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Synthèse du symposium «Mobilités et morts : Connecter des savoirs et des
pratiques pour faire avancer les connaissances»
Agnès Florette Noubicier, Lilyane Rachédi, Josiane Le Gall, Catherine
Montgomery, Noriane Gire, et Traoré Djénéba
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*Introduction: *Dans un contexte mondial de grands changements
démographiques et d’accroissement des migrations, la mort et le deuil
s’intègrent pleinement dans le phénomène migratoire, à la fois comme
réalité et comme potentialité aux effets multiples. La trajectoire du
mourir, le décès et le deuil vécus par les migrants suscitent une chaîne
d’actions et de réactions aussi bien chez la personne endeuillée qu’aux
plans politique, social, juridique et institutionnel. Pourtant, les
recherches sur les questions de la mort en lien avec la migration restent
encore timides.
C’est en constat de ce manque que le symposium international pour la
connexion et la diffusion des savoirs interdisciplinaires autour de la
thématique de la mort en contexte de migration a permis à des
professionnels, des chercheurs et des étudiants de disciplines variées et
d’aires géographiques et socioculturelles multiples, de discuter et de
transférer des connaissances scientifiques et pratiques sur la thématique
de la mobilité et des morts. L’objectif était double : développer des
connaissances sur la thématique de la mort en contexte migratoire d’une
part, et améliorer les pratiques professionnelles d’autre part.
Ce document est une synthèse des communications qui y ont été présentées et
nous avons identifié les enjeux spécifiques qu’elles ont soulevés. Il
s’articule autour des trois noyaux thématiques suivants : la gestion des
morts, les imaginaires de la mort et l’accompagnement des mourants et des
endeuillés.
*La gestion des morts: *La thématique de la gestion des morts s’attarde
sur la mobilité des morts en tentant de documenter la trajectoire spatiale
des corps, qu’elle soit transnationale ou non. Les personnes qui
s’intéressent à ce sujet portent une attention particulière à la mobilité
et à l’errance des morts, aux cimetières comme lieux de négociation ultime
avec la société d’accueil et le pays d’origine, à la symbolique des morts
aux frontières, à la question de la législation funéraire internationale,
et enfin au nomadisme mortuaire transfrontalier.
*Mobilité et errance des morts : Des voyages continuels (Marc-Antoine
Berthod, Françoise Lestage, Osman Balkan, Gil Labescat, Chedly Belkhodja)*
Lorsque survient un décès chez les migrants, plusieurs étapes doivent être
traversées. D’abord la préparation et le soin du corps/cadavre, puis la
tenue des obsèques, et enfin le choix à faire entre un enterrement en terre
d’accueil, au pays natal ou ailleurs dans le monde. Tout ceci doit se faire
en tenant compte des législations locales et internationales. Ces étapes
fort cruciales font émerger le caractère mobile des dépouilles, notamment
leur déplacement du lieu de décès à leur lieu de sépulture, leur transition
d’un pays à un autre, leur exposition à différents endroits ou simplement
leur dispersion dans la nature.
Les multiples mobilités qu’entraîne la mort du migrant révèlent des
problématiques qui vont au-delà du simple questionnement sur le lieu
d’enterrement. Elles mettent à jour entre autres le dilemme identitaire
vécu par le migrant qui doit faire un choix entre s’installer
définitivement ou temporairement en terre d’accueil. La projection du
mourir et le choix du lieu de la sépulture dépendent de plusieurs facteurs
complexes, et amènent parfois l’idée d’une certaine errance des morts.
*Les cimetières comme lieux de négociation ultime : s’intégrer jusqu’à la
mort (Nada Afiouni, Sol Tarrès, Jordi Moreras et Clara Saraiva)*
Le « voyage » du défunt entre la terre d’accueil et le lieu de sépulture
dans le pays d’origine fait ressortir la dualité entre les intérêts des
familles endeuillées et les politiques relatives à la gestion et la
circulation des cadavres, et des restes humains (dans le cas
d’incinération). On note entre autres que les pratiques mortuaires des
minorités ethnicoreligieuses ont une symbolique particulière, et il en
résulte des revendications d’espaces de sépulture adéquats de la part des
migrants. Cependant, du côté des pouvoirs publics, les demandes sont
parfois perçues comme une volonté de communautarisme, voire de
ghettoïsation, et le cimetière municipal qui est public et laïc dans la
plupart des cas, reste une obligation et un choix par défaut pour les
migrants. Des accords ou des ententes peuvent être signés pour permettre
aux populations immigrantes, notamment celles d’immigration récente, de
procéder à l’inhumation de leurs proches selon leurs rituels religieux.
