Des morts en migration aux morts de la migration de Carolina Kobelinsky + (Im)matérialités de la mort sous la direction de Valérie Robin Azevedo

miladyrenoirmiladyrenoir
2024-4-3 17:43

Des morts en migration aux morts de la migration de Carolina Kobelinsky p.

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1 Quelle que soit la thématique traitée, à un moment ou à un autre d’une

enquête de longue durée auprès des personnes migrantes, la mort surgit.

Imprévue ou attendue, comme spectre, comme événement à anticiper ou comme

réalité à prendre en charge, elle réactive les questions liées à

l’inscription spatiale et temporelle que partagent les hommes et les femmes

qui circulent entre différents pays.

Les morts en migration, un sujet peu abordé

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2L’articulation entre mort et migration a jusqu’à récemment suscité

relativement peu de travaux de sciences sociales (Lestage, 2012). En

France, les recherches se sont intéressées notamment au traitement des

cadavres et à la dimension rituelle associée à ces morts. Parmi les

premières, des études ont porté sur les rapatriements des défunts vers les

pays d’origine (Braquinho Pequeno, 1983), s’attardant notamment sur les

formes d’entraide permettant de couvrir les frais de ce dernier voyage

(Chaïb, 2000). D’autres enquêtes ont centré le regard sur la pluralité

religieuse dans les lieux de sépulture des pays d’accueil à partir de la

gestion des cimetières ou des carrés musulmans en France (Aggoun, 2009) et

en Angleterre (Afiouni, 2012), et ont pointé l’héritage colonial de cette

forme d’administration des morts. Parmi les travaux sur les rituels, une

place importante a été accordée aux transformations des pratiques

funéraires en contexte de migration, aux bricolages et aux arrangements et

aménagements, aux délocalisations et transnationalisations des rituels

(Petit, 2005). En dehors du contexte académique français, des études se

sont également penchées sur les expériences des personnes migrantes en fin

de vie (Gunaratnam, 2011), l’accompagnement des mourants (Hunter et Soom

Ammann, 2018) ou le deuil des migrants (Rachédi et Halsouet, 2017).

3Ce panorama des recherches est loin d’épuiser la littérature associant

mort et migration mais elles montrent bien comment la mort est à chaque

fois une occasion de reconfigurer des relations sociales au sein des

communautés migrantes ou des familles transnationales. Un décès peut aussi

devenir le révélateur des liens et des tensions entre les personnes

migrantes, le pays d’origine et la société au sein de laquelle elles

habitent. Ces morts « étrangers » invitent à interroger le traitement reçu

par ces Autres une fois morts, de ce que doit être la « bonne mort » par

rapport à ce qui est mis en place par les institutions locales comme par

les populations qui « reçoivent » ces défunts.

Les morts aux frontières, des questions renouvelées

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4La mort de migrants et de migrantes qui tentent de rejoindre l’Europe en

franchissant les frontières sans en avoir les autorisations nécessaires

fait aujourd’hui partie du paysage quotidien aux abords de la Méditerranée

et de la mer Égée. Contrairement aux travaux portant sur les morts à la

frontière entre les États-Unis et le Mexique, qui se développent depuis une

dizaine d’années, ceux portant sur les frontières européennes commencent

tout juste à voir le jour. Et cela même si les premiers décès sur le chemin

vers l’Europe datent de la fin des années 1980, peu après la signature des

accords de Schengen, qui instituent la libre circulation des personnes à

l’intérieur des frontières européennes en même temps qu’ils organisent la

coordination policière afin de renforcer les contrôles aux frontières

extérieures de l’Union européenne.

5Les morts aux frontières interrogent l’articulation entre mort et

migration d’une façon renouvelée. D’une part, ils ne peuvent être

appréhendés sans prendre en compte les politiques migratoires et le régime

européen des frontières dont elles sont un effet (Albahari, 2015 ; Babels,

2017 ; Bassi et Souiah, 2019). En cela, ces morts ne sont plus seulement

des morts en migration mais bien des morts de la migration, c’est-à-dire

des décès qui sont conséquence de la migration ou, plus exactement, produit

des politiques migratoires. Des travaux examinent ainsi, dans une lecture

héritière des réflexions de Michel Foucault, l’articulation entre les

dimensions biopolitique et thanatopolitique de notre société, simultanément

dévouée à la création et la préservation de la vie, et à la production de

la mort à travers des formes de violence produites ou tolérées par l’État.

