Des morts en migration aux morts de la migration de Carolina Kobelinsky p.
187-203 - https://books.openedition.org/editionscnrs/45775?lang=fr
https://books.openedition.org/editionscnrs/45775?lang=fr
https://books.openedition.org/editionscnrs/45775?lang=fr
https://books.openedition.org/editionscnrs/45775?lang=fr
1 Quelle que soit la thématique traitée, à un moment ou à un autre d’une
enquête de longue durée auprès des personnes migrantes, la mort surgit.
Imprévue ou attendue, comme spectre, comme événement à anticiper ou comme
réalité à prendre en charge, elle réactive les questions liées à
l’inscription spatiale et temporelle que partagent les hommes et les femmes
qui circulent entre différents pays.
Les morts en migration, un sujet peu abordé
https://books.openedition.org/editionscnrs/45775?lang=fr#tocfrom1n1
2L’articulation entre mort et migration a jusqu’à récemment suscité
relativement peu de travaux de sciences sociales (Lestage, 2012). En
France, les recherches se sont intéressées notamment au traitement des
cadavres et à la dimension rituelle associée à ces morts. Parmi les
premières, des études ont porté sur les rapatriements des défunts vers les
pays d’origine (Braquinho Pequeno, 1983), s’attardant notamment sur les
formes d’entraide permettant de couvrir les frais de ce dernier voyage
(Chaïb, 2000). D’autres enquêtes ont centré le regard sur la pluralité
religieuse dans les lieux de sépulture des pays d’accueil à partir de la
gestion des cimetières ou des carrés musulmans en France (Aggoun, 2009) et
en Angleterre (Afiouni, 2012), et ont pointé l’héritage colonial de cette
forme d’administration des morts. Parmi les travaux sur les rituels, une
place importante a été accordée aux transformations des pratiques
funéraires en contexte de migration, aux bricolages et aux arrangements et
aménagements, aux délocalisations et transnationalisations des rituels
(Petit, 2005). En dehors du contexte académique français, des études se
sont également penchées sur les expériences des personnes migrantes en fin
de vie (Gunaratnam, 2011), l’accompagnement des mourants (Hunter et Soom
Ammann, 2018) ou le deuil des migrants (Rachédi et Halsouet, 2017).
3Ce panorama des recherches est loin d’épuiser la littérature associant
mort et migration mais elles montrent bien comment la mort est à chaque
fois une occasion de reconfigurer des relations sociales au sein des
communautés migrantes ou des familles transnationales. Un décès peut aussi
devenir le révélateur des liens et des tensions entre les personnes
migrantes, le pays d’origine et la société au sein de laquelle elles
habitent. Ces morts « étrangers » invitent à interroger le traitement reçu
par ces Autres une fois morts, de ce que doit être la « bonne mort » par
rapport à ce qui est mis en place par les institutions locales comme par
les populations qui « reçoivent » ces défunts.
Les morts aux frontières, des questions renouvelées
https://books.openedition.org/editionscnrs/45775?lang=fr#tocfrom1n2
4La mort de migrants et de migrantes qui tentent de rejoindre l’Europe en
franchissant les frontières sans en avoir les autorisations nécessaires
fait aujourd’hui partie du paysage quotidien aux abords de la Méditerranée
et de la mer Égée. Contrairement aux travaux portant sur les morts à la
frontière entre les États-Unis et le Mexique, qui se développent depuis une
dizaine d’années, ceux portant sur les frontières européennes commencent
tout juste à voir le jour. Et cela même si les premiers décès sur le chemin
vers l’Europe datent de la fin des années 1980, peu après la signature des
accords de Schengen, qui instituent la libre circulation des personnes à
l’intérieur des frontières européennes en même temps qu’ils organisent la
coordination policière afin de renforcer les contrôles aux frontières
extérieures de l’Union européenne.
5Les morts aux frontières interrogent l’articulation entre mort et
migration d’une façon renouvelée. D’une part, ils ne peuvent être
appréhendés sans prendre en compte les politiques migratoires et le régime
européen des frontières dont elles sont un effet (Albahari, 2015 ; Babels,
2017 ; Bassi et Souiah, 2019). En cela, ces morts ne sont plus seulement
des morts en migration mais bien des morts de la migration, c’est-à-dire
des décès qui sont conséquence de la migration ou, plus exactement, produit
des politiques migratoires. Des travaux examinent ainsi, dans une lecture
héritière des réflexions de Michel Foucault, l’articulation entre les
dimensions biopolitique et thanatopolitique de notre société, simultanément
dévouée à la création et la préservation de la vie, et à la production de
la mort à travers des formes de violence produites ou tolérées par l’État.