Toutefois, les immigrants doivent souvent recourir à des cimetières privés
pour le faire. Les cimetières apparaissent comme des lieux de négociation
ultime avec les lois qui ne permettent pas toujours de respecter les
croyances des endeuillés. De ce fait, on assiste davantage à une sorte de
syncrétisme des rituels et d’adaptation des funérailles face à la laïcité
de l’État. Ces aspects démontrent la créativité et l’inventivité des
migrants face aux contingences légales.
*Symbolique des morts aux frontières et enjeux politiques : les cartes
comme outils de dénonciation (Nicolas Lambert, Carolina Kobelinsky)*
L’hécatombe migratoire qui sévit aux frontières maritimes et terrestres de
l’Europe est un véritable drame humain. Les frontières deviennent des zones
mortifères pour plusieurs migrants qui malheureusement y meurent dans une
indifférence totale, avant même d’avoir atteint leur destination.
La mort des migrants lors de la traversée peut ainsi être vue sous l’angle
de la violence physique et symbolique. En effet, ceux qui meurent aux
frontières sont souvent enterrés sans procédure formelle, sans sépulture,
dans l’anonymat et la non-identification des corps. Eu égard à cela,
l’élaboration de cartes comme outil pour appréhender la « géographie des
morts » devient un argument politique invitant à subvertir une frontière
sur laquelle se fracassent des vies humaines en raison de la violence des
politiques d’immigration, ainsi que des conflits et événements dramatiques
qui régissent les entrées dans le pays.
*Législation funéraire internationale et nomadisme mortuaire
transfrontalier : Vivre son deuil entre parenthèses (Françoise Lestage,
Isabelle Marin, Paul Konan N’dri, Boukhirane Khedidja Girardet)*
La mort vécue par un migrant en terre d’accueil ou dans le pays d’origine
demeure un phénomène dont la gestion suscite une chaîne d’actions dans le
traitement matériel et symbolique des défunts de la part d’acteurs aux
rôles, motivations et pratiques diverses. Aussi la prise en charge des
défunts mérite-t-elle d’être examinée avec minutie dans un environnement où
les règlements administratifs et juridiques ne sont pas toujours souples
vis-à-vis des personnes endeuillées.
Au-delà des frontières, la mort d’un migrant ou le décès vécu par le
migrant sans titre de séjour dans le pays de résidence (les
« sans-papiers »), entraînent des défis légaux et des enjeux distinctifs.
Ces groupes particuliers vivent dans un contexte social marqué par une
certaine hostilité à leur présence tendant à les rendre socialement
« invisibles ». En raison de leur statut, ces migrants ne peuvent pas
rentrer dans leur pays d’origine en cas de décès d’un de leurs proches. Ils
expérimentent une longue et stressante attente, déchirés entre le désir
d’aller rejoindre les leurs pour participer aux funérailles, vivre le
deuil, et la pénible nécessité de rester dans le pays d’accueil pour
garantir la poursuite des procédures de demande d’asile.
Face à la perte de ses proches dans ce contexte d’invisibilité, le migrant
met en place des stratégies individuelles et collectives qui font sens pour
lui, et mobilise les ressources dont il est capable. S’il ne lui est pas
permis de voyager, il va vivre son deuil « entre parenthèses » et traîner
un sentiment d’impuissance et d’inachèvement.
Les imaginaires de la mort
Les imaginaires de la mort consistent à recueillir et analyser des récits
sur le rapport à la mort des migrants. Il s’agit d’explorer aussi bien les
désirs déclenchés par ces imaginaires et les craintes qu’ils suscitent, que
de s’attarder sur la dimension temporelle qui se dégage des projets des
migrants, puis de saisir le phénomène migratoire en termes de mobilité
spatiale et temporelle. Le déroulement du processus du deuil et la
représentation de la mort en lien avec les croyances des endeuillés
constituent deux autres aspects importants développés lors du symposium.
En contexte migratoire, les étapes qui suivent le décès sont marquées par
de nombreux choix. En plus de faire face à la douleur et aux émotions liées
à la perte d’un être cher, l’endeuillé doit composer avec différentes
décisions à prendre rapidement. Convenir d’un lieu de sépulture ne met pas
un terme aux obstacles d’ordres normatifs, législatifs et même sociaux en
matière de processus de deuil.
Dans un contexte de métissage des cultures, de mobilités accrues et de
pluralisme religieux, la mort du migrant entraîne l’apparition de besoins
différents, dont celui de réaliser des pratiques rituelles funéraires en
accord avec des prescriptions religieuses variées.