En mobilisant également la réflexion de l’historien Achille Mbembe (2003)

sur la nécropolitique, qui met l’accent sur les formes contemporaines de

soumission de la vie au pouvoir de la mort, ces travaux appréhendent les

morts comme le lieu pour repenser l’exercice de la souveraineté et

s’interroger sur la mort comme une forme de gouvernement des migrations

(Squire, 2016 ; Topak, 2014).

6Les morts aux frontières posent des questions spécifiques en ce qu’il

s’agit de morts étrangers, qui sont parfois aussi des morts transnationaux

puisque le décès survient dans des territoires ou des eaux en dehors de la

juridiction de tout État. Ils sont surtout, la plupart du temps, des morts

inconnus puisque leurs noms, leurs origines, leurs histoires sont ignorés.

Au cours de mon travail aux frontières sud de l’Europe, je me suis

intéressée au traitement matériel et symbolique des dépouilles. En partant

des questions très concrètes qui se posent sur le terrain pour les

personnes qui habitent les villes et les villages frontaliers, et inspirées

par les réflexions foucaldiennes mais également par une anthropologie qui

s’intéresse aux expériences ordinaires de la violence, j’ai décidé de

suivre le chemin post-mortem emprunté par les corps retrouvés.

Tentatives d’identification des morts inconnus

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7Que deviennent les milliers de corps retrouvés ? En Espagne, lorsqu’un

décès est constaté – lors de la prise en charge des passagers à bord d’un

bateau arrivé dans un port espagnol, ou d’une tentative de franchissement

des clôtures qui séparent l’enclave espagnole de Melilla du Maroc – le

corps est pris en charge par la police judiciaire, et est envoyé à la

morgue. Les légistes examinent le corps, attribuent un âge approximatif au

défunt, font une prise d’empreintes digitales qui s’avère souvent

infructueuse puisque la personne n’est connue d’aucune des bases de données

européennes. L’échantillon d’ADN ainsi que les objets du défunt sont

enregistrés, stockés. Les autopsies sont rares. Le corps peut rester à la

morgue un temps variable, plusieurs jours, parfois plusieurs mois, en

attendant que les pompes funèbres viennent le chercher. Pendant ce temps,

un dossier est ouvert auprès du tribunal de première instance afin

d’enregistrer des informations concernant la cause de la mort. En général,

aucune enquête n’est effectuée. Dans le dossier, il peut être indiqué

« décès en migration ». Aucune investigation officielle ne sera conduite

non plus dans le but d’attribuer un nom et une histoire au corps retrouvé.

Il n’existe à l’heure actuelle aucun protocole spécifique de traitement de

ces morts retrouvés aux frontières, ni au niveau national ni au niveau

européen. Et la plupart des morts en route pour l’Europe disparaissent à

jamais, dans la mer ou le désert.

8Les tentatives d’identification reposent sur la bonne volonté des locaux

et des migrants qui se mobilisent afin de « respecter les morts »,

expression qui revient sans cesse. À Tarifa, les membres d’un groupe

paroissial qui travaille auprès de personnes migrantes tentent de contacter

les passagers de l’embarcation où le mort a été retrouvé, au cas où ils

auraient des éléments facilitant l’identification à apporter. Parfois ils

obtiennent une photo du mort, qu’ils font circuler dans le centre

d’internement des étrangers, dans les associations : « Quelqu’un connaît-il

cette personne, son nom ? Au moins son pays d’origine, sa religion ? » Les

informations recueillies concernent le plus souvent le groupe

d’appartenance, le pays d’origine ou la religion. Elles permettront au

moins aux personnes mobilisées d’organiser une cérémonie en accord avec les

croyances du défunt.

9Quand un corps sans nom est retrouvé, les migrants eux-mêmes sont bien les

premiers mobilisés. Pouvoir contacter la famille est pour beaucoup de mes

interlocuteurs une manière de combattre l’anonymat et la disparition totale

qui les guettent. S’ils se sont faits à l’idée qu’ils mourront peut-être,

disparaître sans laisser de trace est leur hantise (Kobelinsky, 2017).