En mobilisant également la réflexion de l’historien Achille Mbembe (2003)
sur la nécropolitique, qui met l’accent sur les formes contemporaines de
soumission de la vie au pouvoir de la mort, ces travaux appréhendent les
morts comme le lieu pour repenser l’exercice de la souveraineté et
s’interroger sur la mort comme une forme de gouvernement des migrations
(Squire, 2016 ; Topak, 2014).
6Les morts aux frontières posent des questions spécifiques en ce qu’il
s’agit de morts étrangers, qui sont parfois aussi des morts transnationaux
puisque le décès survient dans des territoires ou des eaux en dehors de la
juridiction de tout État. Ils sont surtout, la plupart du temps, des morts
inconnus puisque leurs noms, leurs origines, leurs histoires sont ignorés.
Au cours de mon travail aux frontières sud de l’Europe, je me suis
intéressée au traitement matériel et symbolique des dépouilles. En partant
des questions très concrètes qui se posent sur le terrain pour les
personnes qui habitent les villes et les villages frontaliers, et inspirées
par les réflexions foucaldiennes mais également par une anthropologie qui
s’intéresse aux expériences ordinaires de la violence, j’ai décidé de
suivre le chemin post-mortem emprunté par les corps retrouvés.
Tentatives d’identification des morts inconnus
https://books.openedition.org/editionscnrs/45775?lang=fr#tocfrom1n3
7Que deviennent les milliers de corps retrouvés ? En Espagne, lorsqu’un
décès est constaté – lors de la prise en charge des passagers à bord d’un
bateau arrivé dans un port espagnol, ou d’une tentative de franchissement
des clôtures qui séparent l’enclave espagnole de Melilla du Maroc – le
corps est pris en charge par la police judiciaire, et est envoyé à la
morgue. Les légistes examinent le corps, attribuent un âge approximatif au
défunt, font une prise d’empreintes digitales qui s’avère souvent
infructueuse puisque la personne n’est connue d’aucune des bases de données
européennes. L’échantillon d’ADN ainsi que les objets du défunt sont
enregistrés, stockés. Les autopsies sont rares. Le corps peut rester à la
morgue un temps variable, plusieurs jours, parfois plusieurs mois, en
attendant que les pompes funèbres viennent le chercher. Pendant ce temps,
un dossier est ouvert auprès du tribunal de première instance afin
d’enregistrer des informations concernant la cause de la mort. En général,
aucune enquête n’est effectuée. Dans le dossier, il peut être indiqué
« décès en migration ». Aucune investigation officielle ne sera conduite
non plus dans le but d’attribuer un nom et une histoire au corps retrouvé.
Il n’existe à l’heure actuelle aucun protocole spécifique de traitement de
ces morts retrouvés aux frontières, ni au niveau national ni au niveau
européen. Et la plupart des morts en route pour l’Europe disparaissent à
jamais, dans la mer ou le désert.
8Les tentatives d’identification reposent sur la bonne volonté des locaux
et des migrants qui se mobilisent afin de « respecter les morts »,
expression qui revient sans cesse. À Tarifa, les membres d’un groupe
paroissial qui travaille auprès de personnes migrantes tentent de contacter
les passagers de l’embarcation où le mort a été retrouvé, au cas où ils
auraient des éléments facilitant l’identification à apporter. Parfois ils
obtiennent une photo du mort, qu’ils font circuler dans le centre
d’internement des étrangers, dans les associations : « Quelqu’un connaît-il
cette personne, son nom ? Au moins son pays d’origine, sa religion ? » Les
informations recueillies concernent le plus souvent le groupe
d’appartenance, le pays d’origine ou la religion. Elles permettront au
moins aux personnes mobilisées d’organiser une cérémonie en accord avec les
croyances du défunt.
9Quand un corps sans nom est retrouvé, les migrants eux-mêmes sont bien les
premiers mobilisés. Pouvoir contacter la famille est pour beaucoup de mes
interlocuteurs une manière de combattre l’anonymat et la disparition totale
qui les guettent. S’ils se sont faits à l’idée qu’ils mourront peut-être,
disparaître sans laisser de trace est leur hantise (Kobelinsky, 2017).