Connaître les étapes à traverser pour les démarches funéraires et le
processus de rapatriement du corps peut s’avérer particulièrement difficile
pour l’endeuillé au moment où survient le décès. Dans une telle situation,
disposer d’une « cartographie du processus du deuil » qui présenterait les
étapes et les démarches à effectuer pourrait permettre de prendre des
décisions plus éclairées, d’anticiper sur les enjeux financiers, et de
répondre aux questionnements que suscitent la circulation transnationale
des corps, la possibilité de présence aux funérailles dans le pays
d’origine (congés admissibles par l’employeur pour faire le voyage) et
enfin l’acceptabilité des rituels en lien avec les croyances religieuses.
*Représentations de la mort et croyances religieuses : pour une prise en
compte de la diversité symbolique et rituelle (Mariza Rosales Argonza,
Osman Balkan, Marie-Rosaire Kalanga Wa Tshisekedi, Ariadna Solé Arraràs)*
La représentation de la mort, les croyances religieuses et le rapport à la
mort varient non seulement d’une culture à une autre, mais aussi d’une
religion à une autre. Par exemple, chez les musulmans, les corps ont une
symbolique forte et la façon dont les morts sont enterrés les différencie
de populations d’appartenances religieuses autres. Du côté des Congolais,
la mort est taboue et considérée comme un voyage du monde visible vers un
monde invisible. Les rituels qui suivent un décès démontrent une
ambivalence entre la tradition et la modernité et ne cadrent pas toujours
avec la législation en vigueur dans la société d’accueil en matière de
rites funéraires. Pour les immigrants issus d’Amérique latine, la mort
occupe une place centrale et le rite funéraire est porteur d’une forte
charge symbolique qui détourne les significations traditionnelles pour
proposer un imaginaire ludique qui témoigne des nouvelles façons de vivre
le deuil en migration.
Ces différentes perceptions de la mort en lien avec la culture et les
croyances religieuses sont autant de considérations dont il faut tenir
compte dans l’accompagnement des endeuillés en contexte migratoire.
*L’accompagnement des mourants et des endeuillés *
L’accompagnement des mourants quant à lui met la focale sur les stratégies
d’intervention en fin de vie, ainsi que le soutien des familles et proches
du migrant décédé. On s’intéresse aux institutions et acteurs qui se
mobilisent pour leur apporter du support psychologique, matériel et social.
Différentes structures d’accompagnement publiques, privées ou même
familiales et parfois informelles sont mises en place pour aider des
personnes en fin de vie ou endeuillées dans le pays d’accueil comme
ailleurs dans le monde.
*Services d’accompagnement formels et informels (Jordi Moreras, Catherine
Montgomery, Josiane Le Gall, Isabelle Marin, Philippe Stoesslé, Gil
Labescat, Marie-Claire Rufagari)*
Pour certains, la mort et le deuil constituent des éléments inhérents à
l’expérience des migrants en raison de l’exceptionnelle vulnérabilité
sociale qui limite leurs forces et leurs stratégies de résilience. Les
personnes migrantes vivent alors cette souffrance de manière très
différente, en fonction de divers facteurs individuels et collectifs.
Au Québec, des Tables de concertation, comme celle des organismes au
service des personnes immigrantes et réfugiées (TCRI), mobilisent plusieurs
intervenants pour aider et accompagner les nouveaux arrivants en provenance
de différents pays. En Espagne, des initiatives récentes de coopératives
proposent des assurances de rapatriement formel, tandis que des entreprises
offrent divers services. Ailleurs, des associations liées à différents
groupes ethnoculturels apportent un soutien moral et financier à
l’endeuillé, et l’accompagnent dans le processus funéraire.
Dans un contexte dénué de réseaux de prise en charge, les migrants
développent des stratégies pour vivre leur deuil. Ils recourent à des
réseaux transnationaux qui répondent à leurs besoins de base et font office
de médiateurs et de contrepoids avec les autorités. Les réseaux sociaux et
soutien en ligne, les plateformes commémoratives, les funérailles et
rituels en ligne peuvent servir de support au migrant, démontrant le rôle
crucial des technologies de l’information et de la communication quand
survient un décès et les coûts émotifs qui s’en suivent.
*Pratiques et outils d’accompagnement : former et informer pour améliorer
les pratiques (Lilyane Rachedi, Michèle Vatz-Laaroussi, Béatrice Halsouet,
Javorka Zivanovic Sarenac, Louis Lepage, Danièle Bourque, Serge Bouznah)*
L’intervention en contexte de pluralité culturelle et cultuelle soulève des
défis, des enjeux et des obstacles (cliniques et éthiques) qui amènent les
praticiens confrontés aux spécificités culturelles du patient et de sa
famille, à adopter une attitude de réflexivité vis-à-vis de leur pratique
et de leur propre rapport à la mort. Elle met de l’avant la nécessité
d’établir des ponts entre les soignants et les patients et de prendre en
compte l’altérité et la singularité des personnes souffrantes.