Faire circuler la nouvelle d’un décès à travers les réseaux sociaux

permettant de joindre les différentes communautés migrantes de part et

d’autre de la frontière, jusque dans des foyers de migrants à Paris ou des

centres d’accueil en Allemagne, obtenir des informations sur l’identité du

défunt et de sa famille, c’est faire pour un autre ce qu’on aurait attendu

qu’il fasse pour soi.

Le sort des morts identifiés

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10Lorsque ces moyens artisanaux et rudimentaires d’identification portent

leurs fruits, le corps est associé à un nom et une identité. Les personnes

mobilisées essaient alors de contacter la famille, ce qui peut prendre des

jours, des semaines, voire des mois. Le réseau Rétablissement des liens

familiaux est parfois sollicité. Géré conjointement par le Comité

international de la Croix Rouge, les Sociétés nationales de la Croix Rouge

et du Croissant Rouge, ce réseau aide les familles à retrouver des traces

des proches disparus qui sont partis en Europe. Ils auront peut-être des

informations de celles et ceux à la recherche du défunt dont le corps a été

retrouvé.

11L’étape suivant la communication avec les familles concerne le choix du

sort du corps : rapatriement ou enterrement sur place ? Si la première

option est généralement souhaitée, rapatrier un corps implique des frais de

transport élevés, que les familles ne peuvent souvent pas payer. Des

collectes d’argent sont lancées auprès des membres des associations, de

leur entourage sensibilisé aux questions de migration, ainsi qu’auprès des

compagnons de voyage. D’autres solutions sont parfois envisagées. À

Melilla, les membres d’une association ont pu négocier, avec l’accord des

proches d’un jeune décédé, la prise en charge du rapatriement du corps par

une chaîne de télévision privée espagnole en échange d’un entretien long

avec la famille une fois le défunt retourné dans son pays natal.

Le voyage final des morts inconnus

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12Mais la plupart du temps, les corps retrouvés ne sont pas identifiés.

Pendant qu’ils attendent à la morgue, le bureau d’état civil doit rédiger

un certificat de décès permettant d’effectuer l’inhumation. Pendant ce

temps également, les différentes administrations locales se disputent.

L’enjeu est de déterminer qui paiera les frais des pompes funèbres et de

l’enterrement. Aucun budget particulier n’est attribué à ces morts devenus

une charge financière importante pour les petites communes côtières de la

Méditerranée.

13C’est dans des cases de columbarium en haut des murs des cimetières

municipaux que sont inhumés les migrants retrouvés aux frontières

espagnoles. Les fossoyeurs inscrivent parfois sur le ciment frais «

Inmigrante », accompagné d’une date. D’autres fois, la plaque

rudimentaire indique le pays d’origine. L’inhumation s’accompagnera

peut-être d’une cérémonie organisée par des locaux afin de rendre hommage à

cette personne que l’on n’a pas connue mais dont on sait qu’elle est

« décédée en se battant pour avoir une vie meilleure », comme le soulignent

beaucoup d’habitants de ces espaces côtiers devenus des territoires de

morts de la migration. Parfois, ce sont les employés du cimetière qui, dans

un « geste d’humanité », tel que me confiait l’un d’entre eux, se

recueillent quelques instants devant la case du migrant inconnu après avoir

procédé à son inhumation.

Formes de visibilisation des morts

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14À ces témoignages d’empathie et de compassion au moment de l’enterrement

s’ajoutent de nombreuses manifestations en hommage aux morts aux

frontières. Au Maroc, près de la frontière avec l’enclave espagnole de

Melilla, un prêtre jésuite en charge de la délégation des Migrations du

diocèse de Tanger à Nador, organisait régulièrement des cérémonies dans la

forêt, non loin des campements de migrants qui attendent de pouvoir sauter

les barrières qui séparent la ville espagnole du Maroc. « D’abord,

quelqu’un prononçait une prière en accord avec la confession musulmane ;

ensuite je disais quelques mots et puis on gardait quelques minutes de

silence », m’expliquait-il. Ces moments de recueillement permettent de

soulager la douleur liée à la perte d’un proche, d’une connaissance. Ils

restituent en même temps la dimension collective, partagée, de la

souffrance liée à la mort sur les routes de l’Europe.

