Images et texte de Eric Pellet, 2003
Livre des morts : https://derives.tv/livre-des-morts/
Quelqu’un a filmé. Un caméraman inconnu a filmé, en Europe, durant les
trois décennies d’après-guerre. À ces images en répondent d’autres, celles
de lieux filmés au présent, vidés de l’homme. Un trajet au travers d’images
témoins.
Effeuillage géologique, palimpseste, bibliothèque mnémonique ; non-lieux de
la mémoire. Attente, ennui, oubli. L’agencement des restes, des
décombres d’architecture,
ou la résurgence du paysage en ses vestiges. La nécessité des ruines. Les
forteresses inutiles, les îles maudites – la peste, le nazisme. Un cinéma
qui n’est pas à l’abri du temps, mais qui en soit l’abri, creuset de deuils
impossibles – du cinéma, de l’histoire. En cinéma, travailler avec la
mort, contre elle. La mort, c’est le passé qui persiste. Le substrat
littéraire, la genèse d’un film sises dans l’impossibilité de la mort. Si
la représentation de la guerre est ici un trou noir, un point
d’aveuglement, si les armées sont absentes à l’image, leur empreinte
demeure inscrite dans le paysage. La guerre elle-même invisible. Ce qui est
filmé au présent apparaît comme le plus-que-passé de la guerre, plus ancien
que les archives privées qui, elles, documentent l’après. La petite forme
qui prend pour cadre la grande (l’histoire). Fragments travaillés et
structurés comme expression de la partie pour le tout : un continent,
quelques décennies. Exprimer comme à son corps défendant l’héritage passif,
enfoui, l’épaisseur et la densité de ce qui nous a précédé. Par
réverbération, sonder cet après-guerre, ce monde d’après la catastrophe
initiale. Ce désastre. Tandis que la vie continue peut-être, émerge la
nécessité
de prendre acte d’une cassure de l’histoire. Le monde a changé, mais c’est
bien le même monde.
*Livre des morts *Couleur et noir et blanc | son stéréo | sans dialogue | 1
heure 29 minutes | format 1⁄33 | format d’origine : 16 mm | format master :
beta numérique | Eric Pellet — Le Fresnoy — 2003