Cependant, dans un environnement multiethnique donnant lieu à des besoins
spirituels et religieux multiples, une intervention non confessionnelle en
soins spirituels susceptible de composer avec une diversité est à
privilégier selon certains. La démarche en soins palliatifs implique
également de considérer l’hétérogénéité culturelle des individus souffrants.
Au niveau de l’accompagnement, des attitudes essentiellement humanistes et
humanisantes ont été relevées, de même que la mise à disposition d’outils
pertinents pour la formation et l’information des intervenants. En guise
d’instruments ou d’outils pédagogiques, une vidéo, un guide, une trousse et
des fiches synthèses ont été présentés dans le but de transmettre aux
différents milieux de pratique, des connaissances sur la mort et le deuil
en contexte migratoire. L’objectif visait à améliorer les savoir-faire des
praticiens et l’intervention auprès des migrants endeuillés. Toutes ces
ressources s’avèrent des savoirs et des outils nécessaires pour un meilleur
accompagnement des personnes immigrantes endeuillées.
Conclusion
Ce symposium a permis d’échanger sur des sujets tels que les flux
migratoires des vivants et des morts, les deuils en migration, les enjeux
relatifs au rapatriement des corps, aux rituels liés au décès ou à la fin
de vie d’un migrant, à la souffrance liée au deuil en contexte migratoire,
et aux politiques étatiques sur la question. Il a également atteint son
objectif de vulgariser les connaissances afin d’améliorer les savoir-faire
des praticiens, et de mettre à leur portée des outils pertinents pour
l’intervention auprès des immigrants endeuillés.
Par ailleurs, les comportements sociaux et les événements d’actualité tels
que la xénophobie et les crimes haineux visant des religions précises,
démontrent que la mort du migrant en terre d’accueil ou dans son pays
d’origine, ou vécue par le migrant, ne peut être considérée comme un
événement social banal.
Les enjeux de sépulture et de rapatriement, les difficultés additionnelles
dues aux démarches à entreprendre, amènent à réfléchir davantage sur la
portée de la mort en contexte migratoire. Les migrants peuvent alors
ressentir une profonde désillusion vis-à-vis du pays d’accueil et se sentir
encore comme des citoyens de deuxième ou de troisième zone dans des moments
difficiles tels que le deuil ou la fin de vie d’un proche.
Les échanges lors du symposium ont témoigné de la pertinence scientifique
et sociale de la problématique de la mort en contexte de migration. La
connexion des savoirs et des pratiques est un vecteur essentiel pour
améliorer les connaissances théorique et pratique sur cette thématique de
recherche en émergence et encore très peu étudiée.
Liste des conférenciers avec titre de leur conférence
visions du Mictlán dans l’art chicano.
Michèle, Rufagari Marie-Claire. Défis et enjeux des professionnels. Besoins
des populations : pistes de recherches.
récits de musulmans devant l’enjeu de la mort.
sans frontières
Sens, symboles et rites.
Josiane et Sigouin Catherine. Histoires de migrations, histoires de morts
dans la littérature et le cinéma francophone. Fiches synthèses à l’usage
des professionnels.
suspens des personnes requérantes d’asile.
mort et diversité religieuse.
Bouznah Serge. Quand les esprits viennent aux médecins.
Halsouet Béatrice. « Chez nous les morts ne sont jamais morts » :
une vidéo comme outil de formation d’intervenants sociaux.
Congolais de Montréal : petits arrangements avec l’invisible.
l’Europe
: quelles issues de secours pour les « réfugiés » et les « sans-papiers »
en Suisse? Défis légaux et enjeux théoriques.
trajectoires du mourir.
des cartes pour dénoncer ».
des coûts émotifs reliés à l’impossibilité d’assister aux obsèques.
confrontées à la maladie grave et à la mort : quelques réflexions quant à
l’intervention en soins palliatifs à domicile.
la multiple présence des migrants défunts.
accompagner le malade issu de la migration?
technologies de la communication dans le soutien aux personnes migrantes
endeuillées.
mort dans la communauté marocaine en Espagne.
français et britannique.
Politics of Belonging among Muslims in Germany.
l’immigrant : principes et outils d’accompagnement pour les praticiens ».
guinéens au Portugal. La gestion transnationale de la mort.
Catalonia (Spain) and Kolda (Senegal)”.
centraméricains au Mexique.
diversidad en España.
Néo- Sherbrookois confrontés à une maladie en phase terminale ou à un décès.
Le mer. 3 avr. 2024 à 17:47, Milady Renoir <
miladyrenoirmiladyrenoir@gmail.com> a écrit :