Faire circuler la nouvelle d’un décès à travers les réseaux sociaux
permettant de joindre les différentes communautés migrantes de part et
d’autre de la frontière, jusque dans des foyers de migrants à Paris ou des
centres d’accueil en Allemagne, obtenir des informations sur l’identité du
défunt et de sa famille, c’est faire pour un autre ce qu’on aurait attendu
qu’il fasse pour soi.
Le sort des morts identifiés
https://books.openedition.org/editionscnrs/45775?lang=fr#tocfrom1n4
10Lorsque ces moyens artisanaux et rudimentaires d’identification portent
leurs fruits, le corps est associé à un nom et une identité. Les personnes
mobilisées essaient alors de contacter la famille, ce qui peut prendre des
jours, des semaines, voire des mois. Le réseau Rétablissement des liens
familiaux est parfois sollicité. Géré conjointement par le Comité
international de la Croix Rouge, les Sociétés nationales de la Croix Rouge
et du Croissant Rouge, ce réseau aide les familles à retrouver des traces
des proches disparus qui sont partis en Europe. Ils auront peut-être des
informations de celles et ceux à la recherche du défunt dont le corps a été
retrouvé.
11L’étape suivant la communication avec les familles concerne le choix du
sort du corps : rapatriement ou enterrement sur place ? Si la première
option est généralement souhaitée, rapatrier un corps implique des frais de
transport élevés, que les familles ne peuvent souvent pas payer. Des
collectes d’argent sont lancées auprès des membres des associations, de
leur entourage sensibilisé aux questions de migration, ainsi qu’auprès des
compagnons de voyage. D’autres solutions sont parfois envisagées. À
Melilla, les membres d’une association ont pu négocier, avec l’accord des
proches d’un jeune décédé, la prise en charge du rapatriement du corps par
une chaîne de télévision privée espagnole en échange d’un entretien long
avec la famille une fois le défunt retourné dans son pays natal.
Le voyage final des morts inconnus
https://books.openedition.org/editionscnrs/45775?lang=fr#tocfrom1n5
12Mais la plupart du temps, les corps retrouvés ne sont pas identifiés.
Pendant qu’ils attendent à la morgue, le bureau d’état civil doit rédiger
un certificat de décès permettant d’effectuer l’inhumation. Pendant ce
temps également, les différentes administrations locales se disputent.
L’enjeu est de déterminer qui paiera les frais des pompes funèbres et de
l’enterrement. Aucun budget particulier n’est attribué à ces morts devenus
une charge financière importante pour les petites communes côtières de la
Méditerranée.
13C’est dans des cases de columbarium en haut des murs des cimetières
municipaux que sont inhumés les migrants retrouvés aux frontières
espagnoles. Les fossoyeurs inscrivent parfois sur le ciment frais «
Inmigrante », accompagné d’une date. D’autres fois, la plaque
rudimentaire indique le pays d’origine. L’inhumation s’accompagnera
peut-être d’une cérémonie organisée par des locaux afin de rendre hommage à
cette personne que l’on n’a pas connue mais dont on sait qu’elle est
« décédée en se battant pour avoir une vie meilleure », comme le soulignent
beaucoup d’habitants de ces espaces côtiers devenus des territoires de
morts de la migration. Parfois, ce sont les employés du cimetière qui, dans
un « geste d’humanité », tel que me confiait l’un d’entre eux, se
recueillent quelques instants devant la case du migrant inconnu après avoir
procédé à son inhumation.
Formes de visibilisation des morts
https://books.openedition.org/editionscnrs/45775?lang=fr#tocfrom1n6
14À ces témoignages d’empathie et de compassion au moment de l’enterrement
s’ajoutent de nombreuses manifestations en hommage aux morts aux
frontières. Au Maroc, près de la frontière avec l’enclave espagnole de
Melilla, un prêtre jésuite en charge de la délégation des Migrations du
diocèse de Tanger à Nador, organisait régulièrement des cérémonies dans la
forêt, non loin des campements de migrants qui attendent de pouvoir sauter
les barrières qui séparent la ville espagnole du Maroc. « D’abord,
quelqu’un prononçait une prière en accord avec la confession musulmane ;
ensuite je disais quelques mots et puis on gardait quelques minutes de
silence », m’expliquait-il. Ces moments de recueillement permettent de
soulager la douleur liée à la perte d’un proche, d’une connaissance. Ils
restituent en même temps la dimension collective, partagée, de la
souffrance liée à la mort sur les routes de l’Europe.
