esprits. Du haut de ses 80 ans, l’ingénieur américain achève une carrière
riche en inventions https://www.slate.fr/dossier/4941/invention géniales:
ses recherches ont notamment permis l’avènement du phonographe (1877), de
l’ampoule à incandescence (1879) et du kinétoscope (1889).
L’homme aux 1.093 brevets
https://www.britannica.com/biography/Thomas-Edison s’intéresse
maintenant, d’après le récit qu’en fait le magazine américain Modern
Mechanix (octobre 1933), à la communication avec «l’autre côté». Au cours
de l’hiver 1920, il aurait ainsi présenté, devant un public abasourdi, un
prototype permettant
de
détecter les fantômes ou de communiquer avec eux. L’article ayant été
publié deux ans après la mort de l’inventeur, il est toutefois possible
d’en douter. Si expérience paranormale il y a eu, en tout cas, ses
conclusions sont inconnues.
Thomas Edison est un matérialiste convaincu, et les démonstrations des
médiums le laissent froid.
L’intérêt que Thomas Edison porte à la communication avec les esprits
https://www.slate.fr/story/196702/fantomes-croyance-explications-science-morale-ethique
ne
fait cependant pas de doute. *«Je travaille depuis longtemps à la
construction d’un appareil permettant de savoir si des individus ayant
quitté ce monde peuvent continuer de communiquer avec nous»*, affirme-t-il
dans les colonnes de The American Magazine en 1920
.
Entre les lignes, on sent que l’ingénieur
https://www.slate.fr/dossier/9967/ingenieurs n’adhère pas tellement aux
croyances spirites; peut-être veut-il seulement désavouer médiums et
charlatans qui, depuis près d’un demi-siècle, éblouissent les parterres
mondains en faisant léviter des tables ou parler des revenants.
https://www.slate.fr/story/196702/fantomes-croyance-explications-science-morale-ethiqueÀ
LIRE AUSSI
Faudrait-il croire aux fantômes?
https://www.slate.fr/story/196702/fantomes-croyance-explications-science-morale-ethique
Conversations fantômes
Pour autant, la science https://www.slate.fr/dossier/1097/science n’est
pas la première à contester les affirmations des spiritualistes. Selon une
croyance populaire à l’époque, la matière humaine serait faite de
particules minuscules –des «unités de vie»
https://journals.openedition.org/1895/5032– qui composent non seulement
sa partie organique, mais aussi sa partie spirituelle. Thomas Edison est un
matérialiste convaincu et les démonstrations des médiums le laissent froid.
Inspiré par la théorie de l’intrication quantique, notamment plébiscitée
par Albert Einstein https://www.slate.fr/dossier/16041/albert-einstein,
il est toutefois persuadé que le caractère si particulier de l’être humain
ne peut pas simplement s’évaporer après la mort. Où va donc la conscience
https://www.slate.fr/dossier/7651/conscience? La personnalité? L’âme?
L’objectif de son «spirit phone» (le terme «nécrophone» a été inventé par
Philippe Baudouin
qui a republié les mémoires de Thomas Edison) est d’ouvrir un canal
permettant aux morts de communiquer avec les vivants.
Projet fantôme nimbé de mystère, le nécrophone n’a, selon toute
vraisemblance, jamais vu le jour.
Mais comment jeter une passerelle entre ces deux mondes que la biologie
https://www.slate.fr/dossier/3967/biologie juge irréconciliables?
Impossible de retrouver des croquis originaux de Thomas Edison, ce qui
jette encore plus d’ombre sur ce projet saugrenu. Toutefois, plusieurs
magazines ont publié des dessins de phonographes améliorés dont la
sensibilité serait capable de saisir les voix des trépassés. L’ingénieur
américain était-il réellement passé à l’expérimentation concrète, ou
n’avait-il fait qu’en saisir la théorie dans ses carnets? Une chose est
sûre: Thomas Edison croyait suffisamment en sa machine
https://www.slate.fr/dossier/45051/machine pour conclure un pacte avec
son ami William Dinwiddie
https://phys.org/news/2015-03-thomas-edison-lost-idea-device.html. Si
l’un des deux venait à mourir, il devait se signaler à l’autre depuis
l’au-delà!
Projet fantôme nimbé de mystère, le nécrophone n’a, selon toute
vraisemblance, jamais vu le jour. Certains doutent même qu’il ait jamais
existé en dehors de l’esprit du vieux «sorcier de Menlo Park», réputé pour
ses excentricités
Ce qui n’a pas empêché son œuvre d’être poursuivie par des ingénieurs
tendant l’oreille vers l’au-delà. En 1941, un groupe de chercheurs a tenté
de compléter le projet du génial inventeur, décédé dix ans plus tôt, afin
de passer un coup de fil à leur inspirateur
Celui-ci n’a pas daigné répondre.