15À Lampedusa, depuis le naufrage de 2013 qui a fait 368 victimes,

le 3 octobre est devenu un jour de commémoration. À Tarifa, à Lesbos, mais

aussi à Calais ou à Briançon, à chaque fois qu’un décès survient, des

collectifs de soutien aux migrants organisent des manifestations. Rendre

hommage au défunt, c’est aussi dénoncer le caractère mortifère des

frontières. Ces commémorations deviennent ainsi une forme d’« activisme de

la douleur » (Stierl, 2014) en ce qu’elles transforment la douleur en

demande publique. Il s’agit d’une demande éminemment politique qui cherche

également à apporter un regard différent de celui véhiculé par les médias,

qui associe ces morts à l’image de la migration comme un fléau, témoignant

du déferlement d’étrangers sur les côtes européennes. Déferlement qui peut

être perçu comme d’autant plus menaçant que des cadavres arrivent en même

temps que des vivants.

16De l’image en trompe-l’œil d’un bateau rempli de passagers engloutis dans

la Seine à Paris aux pierres tombales flottant sur la mer au large de la

ville de Kas en Turquie portant les noms de Syriens morts ou disparus

pendant la traversée, en passant par les documentaires et les performances

un peu partout en Europe, de nombreuses manifestations artistiques tentent

de rendre visibles ces morts aux yeux du plus grand nombre en y offrant une

représentation esthétique fondée sur l’empathie, la compassion ou

l’indignation. Ces expressions contribuent à faire exister les personnes

migrantes. Elles constituent également une forme de mobilisation qui

interpelle l’opinion publique en l’incitant à ne pas rester indifférente

face à la réalité des frontières.

Vies des morts et perception des migrants

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17Dans une approche au plus près du terrain, reconstituer l’itinéraire des

corps retrouvés de façon plus détaillée et individualisée que je n’ai pu le

faire dans ces pages, revient ainsi à s’intéresser aux vies des morts,

après la mort (ou afterlives) dans leurs dimensions multiples, selon une

formule empruntée à l’anthropologue Francisco Ferrándiz (2013, p. 40). Vie

juridique, en suivant l’évolution des dossiers administratifs et

judiciaires ; vie scientifique, en analysant les tentatives plus ou moins

méthodiques ou bricolées d’identification des corps ; vie médiatique, en

examinant l’écho public de ces décès et la façon de les nommer, de les

qualifier, voire de les disqualifier ; vie associative en s’attardant sur

les pratiques cérémonielles et les lieux de mémoire ; vie affective, en

explorant les manifestations émotionnelles individuelles et collectives ;

et enfin vie artistique, en examinant les interprétations à travers des

expressions littéraires, visuelles, etc.

18Si elles informent sur notre rapport aux morts, ces afterlives permettent

surtout, en creux, de saisir la façon dont sont perçues, considérées et

traitées les personnes migrantes aujourd’hui en Europe.

Politique d’effacement et possibilité du deuil

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19Deux formes de vie sont distinguées par la philosophe Judith Butler

(2014) dans sa réflexion sur la violence et la guerre contemporaine :

celles qui comptent et celles qui ne comptent pas. Les premières méritent

le deuil – en cela leur vie est sacrée et protégée – les autres sont

sujettes à une forme de précarité et de vulnérabilité perpétuelle. Le deuil

devient alors l’élément central de cette distinction. Une vie n’est

véritablement une vie que si sa perte entraîne le deuil. Une vie

inaccessible au deuil est dévaluée et n’est pas digne d’être soutenue ou

protégée en tant que vie. Sa perte (c’est-à-dire sa mort) ne sera pas

pleurée, aucun deuil public ne sera porté. L’itinéraire des corps retrouvés

aux frontières espagnoles, que j’ai retracé brièvement ici, renvoie à une

forme d’inaccessibilité au deuil où il est question à la fois d’effacement

public, d’invisibilité sociale et d’impossibilité très concrète pour les

familles de pleurer leurs morts.

20Celles et ceux qui migrent sans avoir les documents nécessaires au voyage

et à l’installation dans un pays européen (puisqu’ils sont très difficiles,

voire impossibles à obtenir) sont traités comme des indésirables. Qu’ils

réussissent l’exploit de la traversée ou qu’ils aient été sauvés *in

extremis*, les vivants font l’expérience aux frontières de toutes sortes de

procédés afin de les identifier et garantir leur traçabilité (stockage

d’informations biographiques, enregistrement d’empreintes digitales, etc.),

afin, bien souvent, d’organiser leur expulsion du territoire européen.