15À Lampedusa, depuis le naufrage de 2013 qui a fait 368 victimes,
le 3 octobre est devenu un jour de commémoration. À Tarifa, à Lesbos, mais
aussi à Calais ou à Briançon, à chaque fois qu’un décès survient, des
collectifs de soutien aux migrants organisent des manifestations. Rendre
hommage au défunt, c’est aussi dénoncer le caractère mortifère des
frontières. Ces commémorations deviennent ainsi une forme d’« activisme de
la douleur » (Stierl, 2014) en ce qu’elles transforment la douleur en
demande publique. Il s’agit d’une demande éminemment politique qui cherche
également à apporter un regard différent de celui véhiculé par les médias,
qui associe ces morts à l’image de la migration comme un fléau, témoignant
du déferlement d’étrangers sur les côtes européennes. Déferlement qui peut
être perçu comme d’autant plus menaçant que des cadavres arrivent en même
temps que des vivants.
16De l’image en trompe-l’œil d’un bateau rempli de passagers engloutis dans
la Seine à Paris aux pierres tombales flottant sur la mer au large de la
ville de Kas en Turquie portant les noms de Syriens morts ou disparus
pendant la traversée, en passant par les documentaires et les performances
un peu partout en Europe, de nombreuses manifestations artistiques tentent
de rendre visibles ces morts aux yeux du plus grand nombre en y offrant une
représentation esthétique fondée sur l’empathie, la compassion ou
l’indignation. Ces expressions contribuent à faire exister les personnes
migrantes. Elles constituent également une forme de mobilisation qui
interpelle l’opinion publique en l’incitant à ne pas rester indifférente
face à la réalité des frontières.
Vies des morts et perception des migrants
https://books.openedition.org/editionscnrs/45775?lang=fr#tocfrom1n7
17Dans une approche au plus près du terrain, reconstituer l’itinéraire des
corps retrouvés de façon plus détaillée et individualisée que je n’ai pu le
faire dans ces pages, revient ainsi à s’intéresser aux vies des morts,
après la mort (ou afterlives) dans leurs dimensions multiples, selon une
formule empruntée à l’anthropologue Francisco Ferrándiz (2013, p. 40). Vie
juridique, en suivant l’évolution des dossiers administratifs et
judiciaires ; vie scientifique, en analysant les tentatives plus ou moins
méthodiques ou bricolées d’identification des corps ; vie médiatique, en
examinant l’écho public de ces décès et la façon de les nommer, de les
qualifier, voire de les disqualifier ; vie associative en s’attardant sur
les pratiques cérémonielles et les lieux de mémoire ; vie affective, en
explorant les manifestations émotionnelles individuelles et collectives ;
et enfin vie artistique, en examinant les interprétations à travers des
expressions littéraires, visuelles, etc.
18Si elles informent sur notre rapport aux morts, ces afterlives permettent
surtout, en creux, de saisir la façon dont sont perçues, considérées et
traitées les personnes migrantes aujourd’hui en Europe.
Politique d’effacement et possibilité du deuil
https://books.openedition.org/editionscnrs/45775?lang=fr#tocfrom1n8
19Deux formes de vie sont distinguées par la philosophe Judith Butler
(2014) dans sa réflexion sur la violence et la guerre contemporaine :
celles qui comptent et celles qui ne comptent pas. Les premières méritent
le deuil – en cela leur vie est sacrée et protégée – les autres sont
sujettes à une forme de précarité et de vulnérabilité perpétuelle. Le deuil
devient alors l’élément central de cette distinction. Une vie n’est
véritablement une vie que si sa perte entraîne le deuil. Une vie
inaccessible au deuil est dévaluée et n’est pas digne d’être soutenue ou
protégée en tant que vie. Sa perte (c’est-à-dire sa mort) ne sera pas
pleurée, aucun deuil public ne sera porté. L’itinéraire des corps retrouvés
aux frontières espagnoles, que j’ai retracé brièvement ici, renvoie à une
forme d’inaccessibilité au deuil où il est question à la fois d’effacement
public, d’invisibilité sociale et d’impossibilité très concrète pour les
familles de pleurer leurs morts.
20Celles et ceux qui migrent sans avoir les documents nécessaires au voyage
et à l’installation dans un pays européen (puisqu’ils sont très difficiles,
voire impossibles à obtenir) sont traités comme des indésirables. Qu’ils
réussissent l’exploit de la traversée ou qu’ils aient été sauvés *in
extremis*, les vivants font l’expérience aux frontières de toutes sortes de
procédés afin de les identifier et garantir leur traçabilité (stockage
d’informations biographiques, enregistrement d’empreintes digitales, etc.),
afin, bien souvent, d’organiser leur expulsion du territoire européen.
Lorsqu’ils sont retrouvés morts, comme en miroir des vivants, ils sont
souvent enterrés sans avoir fait l’objet d’enquête officielle permettant de
leur attribuer un nom, contribuant ainsi à les occulter.
21L’itinéraire post-mortem des corps retrouvés montre que le processus
d’identification ne repose que sur ces actions individuelles, qui bricolent
avec les moyens à disposition afin d’obtenir des informations biographiques
des défunts. Mes interlocuteurs constatent que l’informalité a toujours été
au cœur de la gestion de ces morts. La prise en charge matérielle et
symbolique des corps retrouvés aux frontières espagnoles n’a pas évolué
depuis ce jour de novembre 1988 où neuf cadavres de migrants ont été
découverts pour la première fois près de la plage de Los Lances, à Tarifa.
En cela, le traitement des morts aux frontières relève d’une forme de
« nécro-violence », c’est-à-dire d’une violence performée et produite à
travers le mauvais traitement, voire le non-traitement, des cadavres (De
León, 2015). L’absence de protocole de prise en charge standardisé ainsi
que de base de données permettant de centraliser les informations
concernant les décès survenus aux portes de l’Europe contribue à passer
sous silence le caractère mortifère des frontières. Dans le même sens,
l’inexistence de statistiques officielles concernant ces décès – les
chiffres circulant dans les médias étant produits par des collectifs non
gouvernementaux – participe également à les dissimuler.
22Poser le regard sur l’itinéraire très concret des dépouilles des morts de
la migration permet d’appréhender comment les frontières européennes sont
un espace traversé par une tension permanente entre la normalisation du
caractère délétère des politiques mises en place et la mobilisation de
celles et ceux qui, par leurs pratiques, tentent d’amener « les sans
deuil » dans l’espace public, « afin qu’ils puissent faire apparaître leur
existence et la requête de vies vivables, ou, plus simplement, d’une vie
avant la mort » (Butler, 2014, p. 107).
BIBLIOGRAPHIE
Références bibliographiques
Afiouni, N., « Les carrés musulmans à Southampton et au Havre : témoignages
des politiques française et britannique de la gestion de la pluralité
», *Observatoire
de la société britannique*, no 13, 2012, p. 83-100.
DOI : 10.4000/osb.1434 http://dx.doi.org/10.4000/osb.1434
Aggoun, A., Les Musulmans face à la mort en France, Paris, Éditions
Vuibert, 2006.
Albahari, M., *Crimes of Peace. Mediterranean Migrations at the World’s
Deadliest Border*, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2015.
Babels, *La Mort aux frontières de l’Europe : retrouver, identifier,
commémorer*, Neuvy-en-Champagne, Le Passager Clandestin, coll.
« Bibliothèque des frontières », 2017.
Bassi, M. et Souiah, F. (dir.), numéro thématique « Corps migrants aux
frontières méditerranéennes de l’Europe », Critique internationale, no 83,
2019.
Branquinho Pequeno, A., « Les morts voyagent aussi… “Le dernier retour” de
l’immigré portugais », Esprit, novembre 1983, p. 153-156.
Butler, J., Qu’est-ce qu’une vie bonne ?, Paris, Payot, 2014.
Chaïb, Y., L’Émigré et la Mort, Aix-en-Provence, Édisud, 2002.
De León, J., *The Land of Open Graves. Living and Dying on the Migrant
Trail*, Berkeley, University of California Press, 2015.
DOI : 10.1525⁄9780520958685 http://dx.doi.org/10.1525⁄9780520958685
Ferrándiz, F., « Exhuming the Defeated : Civil War Mass Graves in 21st Century
Spain », American Ethnologist, 2013, vol. 40, no 1, p. 38-54.
DOI : 10.1111/amet.12004 http://dx.doi.org/10.1111/amet.12004
Gunaratnam, Y., Death and the Migrant : Bodies, borders, care, Londres,
Bloomsbury Academic, 2013.