Lorsqu’ils sont retrouvés morts, comme en miroir des vivants, ils sont

souvent enterrés sans avoir fait l’objet d’enquête officielle permettant de

leur attribuer un nom, contribuant ainsi à les occulter.

21L’itinéraire post-mortem des corps retrouvés montre que le processus

d’identification ne repose que sur ces actions individuelles, qui bricolent

avec les moyens à disposition afin d’obtenir des informations biographiques

des défunts. Mes interlocuteurs constatent que l’informalité a toujours été

au cœur de la gestion de ces morts. La prise en charge matérielle et

symbolique des corps retrouvés aux frontières espagnoles n’a pas évolué

depuis ce jour de novembre 1988 où neuf cadavres de migrants ont été

découverts pour la première fois près de la plage de Los Lances, à Tarifa.

En cela, le traitement des morts aux frontières relève d’une forme de

« nécro-violence », c’est-à-dire d’une violence performée et produite à

travers le mauvais traitement, voire le non-traitement, des cadavres (De

León, 2015). L’absence de protocole de prise en charge standardisé ainsi

que de base de données permettant de centraliser les informations

concernant les décès survenus aux portes de l’Europe contribue à passer

sous silence le caractère mortifère des frontières. Dans le même sens,

l’inexistence de statistiques officielles concernant ces décès – les

chiffres circulant dans les médias étant produits par des collectifs non

gouvernementaux – participe également à les dissimuler.

22Poser le regard sur l’itinéraire très concret des dépouilles des morts de

la migration permet d’appréhender comment les frontières européennes sont

un espace traversé par une tension permanente entre la normalisation du

caractère délétère des politiques mises en place et la mobilisation de

celles et ceux qui, par leurs pratiques, tentent d’amener « les sans

deuil » dans l’espace public, « afin qu’ils puissent faire apparaître leur

existence et la requête de vies vivables, ou, plus simplement, d’une vie

avant la mort » (Butler, 2014, p. 107).

BIBLIOGRAPHIE

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AUTEUR

Carolina Kobelinsky

https://books.openedition.org/author?name=kobelinsky+carolina

Anthropologue, chargée de recherche CNRS au Laboratoire d’ethnologie et de

sociologie comparative (LESC). Elle co-dirige le programme de recherche

(ANR/FQRSC) MECMI : Morts en contexte de migration (2017-2020). Ses

recherches actuelles portent sur les morts en migration, particulièrement

aux frontières de l’Europe. Elle interroge le devenir de ces morts

« étrangers », bien souvent « inconnus », de même que les imaginaires de la

mort de celles et ceux qui traversent les frontières. Carolina Kobelinsky

est lauréate de la médaille de bronze 2019 du CNRS.

Du même auteur

morts indicibles*, , 2022

https://books.openedition.org/cdf/13716

[image: Immatérialités de la mort]

https://books.openedition.org/editionscnrs/45810

IMMATÉRIALITÉS DE LA MORT https://books.openedition.org/editionscnrs/45680

*Valérie Robin Azevedo

https://books.openedition.org/author?name=robin%C2%A0azevedo+valerie *

(dir.)

De nouvelles pratiques funéraires, entre réel et virtuel, marquent ce début

de xxie siècle. À l’heure des éternités numériques, un nouveau champ

d’expression du mourir surgit et le lien avec les défunts se pérennise et

se modifie.

De quelles façons notre rapport à la mort s’est-il métamorphosé dans le

contexte de la mondialisation et de la médiatisation des dernières

décennies ? Comment se dématérialise la sociabilité funèbre, comment se

transforme le soin fourni aux cadavres ? Quelle gestion mortuaire, d’ordre

politique et symbolique, adopter face aux dépouilles indésirables

(attentats-suicides) ou en cas de corps souillés (guerre, génocide) ou

absents (migrants) ?

Dans une perspective pluridisciplinaire et comparatiste, cet Essentiel

d’Hermès aborde la mort comme un phénomène de communication vital qui

engage notre rapport à l’altérité et à l’identité.