Hunter, A. et Soom Ammann, E. (dir.), *Final Journeys. Migrant End-of-Life
Care and Rituals in Europe*, Londres, Routledge, 2018.
DOI : 10.4324⁄9781315180137 http://dx.doi.org/10.4324⁄9781315180137
Kobelinsky, C., « Exister au risque de disparaître. Récits sur la mort
pendant la traversée vers l’Europe », *Revue européenne des migrations
internationales*, vol. 33, no 2-3, 2017, p. 131-150.
Lestage, F., « Éditorial. La mort en migration », *Revue européenne des
migrations internationales*, vol. 3, no 28, 2012, p. 7-12.
Mbembe, A., « Necropolitics », Public Culture, vol. 15, n 1, 1er
janvier 2003,
p. 11-40.
DOI : 10.1215⁄08992363-15-1-11 http://dx.doi.org/10.1215⁄08992363-15-1-11
Petit, A., « Des funérailles de l’entre-deux. Rituels funéraires des
migrants Manjak en France », Archives de sciences sociales des religions,
no 131-132, 2005, p. 87-99.
Rachédi, L. et Halsouet, B. (dir.), *Quand la mort frappe l’immigrant.
Défis et adaptations*, Montréal, Presses de l’université de Montréal, 2017.
DOI : 10.4000/books.pum.11574 http://dx.doi.org/10.4000/books.pum.11574
Squire, V., « Governing Migration Through Death in Europe and the US.
Identification, Burial and the Crisis of Modern Humanism », *European
Journal of International Relations*, vol. 3, no 23, 2016, p. 513-532.
DOI : 10.1177⁄1354066116668662 http://dx.doi.org/10.1177⁄1354066116668662
Stierl, M., « Contestations in Death. The Role of Grief in Migration
Struggles », Citizenship Studies, vol. 20, no 2, 2016, p. 173-191.
DOI : 10.1080⁄13621025.2015.1132571
http://dx.doi.org/10.1080⁄13621025.2015.1132571
Topak, O., « The Biopolitical Border in Practice : Surveillance and Death
at the Greek – Turkey Borderzone », Society and Space, no 32, 2014,
p. 815-833.
AUTEUR
Carolina Kobelinsky
https://books.openedition.org/author?name=kobelinsky+carolina
Anthropologue, chargée de recherche CNRS au Laboratoire d’ethnologie et de
sociologie comparative (LESC). Elle co-dirige le programme de recherche
(ANR/FQRSC) MECMI : Morts en contexte de migration (2017-2020). Ses
recherches actuelles portent sur les morts en migration, particulièrement
aux frontières de l’Europe. Elle interroge le devenir de ces morts
« étrangers », bien souvent « inconnus », de même que les imaginaires de la
mort de celles et ceux qui traversent les frontières. Carolina Kobelinsky
est lauréate de la médaille de bronze 2019 du CNRS.
Du même auteur
morts indicibles*, , 2022
https://books.openedition.org/cdf/13716
[image: Immatérialités de la mort]
https://books.openedition.org/editionscnrs/45810
IMMATÉRIALITÉS DE LA MORT https://books.openedition.org/editionscnrs/45680
*Valérie Robin Azevedo
https://books.openedition.org/author?name=robin%C2%A0azevedo+valerie *
(dir.)
Éditeur : CNRS Éditions
Collection : Les essentiels d’Hermès
Lieu d’édition : Paris
Année d’édition : 2020
Publication sur OpenEdition Books : 10 février 2022
EAN (Édition imprimée) : 978-2-271-13134-8
Nombre de pages : 256 p.
De nouvelles pratiques funéraires, entre réel et virtuel, marquent ce début
de xxie siècle. À l’heure des éternités numériques, un nouveau champ
d’expression du mourir surgit et le lien avec les défunts se pérennise et
se modifie.
De quelles façons notre rapport à la mort s’est-il métamorphosé dans le
contexte de la mondialisation et de la médiatisation des dernières
décennies ? Comment se dématérialise la sociabilité funèbre, comment se
transforme le soin fourni aux cadavres ? Quelle gestion mortuaire, d’ordre
politique et symbolique, adopter face aux dépouilles indésirables
(attentats-suicides) ou en cas de corps souillés (guerre, génocide) ou
absents (migrants) ?
Dans une perspective pluridisciplinaire et comparatiste, cet Essentiel
d’Hermès aborde la mort comme un phénomène de communication vital qui
engage notre rapport à l’altérité et à l’identité.